Un point d’étape sur la restauration du patrimoine parisien

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1. Henri Lemaire (1798-1880)
Tête de la Madeleine, détail du fronton de l’église de La Madeleine en cours de restauration
Pierre
Paris, église de La Madeleine
Photo : Didier Rykner
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Le 13 septembre dernier, l’adjointe à la maire de Paris en charge du patrimoine, Karen Taieb, présentait « les temps forts de la rentrée » pour le patrimoine parisien. Entendons-nous sur le terme : par patrimoine parisien, il faut ici comprendre la partie qui entre directement dans le champ de responsabilité de cette élue, à peu près la seule de cette mairie à avoir une conscience de l’importance de sa mission. On parle donc ici des monuments historiques appartenant à la Ville et des œuvres qu’ils contiennent, soit d’une partie seulement de ce patrimoine. Alors qu’une amélioration, depuis quelques années, peut se constater dans la restauration des églises et des fontaines notamment (insuffisante, faute de budget et de moyens à la hauteur des besoins, mais réelle), le reste du patrimoine - les jardins publics, les places, la beauté des rues, le mobilier urbains, etc., qui ne dépend pas d’elle, est massacré consciencieusement par la municipalité [1]. Mais au moins plusieurs actions ont été menées récemment ou sont actuellement en cours qui témoignent du travail mené par Karen Taieb et par les deux services, la COARC (Conservation des Objets d’Arts Religieux et Civils) et le DECH (Département des édifices cultuels et historiques) dont il est nécessaire de parler ici.

Le bilan des actions en cours, effectué à l’occasion de cette présentation de presse, n’est pas négligeable. C’est ainsi que trois chantiers importants sur des façades d’églises parisiennes sont actuellement en cours : la Trinité, qui doit encore durer jusqu’à février 2027, l’église Saint-Eustache et la Madeleine (ill. 1), qui seront terminés en 2023. Nous reviendrons sur ce dernier édifice dans un très prochain article. Il faut y ajouter le massif d’entrée de Notre-Dame-de-la-Gare (fin en avril 2023), les façades et toitures de Saint-Louis-en-l’Île, un gros chantier, qui dure depuis dix ans et qui devrait enfin être terminé en juin 2023, les façades et toitures du temple des Billettes qui seront terminées en janvier prochain ou encore la toiture de l’église Saint-Martin-des-Champs (anciennement Saint-Martin-des-Marais) dont la réfection se termine. La restauration du portail sud de Saint-Sulpice, qui été victime d’un incendie en mars 2019 (voir la brève du 17/3/19), sera terminée en novembre 2022

Beaucoup de ces chantiers ont trainé des années, et il faut se réjouir de leur accélération récente. C’est ainsi que la toiture de l’église Saint-Philippe-du-Roule, couverte depuis des années d’un échafaudage qui servait uniquement à empêcher la pluie de pénétrer dans l’édifice (voir cet article et celui-ci) s’est achevé il y a quelques mois, et que les travaux sur le clocher de l’église Saint-Gervais-Saint-Protais, qui se faisaient attendre depuis des années malgré l’installation d’un échafaudage, sont en cours et seront finis en janvier 2024.


2. Hippolyte Flandrin (1809-1864)
La Cène et Saint Jean écrivant l’Apocalypse
(état le 18 février 2017)
Peinture murale, chapelle Saint-Jean
Paris, église Saint-Séverin
Photo : Didier Rykner
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3. Hippolyte Flandrin (1809-1864)
La Cène et Saint Jean écrivant l’Apocalypse (après restauration)
Peinture murale, chapelle Saint-Jean
Paris, église Saint-Séverin
Photo : Didier Rykner
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Nous reviendrons sur plusieurs de ces chantiers dans les mois à venir , comme nous traiterons aussi des opérations menées, à l’intérieur des églises cette fois, par la COARC, pour la restauration notamment des décors muraux (Saint-Joseph des Nations, Saint-Sulpice - voir la brève du 24/4/22, Saint-Séverin - voir la brève du 15/7/20, Saint-Thomas d’Aquin notamment). Alors que ceux-ci étaient depuis longtemps délaissés par la Ville de Paris, là encore ces dernières années ont vu de nombreuses restaurations être menées, au point que nous avons même du retard pour en parler. C’est ainsi par exemple que nous n’avons pas encore cité l’heureuse résurrection grâce au mécénat de la Fondation Avenir du Patrimoine à Paris [2] de la chapelle Saint-Jean à Saint-Séverin (ill. 2 à 5). Ces deux peintures attendaient une restauration depuis fort longtemps, surtout celle de gauche (ill. 2 et 3) dont les dégradations sont très anciennes. Il fallait cependant que les problèmes structurels occasionnant des infiltrations dans les murs soient résolus. On ne peut qu’admirer, une fois de plus, le résultat. En novembre devrait débuter la restauration de la chapelle peinte par Sébastien Cornu qui jouxte celle d’Alexandre Hesse récemment restaurée (voir la brève du 15/7/20).


