À Versailles, désormais, on supprime du XVIIIe siècle pour retrouver du XVIIIe siècle

6 6 commentaires

Il y a longtemps que nous n’avons pas parlé de Versailles. Non, hélas, que tout serait revenu à la normale. Frédéric Didier continue de faire du Frédéric Didier et Jacques Moulin du Jacques Moulin sous le regard complice du ministère de la Culture. Cette forteresse au sein de l’Île-de-France, étanche à toute réflexion patrimoniale et seulement vertueuse dans la gestion du musée (acquisitions, expositions…) continue à dériver de plus belle.

Mais cette fois-ci, un nouveau cap est franchi. Non pas par l’importance de la partie menacée car il ne s’agit diront certains que de « quelques placards ». Quelques placards certes, mais du XVIIIe siècle, et qui occupent en partie la première antichambre dans l’appartement dit de Madame Du Barry.
Cet appartement, a été aménagé à l’origine en 1751 comme Petit appartement du roi. La pièce était alors une antichambre. Elle devint ensuite une première antichambre lorsque s’installa dans les lieux Marie-Josèphe de Saxe, puis une antichambre à nouveau de 1770 à 1774 pour Madame Du Barry.
Après le renvoi de la Du Barry par Louis XVI en 1774, l’appartement est séparé en trois parties pour loger le premier valet de la chambre du roi Thierry de Ville d’Avray, le duc de Villequier et le comte de Maurepas.

Nous tenons cette chronologie de l’étude faite par l’architecte en chef des monuments historiques Frédéric Didier et son agence 2BDM. Celle-ci se poursuit ainsi, avec une date approximative par :
« Fin du XVIIIe siècle : adaptation fonctionnelle de la pièce avec ajout de placards de remploi de part et d’autre de la cheminée masquant la symétrie de l’élévation sud axée, empiétant maladroitement sur les lambris et le plafond muni de panneaux moulurés »
Puis, en 1943-47, une campagne de restauration est menée par l’ACMH André Japy consistant à retrouver l’état « Madame Du Barry » qui, comme le rappelle l’étude, n’a occupé les lieux que quatre ans. Dans cette pièce, cela a signifié la « réfection à l’identique du plafond et consolidation du plancher haut. Restitution des trumeaux de glace. Restauration des lambris et du plancher ».
On se contentera de remarquer que les travaux de la « fin du XVIIIe siècle » - qu’il serait plus juste de qualifier de travaux menés sous Louis XVI, car on n’a évidemment mené aucun travaux d’aménagement de ce type sous la Révolution - tels qu’ils sont décrits par l’architecte, sont déjà condamnés : « adaptation fonctionnelle », « placards de remploi » (un « remploi » qui tombe bien puisqu’ils sont parfaitement insérés dans la pièce…), qui « masquent » la « symétrie » de l’ensemble (c’est important la symétrie) et qui empiètent « maladroitement » sur les lambris et le plafond (ill. 1).


1. Première antichambre de l’appartement de Madame du Barry
Les placards qui doivent être supprimés pour retrouver la symétrie sont celui à gauche et ceux à droite de la cheminée, qui pourrait aussi être déplacée légèrement
Photo : Trizek (CC BY-SA 3.0)
Voir l´image dans sa page

Car bien entendu, ce que veut Frédéric Didier, et ce qu’a accepté le fameux « contrôle scientifique et technique » de la DRAC Île-de-France, c’est supprimer l’aménagement de la « fin du XVIIIe siècle » pour retrouver, ce qu’André Japy qui n’était pas toujours très bien inspiré (on voit dans l’étude que sa restitution du trumeau de glace était « incohérent avec le fantôme visible sur le parquet de glace ») n’avait pas osé faire.
On veut donc revenir à la « symétrie » d’origine (ill. 2), effectivement abandonnée depuis les travaux « fin du XVIIIe siècle » en déplaçant si nécessaire la cheminée, en éliminant ces placards « rapportés » qui empiètent « maladroitement » sur les lambris et le plafond (restaurés, rappelons-le, par André Japy). Derrière les placards en effet, subsistent les lambris - très simples - de 1751 et qu’a connus Madame Du Barry.


