L’abbaye Saint-Vaast et le Musée des Beaux-Arts d’Arras en péril (1) : le contexte

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Du ludique, du participatif, de l’innovant, de la méthodologie de projet... toute la novlangue à laquelle on nous a habitué ces dernières années dans le domaine de la culture se retrouve dans le « Projet Culturel Scientifique Educatif et Social » du « Pôle culturel Saint-Vaast d’Arras ». Toute sauf « inclusif ». Ce projet ne serait pas inclusif ? On peine à le croire, et c’est probablement parce que nous n’avons pu en consulter qu’une synthèse (de 47 pages tout de même) que cette fameuse inclusivité n’apparaît pas. Nul doute qu’on la trouve dans le document complet.

Mais n’allons pas trop vite. Ce projet scientifique et culturel qui n’a de scientifique et culturel que le nom, nous l’analyserons en détail seulement dans le quatrième [1] article de notre série d’été. Une série tragique, nous ne vous le cacherons pas, qui racontera le scénario cauchemardesque que nous promet la ville d’Arras avec la complicité de la Direction Régionale des Affaires Culturelles Hauts-de-France pour le musée des Beaux-Arts et l’abbaye Saint-Vaast. Dans un premier temps, nous regarderons le contexte de cette opération et les antécédents de certains de ses protagonistes, notamment le sort subi par l’hôpital de Valenciennes lors de sa transformation en hôtel, dont le maître d’œuvre n’est autre que l’architecte qui sera chargé des travaux à l’abbaye Saint-Vaast, et l’hôpital de Douai, qui devait être transformé en hôtel par le même architecte et le même groupe immobilier que celui qui s’est occupé de Valenciennes, la Financière Vauban, et qui a laissé depuis plusieurs années le monument abandonné, ouvert aux quatre vents, au cœur de la ville. Il s’agit dans les trois cas de créer un hôtel de luxe dans un monument historique, sous le regard de la DRAC des Hauts-de-France. Et les trois cas sont catastrophiques pour le monument historique, Arras s’attaquant en plus à l’un des plus importants Musées des Beaux-Arts de France.


1. Cour de l’hôpital du Hainaut de Valenciennes avant sa
transformation en hôtel
Photo : Inventaire
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2. Cour de l’hôpital du Hainaut de Valenciennes après sa
transformation en hôtel
Photo : Didier Rykner
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Le premier que nous avons découvert est l’hôpital de la Charité de Valenciennes, dont la construction fut décidée en 1744 par Louis XV et qui fut achevé en 1775. Nous avions écrit un article sur la vente programmée des œuvres qu’il contenait, une vente fort heureusement finalement annulée.
En revanche, nous n’avions pas eu connaissance du projet de transformation de cet ancien hôpital en hôtel. Une reconversion a priori tout à fait possible pour un hôpital, qui est par nature constitué de chambres. Encore faut-il respecter son architecture et son caractère de monument historique. Le traitement que lui a réservé le promoteur, sur la façade principale de la cour d’honneur (ill. 1 et 2), est hélas dramatique. Nous avons pu parler avec le groupe Maes, le cabinet d’architecte responsable de cette extension. Selon eux, la demande du maître d’ouvrage d’installer un hôtel de luxe dans cet ancien hôpital rendait nécessaire cette adjonction pour créer le hall de l’hôtel (ill. 3 et 4). L’autre solution, qui aurait été de le faire dans la chapelle axiale, n’ayant pas été retenue dès le départ, et pas présentée à la DRAC. Selon l’architecte, la solution retenue permettait aussi d’insérer hors du bâtiment principal tous les locaux techniques.