4. Hippolyte Flandrin (1809-1864)
Le Martyre de saint Jean et La Vocation de saint Jean et de saint Jacques
(état le 18 février 2017)
Peinture murale, chapelle Saint-Jean
Paris, église Saint-Séverin
Photo : Didier Rykner
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5. Hippolyte Flandrin (1809-1864)
Le Martyre de saint Jean et La Vocation de saint Jean et de saint Jacques
(après restauration)
Peinture murale, chapelle Saint-Jean
Paris, église Saint-Séverin
Photo : Didier Rykner
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Nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion de donner notre avis sur le « budget participatif ». La restauration du patrimoine parisien, dans la majorité des cas protégé au titre des monuments historiques, ne devrait pas être une option laissée au choix des Parisiens au détriment d’autres actions indispensables. Il reste que plusieurs chantiers sont mené grâce à ce système, et que toute restauration est bonne à prendre. Quatre projets ont ainsi pu être décidés en 2021 : la restauration de la chapelle des Âmes du Purgatoire de Notre-Dame-de-Lorette (voir cet article), de deux chapelles de Saint-Sulpice, « restaurer et embellir les églises du VIIe arrondissement », un intitulé un peu vague dont nous attendons de voir ce qu’il donnera et « investir pour la longévité et l’accessibilité de nos églises (VIIe) », tout aussi elliptique, ces deux projets réunissant tout de même un budget total de 3,9 M€. Les résultats du budget participatif 2022 seront connus le 12 octobre.


6. Louis Visconti (1791-1853), James Pradier (1790-1852) et Bernard Seurre (1795-1867)
Fontaine Molière, après restauration
Paris, IIe arrondissement
Photo : Didier Rykner
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C’est aussi grâce à ce processus que la fontaine Molière, dont l’architecte est Louis Visconti et les sculpteurs sont James Pradier et Bernard Seurre (ill. 6 à 10), a pu être restaurée et inaugurée le 28 septembre. Symbole de l’absurdité d’un système qui conditionne à un vote la restauration nécessaire d’un monument historique insigne. La fin justifie les moyens pourra-t-on dire...


7. James Pradier (1790-1852)
La Comédie sérieuse (état en 2017)
Marbre
Paris, Fontaine Molière
Photo : Didier Rykner
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8. La Comédie sérieuse (après restauration)
Marbre
Paris, Fontaine Molière
Photo : Didier Rykner
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9. James Pradier (1790-1852)
La Comédie légère (état en 2017)
Marbre
Paris, Fontaine Molière
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10. James Pradier (1790-1852)
La Comédie légère (après restauration)
Marbre
Paris, Fontaine Molière
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La restauration a été remarquablement menée [3] et malgré l’usure des sculptures en marbre de Pradier, celles-ci conservent encore une grande partie de leurs qualités. Il faut espérer qu’ à l’avenir, leur état sera mieux surveillé, et qu’elles ne subiront plus de nettoyages intempestifs au jet d’eau comme nous en avions été témoin en 2019 (voir cet article). Les dégradations causées par « la mauvaise utilisation des jets d’eau de nettoyage » ont d’ailleurs été confirmées par le diagnostic, dans un document publié par la Mairie de Paris elle-même, par ailleurs fort intéressant à lire sur l’historique de l’œuvre et les questions qui se posent sur sa polychromie. Il est par ailleurs regrettable que l’on n’ait pas cru devoir enlever sur le mur pignon de l’immeuble adjacent (ill. 11) le grotesque petit carrelage « space invader », une blague potache parfois anodine mais qui n’a rien à faire ici à côté d’un monument historique. Quant à l’affiche « Affichage interdit sous peine de poursuite », tout aussi moche et qui ne dissuadera personne, elle pourrait aussi bien être enlevée également.


11. Pan de mur à côté et en covisibilié avec la Fontaine Molière
Photo : Didier Rykner
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Pour les fontaines, nous avons déjà parlé ici (voir la brève du 14/5/22) de celle des Innocents dont le chantier proprement dit commencera en juillet 2023 pour se terminer un an plus tard. Le comité scientifique, à l’issue des études et du chantier test, a décidé que seules les cinq nymphes de Jean Goujon seront remplacées (pour être déposées au Louvre où elles rejoindront les reliefs qui y sont déjà conservés) et que les copies seront réalisées selon la technique des résines teintées (ou polymère chargé). Incontestablement il s’agissait de celle qui nous était apparue comme la meilleure lors de la visite que nous avions pu faire sur le chantier. Il reste à souhaiter qu’une exposition et un catalogue permettront de documenter cette opération.
Enfin, la fontaine des Quatre Saisons d’Edme Bouchardon, qui était réellement en péril, sera restaurée entre janvier 2023 et mars 2024, tandis que celle de Tinguely et Niki de Saint-Phalle (qui sort de notre champ), qui avait également bien besoin d’une restauration, verra son chantier terminé au printemps prochain.
Signalons aussi la restauration (obtenue de haute lutte par la mobilisation née sur Twitter - voir cet article) à venir des deux fontaines de la place de la Concorde, et de deux des guérites de villes, celles de Lille et Strasbourg toutes deux portant des sculptures de James Pradier. Une fois terminés, ces travaux laisseront place au scandale de l’installation d’un site des Jeux Olympiques…

Concluons pour souligner, une fois n’est pas coutume, il s’agit même probablement d’un cas unique, le courage de la municipalité qui a décidé de soutenir le classement monument historique de l’église du Sacré-Cœur. Il s’agit indiscutablement d’un monument phare de Paris qui aurait dû bénéficier depuis longtemps d’une telle protection. Mais le mythe (faux) de sa construction décidée en repentir de la Commune - un mensonge historique pourtant toujours bien vivant dans l’esprit de certains - empêchait jusqu’à présent une telle reconnaissance. La mairie de Paris a raison de l’avoir décidé et il faut espérer que le vote du Conseil de Paris en octobre prochain confirmera ce choix.

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