Réouverture de l’église d’Arc-sur-Tille

1. Charles-Félix Saint-Père (1804-1895)
Église d’Arc-sur-Tille, 1826-1833
Photo : Didier Rykner (8/9/22)
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Le 23 juin 2006, le préfet de Côte-d’Or, un haut fonctionnaire du nom de Paul Roncière [1], écrivait à l’association « Une église pour Arc/Tille » un courrier où il demandait la destruction de l’église du village construite au début du XIXe siècle et de style néo-classique (voir cet article). Celle-ci était fermée depuis plus de quinze ans en raison de faiblesses structurelles qui faisaient craindre pour sa pérennité.
Alors que la DRAC avait plusieurs années auparavant commandé deux études successives afin d’estimer la faisabilité de l’opération et son coût, tandis qu’un architecte du patrimoine, mandaté par l’association, avait réalisé une troisième étude s’appuyant sur les deux premières afin de les actualiser en privilégiant dans une première tranche le sauvetage de l’église, le préfet affirmait que ce travail n’était pas valable, et qu’il était impossible de la sauver. Il se contentait, employant le terme « déconstruction », un euphémisme habituel chez les adeptes de la démolition du patrimoine qui n’assument pas complètement leurs actes, de proposer de « préserver certains éléments d’ordres cultuel ou patrimonial, tels que : l’autel, le baptistère, les vitraux, les cloches, une pierre tombale classée », de concevoir un « lieu de mémoire » (sic) à l’emplacement de l’église, et « l’édification, sur un terrain proche, d’un nouveau lieu de culte ». Il prenait soin de souligner « l’assentiment » de l’archevêque de Dijon, Mgr Minnerath. Il encourageait même - c’est écrit dans le courrier - « le maire d’Arc-sur-Tille [à] s’engager au plus vite dans la mise en œuvre de son projet ».


2. Charles-Félix Saint-Père (1804-1895)
Nef de l’église d’Arc-sur-Tille, 1826-1833
Photo : Didier Rykner (8/9/22)
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La mairie, l’Église et l’État s’entendaient donc pour décréter la destruction d’un édifice que l’État avait auparavant refusé d’inscrire monument historique malgré le vote unanime de la commission. Une attitude inadmissible, d’autant que la loi n’exige pas l’accord du propriétaire pour décider d’une telle protection. Heureusement, l’association a tenu bon. Et, surtout, lors des élections suivantes, le maire a été battu avant d’avoir pu mettre en œuvre ses funestes desseins. Le nouvel élu, Patrick Morelière, qui est toujours aujourd’hui le maire du village, était dans des dispositions toutes différentes. Ce qui était impossible est devenu une réalité : l’église d’Arc-sur-Tille a été sauvée (ill. 1 et 2), l’argent nécessaire étant peu à peu réuni, grâce à l’association et à la participation de nombreux mécènes, notamment fédérés par la Fondation du Patrimoine, et plus récemment grâce à la mission Bern. L’église est désormais rouverte au culte et aux visites, et l’inauguration officielle a eu lieu aujourd’hui samedi 10 septembre, même si des travaux de finition restent encore nécessaires (il faut encore trouver environ 200 000 euros).


3. France, vers 1888
Saint-Martin partageant son manteau
Vitrail
Arc-sur-Tille, église Saint-Martin
Photo : Didier Rykner
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4. France, vers 1888
Vierge à l’enfant remettant
le rosaire à saint Dominique

Vitrail
Arc-sur-Tille, église Saint-Martin
Photo : Didier Rykner
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5. France, 1823
Chaire à prêcher
Arc-sur-Tille, église Saint-Martin
Photo : Didier Rykner
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Les lecteurs de La Tribune de l’Art connaissent bien cet édifice sur lequel nous avons déjà beaucoup écrit, des articles qui ont joué positivement pour sa sauvegarde. Il y a neuf ans, nous avions signalé le début des travaux, et nous avions réalisé une vidéo à laquelle nous renvoyons (voir cet article).
Nous ajoutons au dossier quelques photos que nous avons prises jeudi 8 septembre, qui montrent à quel point ce monument est à la fois beau et important. Son architecture est monumentale, la disposition des colonnes de la nef rappelant celles de la Grande Galerie du Louvre. Quant au décor et au mobilier, outre les vitraux (ill. 3 et 4) et la très belle chaire (ill. 5), on remarque les peintures de l’abside qui sont des copies d’œuvres célèbres de Léonard (La Cène), de Raphaël (Le Mariage de la Vierge) et, de manière plus étonnante, mais qui donne une idée de la popularité de l’artiste à la fin du XIXe siècle, du Baptême du Christ d’Hippolyte Flandrin de l’église Saint-Germain-des-Prés [2].


