L’abbaye Saint-Vaast et le Musée des Beaux-Arts d’Arras en péril (5) : les abords

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1. Vue aérienne de l’abbaye Saint-Vaast et de ses abords
Photo : Google Maps
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L’insertion d’un hôtel cinq étoiles doté de 98 chambres dans l’abbaye Saint-Vaast pose de nombreuses questions également pour la gestion des environs du monument (ill. 1). L’une d’entre elle, et pas la moins prégnante, est celle du parking. Ces 98 clients potentiels au même moment, qui vont payer leur chambre très cher, et dont beaucoup viendront à Arras en voiture, auront besoin de se garer. Or, pour l’instant, rien n’a filtré des intentions de la mairie et du groupe hôtelier à ce sujet.

Trois solutions sont possibles, et nous n’en voyons pas d’autres, la première étant qu’ils se garent dans une cour de l’abbaye. Mais cette hypothèse ne tient pas une seconde : il est impossible de mettre un parking dans la cour du cloître (du moins on l’espère), pas davantage dans la cour du puits transformée en hall d’hôtel. Sera-ce alors dans la cour d’honneur ? On ose, là encore, espérer que non (celle-ci serait d’ailleurs trop petite). On voit que cette première idée doit a priori être abandonnée.
Deuxième possibilité : un parking souterrain sous l’abbaye. Mais on imagine mal, à un endroit si riche en vestiges archéologique qui forme - c’est la mairie qui le rappelle - le cœur d’Arras, qu’on puisse imaginer de creuser sous l’abbaye, en plus de la création du spa… L’hypothèse est envisageable, mais elle déclencherait d’autres levées de boucliers patrimoniales, et nous ne serions pas les derniers à le faire.

Reste la troisième option, qui sera sans doute retenue : un parking à proximité de l’hôtel. Mais cela n’est pas si facile non plus car il n’y a aucun lieu disponible… sauf le parking Saint-Vaast, qui se trouve juste à droite de la cour d’honneur (à l’est donc). Celui-ci, qui est un parking public, fait 110 places. Une telle annexion ne devrait pas ravir les Arrageois qui utilisent abondamment ce parking, notamment pour se garer les jours de marché, comme les visiteurs du musée et de la médiathèque qui se verront ainsi sacrifiés au profit des clients de l’hôtel. Sans compter que cette capacité risque d’être encore insuffisante pour un établissement qui devrait également abriter des séminaires et un restaurant. On peut craindre alors qu’on ne cherche encore à l’étendre.
Une autre possibilité - mais que là encore on n’imagine pas - serait de privatiser le jardin de la Légion d’honneur qui se trouve à l’ouest du monument. Cette possibilité ne doit pas être écartée néanmoins, si ce n’est pas pour y installer le parking, au moins pour y faire une entrée secondaire pour l’hôtel dont le restaurant occupera le rez-de-chaussée de l’aile ouest (ill. 2). Une entrée technique par exemple, qui sera rendue très facile par les aménagements déjà mis en place pour les expositions « Versailles à Arras » qui ont d’ailleurs consisté, outre l’installation d’un monte-charge, à modifier une ouverture de cette façade pour l’élargir (ill. 3).


2. Aile ouest de l’abbaye Saint-Vaast donnant sur le jardin de la Légion d’honneur
Photo : Didier Rykner
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3. Modification d’une ouverture pour permettre l’entrée d’œuvres des expositions Arras-Versailles. On peut s’interroger sur l’autorisation donnée par la DRAC pour ces travaux qui ont modifié une façade classée
Photo : Didier Rykner
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Avec ou sans parking, le devenir de ce jardin public ne laisse pas d’inquiéter les opposants à l’installation de l’hôtel. Un hôtel cinq étoiles doit offrir à ses clients un certain calme. Or, partager l’entrée de l’hôtel avec celui du musée et de la médiathèque (pardon avec celui d’une « Fabrique de l’imaginaire »), comme le hall de la cour du Puits qui sera lui aussi fréquenté par tout le monde, ne procure pas cette tranquillité que sont en droit d’attendre des personnes payant fort cher leur séjour. Il est donc difficile de croire que le jardin de la Légion d’honneur ne sera pas, au moins en partie, privatisé au bénéfice des hôtes et/ou des fournisseurs de l’hôtel.

Cela pose question aussi sur le devenir de l’école maternelle Séverine, très beau bâtiment datant de la reconstruction, et qui se trouve à l’angle sud-ouest de ce jardin. Il faut souligner qu’il n’est pas protégé monument historique. Si une partie du jardin était privatisée, on pourrait très bien imaginer que l’espace qu’il occupe soit récupéré pour prolonger le jardin et y faire une compensation des m2 perdus par le public. Certes, l’école est théoriquement protégée par le secteur sauvegardé, mais on sait depuis longtemps (voir à Marseille ou à Perpignan) que ce type de protection est finalement très faible. Il ne s’agit que d’une conjecture, mais le peu d’informations qui sont distillées par la mairie aux habitants et aux élus peut laisser place à toutes les craintes. La meilleure façon d’éviter cela serait l’inscription monument historique de cet édifice, ce que nous demandons ici officiellement à la DRAC.


4. Vue sur l’école maternelle Severine (au premier plan) et le jardin de la Légion d’honneur derrière (au fond, l’abbaye Saint-Vaast)
Photo : Pierre Cusenier
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Il faut dire un mot également, dans cette question des abords, du lien avec la cathédrale. Il fut un temps où l’abbaye Saint-Vaast était liée à la cathédrale et où il était possible de passer de l’un à l’autre, par le cloître. Ce temps est révolu. Plus grave encore : les deux triptyques de Jean Bellegambe dont nous avons parlé dans le troisième article appartiennent au trésor de la cathédrale, qui se trouve à l’étage, dans le musée. On pouvait naguère le visiter avec celui-ci (nous l’avons fait il y a quelques années). Mais la communication entre les deux est désormais coupée. Comme nous l’a écrit un lecteur, Michel Faure, qui voulait voir ces deux œuvres dans un commentaire de ce troisième article, « l’accès par le musée n’[est] plus possible [...], et [son] accès par la cathédrale nous était interdit, par manque d’accord entre le diocèse et l’administration civile, nous a t on précisé. » En réalité, pour visiter ce trésor, il faut demander l’autorisation du conservateur régional des monuments historiques, qui transmet la demande au musée, qui donne rendez-vous pour le visiter. On marche vraiment sur la tête.

Incertitude sur le parking, incertitude sur le jardin, incertitude sur le trésor... La crise du Covid-19, qui n’est toujours pas terminée et qui laisse exsangue les hôtels d’Arras, fait aussi peser une crainte sur la viabilité du projet, même après le retour à une situation normale. Y-a-t-il, à Arras, une demande suffisante pour la multiplication des hôtels, et notamment d’hôtels de luxe, alors que la ville possède déjà une capacité de 800 chambres ? Certains semblent en douter. Cela sort évidemment de notre champ d’enquête, mais il faut garder cette question à l’esprit pour un projet qui, décidément, ne va vraiment pas de soi. D’autres solutions sont possibles, pourtant, et c’est de cela que traitera notre sixième et dernier article.

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