3. Hall de l’hôtel construit dans la cour de l’ancien hôpital du Hainaut
Photo : Didier Rykner
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4. Hall de l’hôtel construit dans la cour de l’ancien hôpital du Hainaut
Photo : Didier Rykner
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Nous ne sommes pas opposé par principe à la réutilisation d’un monument historique pour un usage différent de celui d’origine, au contraire même si cela permet de le sauver. Mais cela ne peut pas se faire dans n’importe quelle condition. Soit il était possible de transformer l’ancien hôpital de Valenciennes, classé monument historique depuis 1945, en hôtel, sans le dénaturer, soit cela n’était pas possible. La transformation l’a clairement dénaturé. On a construit un appendice, par ailleurs très laid (mais fût-il beau, ce serait tout aussi inadmissible) qui cache la façade classée. S’il fallait vraiment créer cet hôtel, il aurait été beaucoup moins traumatisant, du moment que la chapelle était déconsacrée et que les œuvres d’art pouvaient y rester, d’y installer ce lobby. Celle-ci a de toute façon été transformée en salle de réunion, ce qui n’est pas beaucoup plus digne… Bien sûr, l’excroissance a été construite « réversible ». Comme si ces mètres carrés gagnés allaient être un jour restitués et l’édifice rendu à son intégrité !

On se pince quand on sait que cet hôpital est classé monument historique. Qu’il est donc - théoriquement, un adjectif encore plus douteux ici - protégé par le ministère de la Culture, c’est-à-dire par la DRAC qui en est son émanation régionale. Nos lecteurs savent que celle des Hauts-de-France autorise tout, ou presque. Mais on reste néanmoins sidéré devant un pareil scandale. Même l’hôpital Laënnec a été mieux traité, ce qui n’est pas peu dire. Le vandalisme en France a de beaux jours devant lui. Notons que la chapelle est donc restée à peu près intacte, mais que plusieurs œuvres ont disparu (nous ne savons pas où elles ont été déposées) et que le seul tableau qui reste, au-dessus du maître-autel, n’a même pas été restauré.


5. L’ancien hôpital général de Douai, interrompu au milieu des travaux
Photo : Didier Rykner
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Le traitement réservé à l’hôpital général de Douai (ill. 5), exactement contemporain de celui de Valenciennes, puisqu’il fut édifié entre 1756 et 1761 par l’architecte Michel-François Playez, n’est pas plus enviable puisque ce très bel édifice, inscrit monument historique depuis 1946 [2], et sur lequel on peut voir encore un panneau publicitaire promettant qu’il abriterait bientôt un bel hôtel tout neuf assorti de logements, est désormais complètement abandonné.


6. Fenêtre sans huisserie de l’ancien hôpital général de Douai
Photo : Didier Rykner
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7. Fenêtre sans huisseries de l’ancien hôpital général de Douai
Photo : Didier Rykner
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Les huisseries ont été enlevées (ill. 6 et 7) et le monument s’abîme. Nous avons pu entrer sans difficulté à l’intérieur puisque les clôtures sont en partie arrachées et que le site n’est même pas surveillé. On constate ainsi comment on peut laisser se dégrader un monument encore davantage qu’il ne l’était faute d’entretien (il suffit de comparer nos images (ill. 8 à 10) avec la campagne photographique faite par l’Inventaire général il y a seulement dix ans). Et les investisseurs ont bénéficié d’une déduction fiscale comme cela est indiqué sur l’affiche publicitaire ! Ou comment profiter d’une niche fiscale censée protéger le patrimoine pour un résultat inverse..


8. L’ancien hôpital général de Douai, interrompu au milieu des travaux
Photo : Didier Rykner
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9. Escalier dans le corps central de l’ancien hôpital général de Douai
Photo : Didier Rykner
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10. L’ancien hôpital général de Douai, interrompu au milieu des travaux
Photo : Didier Rykner
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Que va-t-il désormais se passer ? Rappelons que l’objectif d’une protection d’un monument historique est de protéger ce monument, ce que la DRAC Hauts-de-France semble manifestement avoir oublié. Le propriétaire, un promoteur, ne peut laisser ainsi celui-ci dans un état tel qu’il menace sa pérennité. Il y a des règles, des lois, des procédures qui donnent à l’État la possibilité d’intervenir. Des solutions existent : le classement d’office du monument en péril, qui le mérite évidemment, puis les travaux d’office, et éventuellement l’expropriation du propriétaire déficient. Mais comment demander à la DRAC d’appliquer de telles mesures quand son seul mot d’ordre semble être : pas de vagues surtout, pas de vagues ! Selon le cabinet d’architecte cependant, qui ne prévoit ici aucune extension ni aucune couverture de cour, simplement une restauration, notamment des huisseries dans leur état du XIXe siècle, la situation pourrait se débloquer prochainement et les travaux commencer enfin début 2021. On croise les doigts. Car si le projet respecte le monument, il n’y a aucune contre-indication pour le transformer en hôtel et en logements. Encore une fois, réutiliser un monument historique n’est pas forcément une mauvaise chose. Nous suivrons évidemment ce dossier de près.


