Pradier sous haute pression...

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Vers 18 h 10, hier mardi 22 octobre, Alexandre Lafore, journaliste à La Tribune de l’Art, marchait rue de Richelieu lorsqu’il a assisté à une scène ahurissante. Une équipe de nettoyage de la Ville de Paris passait la rue au jet d’eau sous pression à côté de la fontaine Molière (ill. 1), de l’architecte Visconti et des sculpteurs Pradier et Seurre (ce dernier est l’auteur du Molière en bronze, Pradier des deux sculptures de part et d’autre). Sous les yeux ébahis de notre journaliste et d’un ami qui l’accompagnait, l’employé de la Ville a orienté le jet d’eau vers la sculpture, et a tranquillement commencé à arroser la sculpture pour la débarrasser des saletés qui la recouvraient. Le temps qu’Alexandre Lafore se précipite vers lui, pour l’interrompre, il n’a pas eu le temps de photographier. L’illustration que nous publions se situe juste après l’incident (ill. 2)...


1. Louis Visconti (1791-1853)
James Pradier (1790-1852) et
Bernard Seurre (1795-1867)
Fontaine Molière
Paris, IIe arrondissement
Photo : Didier Rykner
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2. La fontaine Molière après le passage du
jet d’eau sous pression
Photo : Alexandre Lafore
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Le nettoyage d’une sculpture ne s’improvise pas, et doit être effectué par des personnes habilitées et formées. Envoyer un jet sous pression sur des sculptures, surtout celles déjà fortement abîmées de la fontaine Molière n’est, ni plus ni moins, qu’un vandalisme. L’eau sous pression tout autant que la saleté, érode la pierre. Une sculpture soumise à ce traitement peut très rapidement perdre son épiderme et être définitivement ruinée.

Interrogée, la Mairie de Paris nous a fait la réponse suivante, que nous donnons dans son intégralité : « Le service de la propreté de la Ville est régulièrement sollicité par la mairie du 1er arrondissement pour nettoyer les abords de la Fontaine (muret et intérieur) qui sont régulièrement souillés, notamment par des excréments.
Les agents de la propreté suivent un protocole et travaillent avec un jet « parapluie » pour diminuer la pression du jet d’eau sur la pierre et éviter les altérations. Ils interviennent uniquement sur le bas (le muret) de la Fontaine.
Nous ne procédons pas de la même façon lorsque nous devons traiter des graffitis sur cette fontaine, ou un autre monument, car nous prenons au préalable l’attache de la Direction des Affaires Culturelles qui valide les moyens et techniques d’intervention.
Les services de la propreté ont l’habitude et les compétences pour intervenir sur les monuments historiques, comme cela a été le cas sur l’Arc de Triomphe le 2 décembre 2018 après la manifestation des gilets jaunes.
Par ailleurs, la Fontaine sera restaurée l’année prochaine : phase d’études durant le 1er semestre 2020 et la restauration au 2e semestre 2020.
Cette restauration a été votée dans le cadre du budget participatif Parisien 2019, pour un montant de 360 000 euros.
Il s’agira de restaurer les parements de la fontaine, d’une réfection de l’étanchéité et d’une remise aux normes hydrauliques.
Karen Taïeb, adjointe à la Maire de Paris chargée du Patrimoine, souhaite rappeler le soin particulier accordé aux édifices patrimoniaux
 »

Il n’y a, bien entendu, aucun problème à nettoyer le bas de la fontaine, notamment la vasque et le muret. Cela correspond à un accord entre la COARC, le service de la Conservation des Œuvres d’Art Religieuses et Civiles de la Ville de Paris, et le service de la propreté. Mais il n’était pas question de cela ici. Le jet a bien été appliqué directement sur les sculptures de Pradier, ce qui, comme le reconnaît en creux la Mairie, est parfaitement prohibé. Que cela se produise sous les yeux d’un journaliste de La Tribune de l’Art constitue néanmoins une telle coïncidence qu’il est réellement peu probable s’agisse d’un cas isolé. On frémit en pensant à ce que ces sculptures, mais aussi toutes celles qui ornent l’espace public ont déjà ou vont encore subir si rien n’est fait. Il est regrettable que plutôt que de chercher à justifier ce que nous avons pu constater de visu, la mairie préfère se réfugier derrière son prétendu « soin particulier accordé aux édifices patrimoniaux. » Il est par ailleurs ridicule d’affirmer que les services de la propreté auraient les compétences pour intervenir sur les monuments historiques. On ne savait pas que le métier de restaurateur de sculptures était tellement sinistré qu’il nécessitait de faire des travaux complémentaires dans le domaine du nettoyage urbain.

Cette affaire démontre une nouvelle fois la légèreté dont fait preuve la Mairie de Paris dans le soin qu’elle prend de son patrimoine. Devant un tel acte, une seule solution s’impose à elle : reconnaître l’erreur et agir immédiatement pour rappeler à ses équipes l’interdiction absolue d’une telle pratique, sous peine de fortes sanctions. Mais il faut bien entendu aller au delà : former son personnel est une obligation. Interdire simplement ce geste, c’est s’assurer qu’il se renouvellera. Des formations professionnelles informant des risques pour le patrimoine d’un nettoyage à l’eau sous pression, et plus largement de ce que l’on peut, et de ce que l’on ne peut pas faire pour nettoyer un monument semblent urgentes à mener.

Quant à la restauration de cette fontaine votée au budget participatif pour un montant de 360 000 €, nous en sommes évidemment très heureux, même si nous continuons à penser que l’entretien des monuments historiques ne devrait pas être soumis au vote populaire alors qu’il s’agit d’une obligation de la Ville ! Cette restauration indispensable ne change d’ailleurs rien au fait qu’il serait souhaitable de ne pas abîmer cette fontaine encore davantage qu’elle ne l’est déjà…

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