6. Chœur de l’église d’Arc-sur-Tille,
on voit la copie de la Cène de Léonard de Vinci, et celle du Mariage de la Vierge de Raphaël
Photo : Didier Rykner
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7. France, vers 1879, d’après Hippolyte Flandrin
Le Baptême du Christ
Arc-sur-Tille, église Saint-Martin
Photo : Didier Rykner
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On notera aussi la grille de chœur datant du XVIIIe siècle (ill. 6), témoignage de l’église qui précédait celle-ci. Il semble que des discussions ont eu lieu pour savoir si elles devaient ou non être conservées ! Fort heureusement, elles l’ont été car on aurait difficilement compris qu’il en soit autrement.


8. France, XVIIIe siècle
Grille du chœur de l’ancienne église remployée dans l’église d’Arc-sur-Tille
Photo : Didier Rykner
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Cette histoire qui finit bien devrait servir aux élus, aux préfets, et au ministère de la Culture parfois si prompt à refuser la sauvegarde de monuments en périls soi disant impossibles à restaurer. Car pour une église sauvée, combien d’autres disparues ? Celle de Gesté, l’église Saint-Jacques d’Abbeville, ou encore la chapelle Saint-Joseph de Lille, très récemment, ont été sauvagement détruites car elles étaient soi disant impossibles à restaurer. C’était faux bien sûr, comme ça l’était à Arc-sur-Tille. Seule la volonté manquait, et contrairement à ce dernier exemple, le vandalisme a triomphé.

Il aura fallu trente-trois ans entre la fermeture de l’église (en 1989) et sa réouverture [3]. Mais le délai le plus important, celui entre sa fermeture et le début des travaux, aurait pu être évité si chacun, notamment l’État, avait joué son rôle. Le chantier proprement dit (incluant la recherche de financements) aura duré en tout et pour tout moins de dix ans [4].
Le budget total, jusqu’à la date d’aujourd’hui, se monte à environ 1 670 000 € dont 920 000 (plus de la moitié) ont été trouvés grâce au dons et legs. Il faudra ajouter encore environ 200 000 euros pour les travaux de finition, soit un total de 1 870 000 €.

Rappelons donc quelques évidences :

 la destruction et la reconstruction d’une église sont coûteuses, parfois tout autant que sa restauration,
 une restauration n’a pas besoin d’être effectuée comme si l’on restaurait la Sainte Chapelle : l’important, dans un premier temps, est de garantir la stabilité et la sécurité du monument, le chantier pouvant être programmé en plusieurs tranches ce qui permet de répartir le coût sur plusieurs années,
 le montant des travaux nécessaires est souvent surévalué, ce qui fait peur aux élus et obère leur jugement,
 les sources de financement sont nombreuses si la volonté est là : à l’argent que la commune aurait dû, quoi qu’il en soit, dépenser pour la démolition et la reconstruction d’un nouveau lieu de culte, s’ajoutent les subventions du département, de la région, de l’État, le mécénat, les souscriptions populaires, et désormais souvent le coup de pouce de la Mission Bern…
 peu importe la durée des travaux : nous travaillons aussi pour les générations à venir ; une démolition est définitive.

9. Charles-Félix Saint-Père (1804-1895)
et Pierre-Paul Petit
Façade de l’église de Marsannay
Photo : Didier Rykner
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L’église d’Arc-sur-Tille n’est à ce jour toujours pas protégée au titre des monuments historiques, alors qu’elle est évidemment a minima digne d’une inscription, et même à notre avis d’un classement. Ceci est d’autant plus incohérent que, non loin de là, à Marsannay, l’église construite par le même architecte Charles-Félix Saint-Père, entre 1830 et 1839, avec un avant-corps édifié un peu plus tard par un autre architecte de la région Pierre-Paul Petit (ill. 7 à 9), est inscrite depuis 1992. Si cette protection est parfaitement justifiée, ses qualités sont pourtant moindres que celle d’Arc-sur-Tille.
Le ministère de la Culture tirera-t-il des leçons de cette histoire ? On ne peut que l’espérer sans y croire vraiment : son dénouement heureux est connu depuis plusieurs années et rien ne semble avoir changé.


10. Charles-Félix Saint-Père (1804-1895)
Église Notre-Dame de Marsannay
Photo : Didier Rykner
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11. Charles-Félix Saint-Père (1804-1895)
Nef de l’église Notre-Dame de Marsannay
Photo : Didier Rykner
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Didier Rykner

Notes

[1Nous n’avons malheureusement pas réussi à retrouver ses coordonnées pour l’interroger avant cet article.

[2La base Palissy signale quelques autres œuvres, sculptures et peintures, qui ne sont pas encore revenues dans l’église.

[3Quelques ouvertures ponctuelles avaient eu lieu depuis 2013 afin de montrer l’avancement des travaux.

[4Et le Covid les a ralentis, sachant qu’initialement l’inauguration était prévue pour 2020.

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