Non-acquisition : l’album des Fables de La Fontaine par Oudry

Jean-Baptiste Oudry
Album des fables de La Fontaine
Vendu par Christie’s New York le 26/1/23
Pas acheté par le Musée du Louvre parce qu’on
le lui avait proposé beaucoup plus cher auparavant
Photo : Sotheby’s
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Lors de la vente Christie’s de la collection Safra, l’un des lots phares était incontestablement l’album de dessins de Jean-Baptiste Oudry pour l’illustration des Fables de La Fontaine (voir notre récente brève). Les deux volumes existants avaient été vendus en 1973, puis exportés avant que l’un des deux ne fût scandaleusement démembré pour être commercialisé pièce par pièce. Le second volume (qui est en réalité le premier des deux) a finalement été adjugé 2,2 millions de dollars, soit 2,7 millions avec les frais. S’il avait été conservé en France, il aurait évidemment été classé trésor national, et nous nous serions indigné s’il ne l’avait pas été.

Mais il passait en vente à New York, pendant une semaine extrêmement chargée en ventes d’œuvres d’art, et manifestement New York sort du radar des musées français et notamment du Louvre. Si l’on y croisait de nombreux conservateurs européens - le British Museum, le Rijksmuseum, des musées allemands, Stockholm, etc. - et bien sûr les institutions américaines, les musées français - à deux exceptions près - étaient singulièrement absents. Et notamment le Louvre bien sûr, dont sauf erreur aucun représentant ne s’y trouvait.
Résultat ? Il n’a jamais été question pour le département des Arts graphiques d’acheter cet objet. Interrogé sur les raisons de son abstention, le Musée a répondu : « Le recueil de dessins avait été présenté au département pour une acquisition de gré à gré pour un prix très nettement supérieur à l’adjudication d’aujourd’hui de 2,7M$, et très supérieur aux capacités du musée qui avait donc dû renoncer à l’acquérir. » En gros donc, celui-ci, qui a refusé de l’acheter trop cher, n’a trouvé aucun intérêt à l’emporter (ou au moins essayer) pour beaucoup moins… Une explication totalement irrecevable donc. Selon nos informations, l’œuvre aurait été acquise par un collectionneur new-yorkais (non spécialisé dans les dessins).
 
2,7 millions de dollars, au cours actuel, cela représente un peu moins de 2,5 millions d’euros, un montant très raisonnable pour un objet comme celui-ci et quoi qu’il en soit pas si éloigné de la petite feuille de Goya achetée il y a quelques semaines qu’il avait emportée pour près de 2 millions d’euros (voir la brève du 30/11/22). Si la pertinence de ce dernier achat pouvait déjà être discutée dans l’absolu, elle doit l’être relativement, en comparaison avec cet exceptionnel album. Ajoutons que dans celui-ci, les feuilles sont montées sur onglet ce qui permet de les exposer sans problème indépendamment les unes des autres.

La politique du département des Arts graphiques, et pas seulement ses acquisitions, est décidément incompréhensible comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner à de multiples reprises. Pourtant, son directeur, Xavier Salmon, que tout le monde au Louvre et hors du Louvre donnait partant - y compris lui-même qui avait déjà préparé ses cartons - a été renouvelé de manière incompréhensible par un arrêté publié au Journal officiel le 26 décembre dernier. Les refus inexplicables de prêts (voir l’article), les restrictions de prêts abusives (voir l’article), les certificats d’exportation injustifiés (voir l’article), les règles de management incompréhensibles (voir l’article), les expositions discutables (voir l’article), les occasions manquées (ce volume d’Oudry en est un bel exemple) ou les achats trop onéreux (voir cet article ou cette brève du 13/2/19 [1]) vont donc pouvoir continuer [2].

Comme nous l’avons déjà écrit, le Louvre va incontestablement beaucoup mieux. Mais il lui reste quelques progrès à accomplir…



Et nous terminerons cet éditorial sur un cavalier législatif, avec l’information du jour sur l’éventuel prolongement de Catherine Pégard à Versailles (voir notre plus récent article). Comme vous avez pu le lire dans plusieurs journaux (par exemple sur Public Sénat), les sénateurs ont retoqué l’amendement qui avait pour but de lui permettre d’être renouvelée à Versailles. À moins d’un entêtement du président de la République, qui voudrait proposer le même stratagème à l’Assemblée nationale (ce qui pourrait causer les mêmes effets), il est peu probable cette fois que celle-ci puisse s’accrocher encore à son poste.

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