Versailles et le fait du prince

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Le château de Versailles
Photo : Didier Rykner
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L’information a été révélée par La Lettre A le 21 décembre : déjà maintenue à la présidence de Versailles (voir nos articles) sans aucune justification légale, Catherine Pégard pourrait être nommée une fois de plus à ce poste grâce à un décret qui lèverait toutes les restrictions : âge légal repoussé à 70 ans, pas de limitation dans le nombre de mandats successifs et possibilité de terminer un mandat, même si l’âge légal est dépassé. La totale donc, pour ce que l’on pourrait donc appeler un décret « spécial Pégard ».

Nous n’avons pas eu connaissance du contenu exact de ce décret à part ce qu’en a dit La Lettre A, mais nous avons pu vérifier que celui-ci existe bien et qu’il a effectivement été soumis au Conseil d’État avant d’être présenté prochainement au Conseil des ministres. Il faut en effet aller vite : si l’on peut, à la limite, considérer que la limite d’âge ne s’appliquerait pas à Catherine Pégard qui n’est pas fonctionnaire mais contractuelle (même si cette interprétation est très discutable, s’agissant d’une fonction publique), la fin de son mandat, quoi qu’il en soit, était octobre 2022. Si le budget de l’an dernier pouvait donc se poursuivre, les engagements de 2023 ne peuvent être signés que par un président ayant réellement et officiellement ce titre.

La Lettre A souligne néanmoins la fragilité d’un tel décret. Elle révèle que le Conseil d’État aurait mis en garde le gouvernement contre un risque d’« abus de pouvoir », « faute d’un motif d’intérêt général suffisamment caractérisé ». Toute personne morale ou physique ayant « intérêt à agir » pourrait ainsi porter l’affaire devant les tribunaux. Ce pourrait donc être soit une association (on pense aux syndicats), soit un candidat potentiel, c’est-à-dire en réalité à peu près tout le monde puisque la nomination de Catherine Pégard a montré que n’importe qui pouvait prétendre à ce poste.

Si ce décret est évidemment conçu pour Catherine Pégard, il est évident qu’il permettrait aussi à Emmanuel Macron d’appliquer la recette pour toutes les nominations, ce qui ne serait sans doute pas pour lui déplaire. Pourquoi pas, d’ailleurs, pendant qu’on y est, des nominations à vie ?
S’il faut reconnaître que certaines nominations à la tête d’établissements publics (le Louvre, Orsay, le Centre Pompidou…) ont été faites dans les règles, et en nommant des candidats qui tenaient la route, les dérives que l’on voit ailleurs, et notamment à Versailles, sont indignes d’une République « exemplaire ». Et elles entérinent encore plus l’effacement progressif d’un ministère de la Culture, dont on se demande toujours davantage à quoi sert le titulaire du poste.

Frédéric Martel, sur France Culture, ne dit pas autre chose. Si l’on serait certainement en désaccord avec la vision que celui-ci a de Versailles, sa description de la manière dont l’actuelle intérimaire est arrivée à son poste - nous ne connaissions pas tous les détails de l’histoire - est particulièrement intéressante, comme l’est la « morale » qu’il en tire et que nous citons ici in extenso : « une courtisane a fait éjecter Jean-Jacques Aillagon de Versailles, quand son bilan était bon, pour prendre sa place en prétextant de sa limite d’âge. On utilise aujourd’hui une règle inverse pour tenter de renommer une présidente au bilan plus que mitigé et qui dépasse la limite d’âge. Il y a une expression pour cela : le fait du prince. »

Pour terminer, rappelons pourquoi, outre les intrigues insupportables autour de sa nomination, nous pensons que Catherine Pégard n’est pas à sa place à la présidence de Versailles. Voici quelques articles publiés sur La Tribune de l’Art :

 la nomination de Jacques Moulin comme architecte en chef des monuments historiques pour les jardins (brève du 14/9/12), et plus globalement le maintien à Versailles de son associé Frédéric Didier ;
 l’exposition Ahae à Versailles (voir l’article) ;
 l’envoi des Bains d’Apollon à Abu Dhabi et à Versailles (voir cet article, et celui-ci) ; et l’exposition d’Arras (voir cet article) ;
 le traitement infligé au parc pour l’exposition Kapoor (voir l’article et celui-ci) ;
 la destruction de la vieille aile de Versailles (voir cet article et celui-ci) ; certes, ce projet avait été décidé avant l’arrivée de Catherine Pégard à Versailles, mais elle est bien responsable de sa mise en œuvre et n’a strictement rien fait pour l’amender ou le faire annuler, alors qu’il s’agit d’un des plus grands scandales patrimoniaux en France de ces dernières années ;
 les « restaurations » désastreuses des fontaines (voir cet article) ;
 l’affaire des faux sièges (voir cet article) ; certes, Catherine Pégard n’est pas conservateur ni historienne de l’art, ni compétente dans aucun domaine historique (et c’est bien d’ailleurs un des problèmes), mais l’affaire a bien eu lieu sous son mandat ;
 l’affaire ubuesque du « lit de Louis XVI » (voir la brève du 1/9/17) ;

Il est vrai qu’à partir de 2017 nous avons consacré moins d’articles aux désastres versaillais, par lassitude et tant ils sont nombreux, pour nous concentrer essentiellement sur les points positifs, qui existent, il serait malhonnête de ne pas le reconnaître. Catherine Pégard, au moins, laisse les conservateurs travailler, ce qui explique que nombre d’entre eux l’apprécient. Grâce à cela, la politique d’exposition est en général d’un excellent niveau, et les acquisitions sont la plupart du temps pertinentes (hors évidemment les affaires de faux, qui se sont déroulées sous sa présidence, avant l’arrivée du nouveau directeur de la conservation).
Mais nous ne supportons plus de nous rendre à Versailles, qui est devenu en grande partie le royaume du toc. Nous n’avons fait qu’évoquer (ici ou ), car nous avons parfois l’impression de prêcher dans le désert, l’installation de la climatisation dans une aile du château, et nous n’avons pas parlé du tout, car cela sort de notre champ, du mariage de Carlos Ghosn (voir par exemple cet article) ou du scandale plus récent des potagers… Sur ce dernier point nous renvoyons à cet article de Libération qui explique en partie pourquoi Emmanuel Macron est chez lui à Versailles sous le règne de Catherine Pégard, ce qui suffirait donc à justifier la prolongation de son mandat… Le dernier article que nous avons publié sur les dérives de Versailles date du 7 mars 2021, mais nous espérions à cette date un changement de politique grâce au changement de président. On sait ce qu’il en est advenu…

Les mandats successifs de Catherine Pégard auraient-ils été parfaitement vertueux, elle ne pourrait plus être renommée à ce poste. C’est la règle, c’est à cela qu’on reconnaît une démocratie qui fonctionne. Manifestement, ce n’est plus le cas de la France (et ce n’est pas nouveau hélas).

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