L’abbaye Saint-Vaast et le Musée des Beaux-Arts d’Arras en péril (2) : l’abbaye dénaturée

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À quoi ressemblera l’Abbaye Saint-Vaast (ill. 1) si le projet (voir le premier article) tel que le souhaitent la Ville d’Arras, la Financière Vauban et le cabinet d’architecte Maes est mené jusqu’au bout, et si la Direction Régionale des Affaires Culturelles des Hauts-de-France (ou la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, qui se déciderait à obliger ses services à jouer leur rôle) ne l’empêche pas ?


1. L’abbaye Saint-Vaast d’Arras
Photo : Liondartois (CC BY-SA 3.0)
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On est, une fois de plus, face à une situation où une ville, un promoteur, un architecte peuvent proposer la dénaturation d’un monument historique classé sans que rien ne semble venir mettre un terme à leur imagination. Il serait pourtant beaucoup plus facile pour le ministère de la Culture de s’opposer clairement dès que les projets sont connus, mais on préfère attendre. On ne veut pas faire de peine à un élu local, et encore moins lorsque celui-ci, même s’il n’est pas adhérent LREM, a fait allégeance au chef de l’État dans une tribune publiée en novembre 2019... On attend donc qu’une association commence à s’indigner, ce qui ne changera rien dans un premier temps, seul un grand scandale national, largement repris par la presse, ayant une chance de mettre un terme à ces folies. Autant dire qu’il est important de médiatiser ce type de scandale, et de le faire le plus vite possible.

La politique culturelle de la mairie d’Arras n’est pas une inconnue pour les lecteurs de La Tribune de l’Art. Nous avons déjà expliqué combien les expositions menées avec Versailles, même si celle consacrée aux carrosses était loin d’être indigne, nuisaient à ce musée (voir cet article) qui n’a pas réalisé une acquisition ou une véritable exposition d’envergure depuis des années. En dehors d’un panneau maniériste préempté pour la royale somme de 7680 euros (voir la brève du 20/11/18), la dernière acquisition que nous avons chroniquée date de 2007 (voir la brève du 29/10/07). Et, bien plus grave, la ville a laissé passer l’occasion d’acheter deux sculptures provenant de l’ancienne cathédrale d’Arras, pour la somme de seulement 400 000 euros (voir l’article). En 2009, avant donc la folie Versailles, le musée avait été fermé pendant six mois pour accueillir une autre exposition « blockbuster » : Napoléon et l’Égypte (voir l’article). La dernière grande exposition d’art ancien digne de ce nom est, sauf erreur, celle dont nous avions parlé en 2004 : Rubens contre Poussin. Inutile de dire que l’art n’est pas une priorité pour Frédéric Leturque. Non content de s’attaquer encore plus durement à ce musée comme nous le verrons dans notre prochain article, le maire de la ville veut donc dénaturer l’abbaye elle-même.


2. Plan du Musée des Beaux-Arts d’Arras dans l’Abbaye Saint-Vaast
(rez-de-chaussée)
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3. Plan du Musée des Beaux-Arts d’Arras dans l’Abbaye Saint-Vaast
(Premier étage)
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4. Plan du Musée des Beaux-Arts d’Arras dans l’Abbaye Saint-Vaast
(Deuxième étage)
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Pour comprendre le projet du groupe Naos Hôtel, par ailleurs largement diffusé sur Internet, avec un petit film édifiant, il est nécessaire de comprendre comment s’organise l’abbaye Saint-Vaast (ill. 2 à 4). La première cour, après l’entrée principale, est consacrée à gauche et au fond, au musée, tandis que la partie droite est occupée par la médiathèque. Au rez-de-chaussée à gauche se trouve la salle d’exposition temporaire qui va jusqu’à la cour du cloître, où étaient déployées les expositions organisées en partenariat avec Versailles. Le rez-de-chaussée du corps central sert à l’accueil du musée, tandis qu’autour de la cour du Puits se trouvent les collections médiévales et renaissance, et la salle consacrée au plan-relief d’Arras. À l’étage, on trouve la salle des Mays et les salles de peintures et sculptures françaises, ainsi que les salles de peintures flamandes et hollandaises du XVIIe siècle. Le musée se déploie à l’arrière autour de la cour du Puits, tandis que les espaces inutilisés se situent dans les étages autour de la cour du cloître, à l’exception des salles du Trésor de la cathédrale. Au deuxième étage, toujours autour de la cour du Puits, se trouvent les salles de peintures du XIXe, notamment les paysages et la peinture de Salons, y compris bien entendu l’école d’Arras.


