Trois scandales autour de Notre-Dame

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L’incendie de Notre-Dame n’est hélas pas le seul drame qui risque de toucher la cathédrale. Si nous avons échappé à celui de la reconstruction d’une flèche moderne, après une mobilisation massive notamment de la communauté scientifique, au moins trois scandales majeurs menacent ce qui reste pourtant l’un des monuments français les plus importants et les plus aimés au monde. L’un n’a pas de rapport direct avec le sinistre même si celui-ci aurait dû favoriser une issue heureuse, le deuxième est directement lié à l’incendie car il n’aurait pas pu être envisagé sans qu’il survienne, et le dernier consiste à refuser de profiter d’un mal pour en faire un bien… Examinons les dans cet ordre.

1. Arthur-Stanislas Diet (1827-1890)
Hôtel-Dieu de Paris
Photo : Didier Rykner
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Le premier scandale touche l’Hôtel-Dieu (ill. 1), et il avait déjà commencé avant l’incendie, par la décision de privatisation partielle de ce monument. Or - mais bien sûr, comme on le sait, les promesses n’engagent que ceux qui y croient - l’Assistance Publique avait promis il y a quelques années d’y installer son musée (voir cet article), autrefois à l’hôtel Miramion vendu à Xavier Niel (voir cet article). Ce musée, toujours scandaleusement conservé en réserve, devra pourtant un jour retrouver un abri digne de ses collections : un lieu tout trouvé serait l’ancien hôpital de la Rochefoucauld (voir cet article).
Car depuis l’incendie, un projet de substitution dans l’Hôtel-Dieu a pris corps, qui semble à la fois logique et indispensable : y installer, à proximité de la cathédrale, le musée de l’Œuvre qui lui fait cruellement défaut. Ceci serait d’autant plus souhaitable que les collections qui pourraient être présentées dans ce musée se sont enrichies dernièrement du produit des fouilles de la croisée du transept - sans même compter ce que l’on pourrait encore trouver, nous en parlons plus loin. On pourrait y rajouter plusieurs Mays roulés dans les réserves du Musée d’Arras et du Louvre, les collections de l’ancien Musée du Cloître Notre-Dame, et beaucoup d’œuvres liées à la cathédrale conservées dans des réserves (sur les tribunes par exemple). Que ni la Ville de Paris, ni le ministère de la Culture - pour ne rien dire de la présidence de la République - ne daignent s’emparer de cette opportunité exceptionnelle en dit long sur leur absence de vision patrimoniale et culturelle. Pour ne citer que deux exemples, le Musée de l’Œuvre de la cathédrale de Strasbourg, et celui du Dôme de Florence comptent parmi les fleurons du patrimoine de ces deux villes.

2. Jardin de l’Archevêché en 2017
Photo : Dmitry Dzhus (CC BY-2.0)
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Le deuxième scandale est celui du square Jean XXIII, ou jardin de l’Archevêché, que la municipalité, avec la complicité active du ministère de la Culture qui a pourtant tous les moyens de s’y opposer, s’apprête à dénaturer gravement, installant par la même occasion au chevet de la cathédrale un de ces no man’s land dont elle a le secret (voir cet article).
Nous renvoyons aux articles que nous avons déjà écrit à ce propos. L’aménagement du parvis lui-même ne pose pas trop de problème. En revanche, l’enlèvement des grilles et les transformations prévues par le projet retenu sont inacceptables. Rappelons que la mairie se gargarise régulièrement de ses opérations de « concertation ». Or celle menée à cette occasion est sans ambiguïté : les Parisiens refusent qu’on touche à ce jardin historique (voir la brève du 10/11/21).

3. Fouilles à la croisée du transept de Notre-Dame de Paris
Photo : Didier Rykner
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Le troisième scandale enfin est celui du refus du président de la République et de la ministre de la Culture de poursuivre les fouilles dans le sol de Notre-Dame, notamment au niveau du chœur, afin de retrouver les vestiges sculptés du jubé dont les archéologues nous disent qu’une grande partie reste encore enfouie (voir cet article). Les statues déjà retrouvées à la croisée du transept témoignent de leur qualité exceptionnelle et de leur rare polychromie conservée du XIIIe siècle (voir la brève du 25/3/22). Il s’agit là d’œuvres que n’importe quel musée au monde s’arracherait. On ne peut imaginer que pour des considérations de délais qui ne sont en réalité motivées par rien, sinon un caprice d’Emmanuel Macron, la France puisse se priver d’un tel trésor. On peut d’ailleurs envisager, comme nous le faisait remarquer un lecteur (Patrick Chatelin) dans les commentaires de ce dernier article, que la cathédrale rouvre en 2024 au culte et aux touristes tout en menant pendant un an ou deux des fouilles dans le chœur [1]. Il suffirait d’installer un autel temporaire dans la nef, afin de permettre la célébration des messes. On pourrait même envisager de permettre aux visiteurs d’observer les fouilles en cours.

Aucun de ces scandales à venir n’est donc inéluctable, d’autant que, comme nous l’avions prévu avec beaucoup d’autres, la souscription lancée pour la restauration de Notre-Dame a permis de réunir beaucoup plus d’argent que ce qui était nécessaire. L’aménagement du musée de l’Œuvre et les fouilles pourraient parfaitement être financés par cette souscription. La loi votée impose - de manière parfaitement absurde - que tout aille à la restauration de Notre-Dame qui n’a pas besoin de tout cet argent. Nul doute que les souscripteurs accepteraient sans difficulté que leurs dons soient utilisés pour ces deux projets enthousiasmants. Ce qu’une loi a fait, une autre loi pourrait le modifier. Il suffit de le vouloir. Quant au massacre planifié du jardin de l’Archevêché, nul besoin de le financer, bien au contraire : son abandon générera des économies que la Ville pourrait également affecter à l’Hôtel-Dieu.

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