11. Cour d’honneur de l’abbaye Saint-Vaast et ses façades lépreuses
Photo : Didier Rykner
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Venons-en maintenant à l’affaire qui nous occupe, celle concernant l’Abbaye Saint-Vaast à Arras qui date, comme les deux hôpitaux, de la seconde moitié du XVIIIe siècle et est dû à l’architecte Jean-François Labbé. Quel est donc le projet global ? Celui-ci part d’un constat que chacun peut faire en regardant le bâtiment en grande partie reconstruit après la Première guerre mondiale : son état n’est pas bon. Ses façades sont en partie lépreuses (ill. 11) et ses toitures fuient. Une première opération de réfection des couvertures est déjà planifiée. Mais la mairie crie misère, mettant en avant ses 40000 habitants pour prétendre n’avoir pas d’argent pour entretenir ce grand édifice. Le couplet habituel de ceux qui ne veulent rien faire pour le patrimoine dont ils ont hérité, ce qui ne les empêche pas d’utiliser bien mal leurs ressources, comme dans le projet de réhabilitation de la salle de spectacle « Le Casino », dénoncé par la Chambre Régionale des Comptes en 2015 pour être passé de 6 à 12 millions d’euros… Et que valent les plaintes de ceux qui sont responsables de cette situation par leur inaction pendant des années pour le simple entretien : Frédéric Leturque n’est pas seulement maire d’Arras depuis 2011. Il était auparavant, de 2001 à 2008 adjoint au maire chargé de la politique de la ville, et entre 2008 et 2011, adjoint au maire chargé du renouvellement urbain. Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes.


12. Cour d’honneur de l’abbaye Saint-Vaast et son ravissant aménagement
Photo : Didier Rykner
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Puisque le bâtiment est en partie vide (environ 10 000 m2 sur 20 000 m2) et qu’il est « impossible » pour la ville de le restaurer, la conclusion lui semble simple : il faut le proposer au privé, qui en échange d’une concession longue, sous la forme d’un bail emphytéotique, restaurera les parties qu’il occupera. Si ce type de montage peut fonctionner pour certains monuments, il s’agit d’un jeu de dupes dès qu’il s’agit, comme c’est le cas pour l’abbaye Saint-Vaast, d’un monument historique majeur, qui plus est lorsque celui-ci abrite un musée. Il suffit de regarder la cour d’honneur telle qu’elle est aujourd’hui traitée, avec ce tapis rouge et ces plantes dans des pots couleur fuchsia pour comprendre que la mairie ne semble pas aimer ce monument.

Nous détaillerons donc dans nos prochains articles ce projet délirant, que la DRAC à refusé de commenter et à propos duquel la ville nous dit que les conseillers musées et patrimoine sont « enthousiastes » ! Il s’agit donc de fusionner le musée et la médiathèque pour en faire une structure unique où œuvres et lecture publique seront mélangées, sous le nom - nous n’affabulons pas - de « fabrique de l’imaginaire »... Mais ce n’est pas tout : le musée ne sera pas un musée, et l’hôtel ne sera pas un hôtel : « C’est là le gros concept : avoir un musée hôtel ou un hôtel musée en fonction de là où on est. Pour la chaîne hôtelière ça doit devenir une destination en soi, ça doit être une vraie curiosité de pouvoir séjourner dans un musée. On ne s’interdit pas d’avoir des œuvres dans un hôtel et un cheminement dédié aux personnes hébergées qui pourront avoir un parcours privilégié ». Puisqu’on vous dit que la DRAC est en-thou-sias-te !

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