2. Schéma de l’état projeté
©2BDM
Voir l´image dans sa page

Si André Japy avait tenté de retrouver l’ « état Madame Du Barry », cela avait constitué essentiellement à enlever les cloisons séparant l’appartement, dans la salle à manger et dans le grand cabinet, à restituer entièrement la pièce de la femme de chambre d’après les plans anciens, à restituer le dallage en pierre de la salle de bains, et, comme dans l’antichambre, à restaurer les corniches et les trumeaux de glace lacunaires. Si l’on s’aperçoit à cette occasion - ce qu’on savait déjà évidemment - que la folie des restitutions ne date pas d’hier, on constate qu’à part l’enlèvement des cloisons, les modifications restaient limitées.
Plus intéressant encore, on apprend dans la même étude où on expliquait que les placards « de remploi » avaient été installés à la « fin du XVIIIe siècle », que ce n’était probablement pas le cas. En effet, on lit un peu plus loin que parmi les « approximations et incohérences » qu’aurait faites André Japy, on compterait celle-ci : « les cloisons séparant l’appartement furent déposées, mais les placards rapportés dans l’antichambre, vraisemblablement au même moment [1], furent quant-à-eux conservés. » Ainsi, les placards seraient en réalité contemporains de l’installation des cloisons, et dateraient donc de 1774, c’est-à-dire l’époque où Madame Du Barry est chassée par Louis XVI. Frédéric Didier se contredit donc et cela montre bien que la chronologie que nous citions au début est faussée, et qu’il s’agit d’instiller dans l’esprit du lecteur l’évidence du manque d’intérêt de ces placards. Quant à la cheminée, voilà ce qu’il prévoit pour elle : « la dépose des placards permettra de confirmer l’hypothèse du déplacement de la cheminée en même temps que ces ouvrages furent installés. Dans ce cas, la cheminée et la dalle foyère seront remises à leur emplacement d’origine. En cas d’infirmation de cette hypothèse, la cheminée restera à son emplacement actuel. »

Sans surprise la DRAC Île-de-France n’a pas répondu à nos questions. Nous avons aussi interrogé l’établissement public et l’architecte en chef, et la communication du château nous a répondu, en résumant les explications données dans l’étude de l’architecte, soulignant que : « c’est 1774 – et non 1789 – qui marque une rupture dans la destinée de ces lieux, avec le départ de la favorite au décès de son royal amant. » Les placards deviennent « deux buffets récupérés, qui masquent les lambris de hauteur toujours conservés, de part et d’autre de la cheminée ». Enfin, « la dépose de ces éléments rapportés, qui seront conservés en vue d’une présentation dans un autre espace, est apparue comme une évidence pour parachever la présentation de l’appartement selon un état historique cohérent, dans la continuité du parti adopté avec succès il y a près de 80 ans, que nul aujourd’hui ne songerait à remettre en question. Elle permet de dégager les boiseries originales masquées depuis deux siècles et demi, et de retrouver leur remarquable finition en chipolin, qui fut abandonnée au moment de transformations conduites à l’économie, marquant le « déclassement » des lieux que nous entendons, l’architecte travaillant sur le décor de concert avec le remeublement opéré par la conservation du musée, rendre au public dans l’évocation la plus signifiante de son importance historique, c’est-à-dire celui de son occupation par Madame Du Barry. »

Nous avons pu aussi interroger Laurent Salomé, le directeur du musée et le chef de la conservation. Celui-ci nous a dit ne pas être choqué par ce projet : « ces placards sont une trace historique, mais ils n’ont pas d’intérêt et enlaidissent la pièce. Je suis partagé à ce sujet, mais il est vrai qu’au sein de la conservation, il y a des avis très opposés ». Plusieurs autres conservateurs, en effet, sont opposés à ces travaux [2].
Ces placards enlaidissent-ils la pièce ? Cela nous semble contestable, mais ce n’est même pas le problème. Depuis quand restaure-t-on un monument en éliminant ce qui est authentique mais que l’on jugerait laid, une notion forcément subjective. Les supprimer, même s’ils changent un peu la forme de la pièce (sans que cela soit réellement gênant), et déplacer la cheminée, c’est éliminer les derniers témoins du départ de Madame Du Barry après la mort de Louis XV. C’est donc un peu réécrire l’Histoire.


Jusqu’à présent, Versailles supprimait un état XIXe pour retrouver celui de l’ancien régime, ce qui était déjà scandaleux et contraire à toute l’éthique de la restauration définie par la charte de Venise. Désormais, on va jusqu’à éliminer un état du XVIIIe siècle pour retrouver un état du XVIIIe siècle antérieur. Faisons tout de suite plus simple : retrouvons le Versailles d’origine, celui de Louis XIII, en supprimant tout ce qui a été construit autour de la cour (aujourd’hui cour de marbre), et qui a supprimé la symétrie d’origine (la chapelle, franchement, n’est pas symétrique). Ou mieux encore, revenons à l’état avant qu’il y ait un château. Ce serait beaucoup plus écologique.

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.