Philippe Bélaval à l’Élysée, qui pour Versailles ?

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Philippe Bélaval
Photo : B. Gavaudo/CMN
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Dans un article publié aujourd’hui dans Le Monde, Roxana Azimi nous apprend deux informations importantes.
La première : Philippe Bélaval quitte la présidence du Centre des monuments nationaux (CMN) qu’il aurait dû abandonner en juin, car il avait atteint la limite d’âge ; à 68 ans, il ne pouvait prétendre prolonger son mandat. Mais il retrouve une fonction importante puisqu’il devient conseiller culture auprès du président de la République, Emmanuel Macron, un poste qui n’avait pas été pourvu depuis que Rima Abdul Malak qui l’occupait avait été nommée ministre de la Culture.

Il s’agit a priori d’une excellente nouvelle. Car voilà, pour une fois, un conseiller culture qui sait ce qu’est le patrimoine, et qui a montré au cours de ses précédentes fonctions qu’il se rangeait souvent dans le camp de ses défenseurs. Ce fut notamment le cas au Centre des monuments nationaux [1] où il a mené beaucoup de travaux, et permis de sortir par le haut du dossier de l’hôtel de la Marine. Nous renvoyons à la brève publiée lors de sa nomination en 2012 pour en savoir davantage.

La seconde information est que le décret soumis au Conseil d’État pour prolonger le mandat de Catherine Pégard à la tête de Versailles, dont La Lettre A avait révélé l’existence (voir l’article), s’il met effectivement en garde le gouvernement contre le risque de « détournement de pouvoir [2] » va en réalité beaucoup plus loin : l’article du Monde écrit en effet que le décret a « été rejeté ». Nous pouvons apporter quelques précisions supplémentaires.
Le Conseil d’État ne peut pas rejeter un décret - son avis n’est que consultatif. Mais celui-ci a en effet conclu, à l’unanimité de la section de l’administration en charge de donner cet avis, que ce texte est entaché d’illégalité. De plus, les raisons données pour justifier le prolongement de Catherine Pégard sont considérées comme injustifiées et qu’il n’y a pas d’« intérêt public » à celui-ci. Ces arguments étaient de trois natures, tous plus spécieux les uns que les autres :
 il y a des travaux immobiliers en cours (et alors ? il y a toujours des travaux immobiliers en cours à Versailles, depuis le XVIIe siècle !),
 Catherine Pégard a une grande importance pour le mécénat (le rôle d’un président d’établissement étant de trouver des mécènes, à ce titre il serait toujours impossible de remplacer un président en place [3]).
 à l’occasion des Jeux olympiques en 2024, le parc de Versailles sera site olympique pour les épreuves équestres et une grande partie des épreuves du pentathlon moderne (inutile de souligner l’inanité de cet argument…).

Le gouvernement peut, comme le disait La Lettre A, passer outre cet avis. Mais les risques sont très importants ; toute personne ayant intérêt à agir, c’est-à-dire à peu près tout le monde, pourrait attaquer chaque décision prise par l’établissement public : associations, syndicats, fournisseur non retenu, candidat non retenu pour n’importe quel recrutement, et même tout simplement toute personne qui pourrait être nommée à la place de Catherine Pégard, soit n’importe quel journaliste par exemple…
Quoi qu’il en soit, comme nous l’écrivions, depuis le 1er janvier il est impossible à Catherine Pégard, sauf à être renommée (avec donc les risques soulignés plus haut), d’engager quelque budget que ce soit pour 2023. L’urgence est donc là : soit de son prolongement très risqué, soit de la nomination de quelqu’un d’autre. Espérons simplement que l’on ne tombera pas de Charybde en Scylla et qu’Emmanuel Macron poursuivra la série de nominations légitimes qu’il a assurées pour les autres grands musées : après le Louvre, Orsay et le Centre Pompidou, qui sait : un bon président pour Versailles ?

Terminons sur une remarque. En dehors de la valeur intrinsèque des personnes, nous avons déjà dit pourquoi les règles sont faites pour être respectées : si la limite d’âge joue pour un président d’établissement public (donc pour le CMN et Versailles), rien n’interdit à un conseiller de l’Élysée d’aller bien au-delà de l’âge de la retraite. En cela, la nomination de Philippe Bélaval est tout à fait régulière.

Didier Rykner

Notes

[1À l’exception de deux épisodes malheureux : l’installation d’une œuvre d’art contemporain sur les remparts de Carcassonne, qui a laissé des traces, qu’il a reconnue être une erreur et, surtout, les travaux désastreux des étangs de Ville-d’Avray qui ont défiguré ce site…

[2Dans sa première version, La Lettre A parlait d’« abus de pouvoir », mais a corrigé en « détournement de pouvoir ».

[3Remarquons que sa capacité à susciter du mécénat semble un des points forts de son mandat que nous n’avions pas souligné.

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