5. Partie inoccupée en rouge qui était prévue en 2018 pour l’hôtel...
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6. L’entrée actuelle du musée transformée dans le projet en entrée de l’hôtel et de la « Fabrique de l’imaginaire »
© Maes architectes-urbanistes
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Au départ, les espaces qui devaient être privatisés pour être transformés en hôtel étaient ceux se trouvant autour de la cour du Cloître comme on peut le voir dans un document de la Ville d’Arras présentant le projet en novembre 2018 (ill. 5). Mais manifestement, cette partie ne convenait pas à l’investisseur, qui souhaite désormais s’étendre sur la cour d’honneur. À gauche, il veut y installer le restaurant, au fond il y fera l’entrée commune de l’hôtel, du musée et de la médiathèque (ill. 6), ce fameux triple concept « hôtel-musée-médiathèque » sur lequel nous reviendrons. Le grand hall de l’hôtel sera installé dans la cour du Puits qui sera couverte et qui deviendra le cœur du projet. Couvrir les cours de monuments historiques est à la mode, permettant ainsi de gagner des mètres carrés. Si on peut l’accepter ponctuellement lorsque cette opération respecte le monument et a un véritable intérêt public (c’était le cas pour les cours du Louvre couvertes pour abriter les sculptures des XVIIe et XVIIIe, cela semble l’être sur la petite cour à l’est de l’hôtel de la Marine), cela ne peut être généralisé n’importe où, et certainement pas dans cette ancienne abbaye pour y créer un lobby d’hôtel, fût-il « généreux et animé, faisant écho au pôle culturel » comme le dit sans rire l’architecte Hubert Maes (voir cet article du Moniteur). Sur l’image diffusée par cette agence (ill. 7), on voit une espèce de fine résille qui n’a aucune chance de ressembler au résultat final, surtout lorsque l’on regarde ce que le même architecte a fait à Valenciennes. Ajoutons que le puits a disparu et que la façade est de cette cour, classée comme toutes les autres façades, se voit affublée sur un tiers de sa surface d’un doublement opaque qui semble cacher des installations techniques. Bref, la cour du Puits (ill. 8) est entièrement sacrifiée au projet hôtelier.


7. La cour du Puits transformée en hall d’hôtel dans le projet
© Maes architectes-urbanistes
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8. La cour du Puits de l’Abbaye Saint-Vaast
Photo : Eulalie Steens
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On ne sait, exactement, où seront les chambres de l’hôtel (pas moins de 98). La mairie nous a précisé que rien n’était figé. Ce qui est certain, néanmoins, c’est que les exigences du promoteur hôtelier seront examinées avec bienveillance et qu’on ne voit pas comment on pourrait maintenir les salles du musée autour de la cour du Puits où se trouvera le grand hall de cet hôtel, même en retenant cet insupportable concept de « musée-hôtel ». On comprend surtout de quoi il s’agit : bien loin d’occuper des espaces vides pour établir un hôtel, il s’agit de pousser le musée pour le remplacer par un hôtel, qui se verra affecter la moitié du bâtiment (celle qu’il choisira) en laissant l’autre moitié au musée et à la médiathèque, fondus dans une entité « Fabrique de l’Imaginaire », comme ils l’appellent avec le plus grand sérieux. Ce « pôle culturel » aura lui aussi ses 1000 m2, soit l’espace que les deux entités occupent actuellement, mais pas davantage, interdisant à jamais au musée de pouvoir s’étendre alors que ses collections en réserves sont très importantes. Seuls quatre espaces seraient « sanctuarisés » nous a dit la Ville : la salle des Mays, le réfectoire (ill. 9), le cloître (ill. 10), et le Salon Jaulmes, du nom du peintre Gaston Jaulmes dont il conserve des décors, et qui est fermé depuis des années. Sa réouverture serait la seule bonne nouvelle de ce projet. Que deviendront, par ailleurs, les salles du Trésor, propriétés de l’État ? La DRAC n’ayant pas cru devoir répondre à nos questions, nous n’en savons rien.


9. Le réfectoire de l’Abbaye Saint-Vaast
Photo : Eulalie Steens
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10. La cour du cloître de l’Abbaye Saint-Vaast
Photo : Eulalie Steens
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Il faut comprendre néanmoins que rien, dans ces projets, n’a été encore validé ni autorisé. La cour du Puits n’est pas seulement une cour : elle conserve en sous-sol les restes d’une crypte du XIIIe siècle qui abritait les restes de Saint-Vaast. Comme l’écrivait le musée lui-même dans un texte explicatif : « protégés par une voûte datant probablement du XVIIIe siècle, les vestiges de la crypte médiévale, lieu saint par excellence de l’abbaye, ont été retrouvés en 2013 par le service archéologique municipal ». Que deviendront-ils dans ce projet ? Nous ne le savons pas, mais la vidéo diffusée sur internet laisse penser qu’on pourrait y installer la piscine ou le spa. Ce serait tellement fashion... Mais moins tout de même que la Fabrique de l’Imaginaire, projet auquel nous consacrerons notre prochain article.

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