Les archives et collections des Sulpiciens de Montréal en danger

C’est, essentiellement, le journal canadien Le Devoir qui suit l’affaire qu’il a révélée et qui n’a pas encore été traitée hors du pays. Les Sulpiciens de Montréal, un ordre religieux créé en France qui a contribué largement à la colonisation du pays depuis son arrivée en 1657, et dont les supérieurs étaient « seigneurs de l’Île de Montréal » entre 1663 et 1840, ont licencié brutalement cet été tous les professionnels en charge de conserver leurs archives, extrêmement riches et qui conservent une grande partie de la mémoire du Québec. Comme c’est le cas au Canada, le licenciement a été immédiat : « Les employés ont dû remettre sur le champ les combinaisons chiffrées des voûtes et des archives [1]. Six employés ont été reconduits à la porte, flanqués par un gardien de sécurité qui ne travaille pas là d’ordinaire. [2] »


1. Louis Guy, armateur
Plan cadastral pour le deuxième terrier de la ville de Montréal, 1794-1795
Montréal, Vieux séminaire de Saint-Sulpice
Photo : MBAM/Christine Guest
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Le risque patrimonial est évidemment très important. Ces archives ne sont d’ailleurs pas uniquement constituées de documents (cartes - ill. 1, correspondances avec la France, papiers officiels…. soit un kilomètre linéaire d’archives anciennes), mais aussi de livres rares, d’une collection d’œuvres d’art (tableaux, dessins d’architecture - ill. 2 -, sculptures - ill. 3 -, orfèvrerie - ill. 4 -, tissus - ill. 5 -…), d’objets liturgiques (ill. 6) ou d’instruments scientifiques (Le Devoir cite un sextant de 1631), d’objets archéologiques, etc.
Beaucoup d’autres œuvres sont toujours conservées dans les paroisses où elles sont sous la responsabilité des fabriques et ne sont donc pas concernées par cette affaire. Mais celle-ci est néanmoins très préoccupante aux yeux des historiens et historiens de l’art québécois.


2. Guillaume III Loir (1694-1769)
Vierge à l’enfant, 1731-1732
Argent
Montréal, Vieux séminaire de Saint-Sulpice
Photo : MBAM/Christine Guest
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3. Gaspard Chaussegros de Léry (1721-1797)
Plan et élévation de la façade de la première église Notre-Dame, 20 juin 1722
Montréal, Vieux séminaire de Saint-Sulpice
Photo : MBAM/Christine Guest
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4. Gabriel Viaucourt (maître en 1698)
Aiguière aux armes de la famille Sabrevois, 1738-1744
Argent
Montréal, Vieux séminaire de Saint-Sulpice
Photo : MBAM/Christine Guest
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Nous avons contacté un spécialiste canadien qui ne souhaite pas être nommé et qui nous a expliqué la raison de cette soudaine désaffection de cet ordre religieux pour son patrimoine : « Les Sulpiciens canadiens ont toujours été très attentifs à ce patrimoine. Mais il n’y a presque plus de clergé au Canada, et les nouveaux dirigeants ici sont originaires d’Amérique du Sud où il y a eu beaucoup de missions. Ils ne connaissent pas bien l’histoire et voient cela comme une dépense ». Le supérieur provincial des Prêtres de Saint-Sulpice de Montréal est désormais le père Jorge Humberto Pacheco Rojas. Nous l’avons interrogé, et la Compagnie nous a envoyé un communiqué de presse où les prêtres de Saint-Sulpice « tiennent à réitérer publiquement l’attachement qu’ils ont à l’égard de leurs archives et leurs biens patrimoniaux ainsi qu’à l’importance qu’ils accordent à leur protection et à leur conservation ». Le père Jorge Humberto Pacheco Rojas tient à préciser « qu’il n’est aucunement question de poser des gestes qui mettraient en danger nos archives et nos biens patrimoniaux […] Ils sont d’une importance historique, capitale. Nous en sommes conscients et nous allons continuer d’agir en conséquence ».


5. Attribué aux Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame, Bannière des Cinq-Nations, 1752
Montréal, Vieux séminaire de Saint-Sulpice
Photo : MBAM/Christine Guest
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6. Paris, première moitié du XVIIIe siècle
Crosse d’évêque
Montréal, Vieux séminaire de Saint-Sulpice
Photo : MBAM/Christine Guest
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Cela n’est, bien sûr, pas suffisant pour rassurer en l’absence de mesures concrètes. On ne peut pas conserver un tel fonds et une telle collection sans les personnes formées pour cette mission, dont on rappelle qu’elles étaient six, sous la direction de Marc Lacasse.
Heureusement, la ministre de la Culture Nathalie Roy ne semble pas inactive. Celle-ci a annoncé - sur Twitter - son intention de classer les archives qui pour l’instant ne bénéficiaient d’aucune protection officielle.
Nous avons interrogé ce ministère et obtenu confirmation que cette mesure était bien prévue : « La ministre est surprise et préoccupée après avoir appris que les Prêtres de Saint-Sulpice avaient mis à pied l’équipe responsable de la conservation des archives, notamment. [Elle] a entrepris d’utiliser les pouvoirs lui étant conférés en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel afin de protéger ces biens et de s’assurer qu’ils soient conservés au Québec. » Le ministère a par ailleurs rappelé qu’il apportait, depuis de nombreuses années, aux prêtres de Saint-Sulpice, un « soutien technique et financier pour la conservation et la mise en valeur de ces biens, qui détiennent une valeur inestimable pour le Québec ».


7. Vue de l’exposition « L’héritage artistique des Sulpiciens de Montréal », présentée en 2007 dans la nef de l’église Erskine and American. Design : Pierre Thibault
Photo : MBAM/Christine Guest
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En 2007, le Musée des Beaux-Arts de Montréal avait organisé une exposition sur les Sulpiciens de Montréal dont le commissaire était Jacques des Rochers. Elle avait eu lieu dans l’ancienne église Erskine, depuis transformée en auditorium pour le musée (ill. 7). Ce dernier a eu l’amabilité de nous envoyer quelques photos d’œuvres ayant figuré à cette exposition (ill. 1 à 6) et faisant partie de la collection qui se retrouve actuellement sans conservateurs.
Notons enfin que la situation actuelle n’est pas vraiment surprenante. Dans un éditorial du 24 août, la rédactrice en chef du Devoir, Marie-Andrée Chouinard, s’inquiète de la faiblesse de l’action de la ministre de la Culture et de l’indifférence des politiques au patrimoine, des reproches qui nous semblent hélas familiers et comparables à ce que nous pouvons connaître en France. Surtout, elle rappelle qu’au Québec, « une vingtaine d’autres communautés religieuses de moindre importance sont aux prises elles aussi avec une triade malsaine : manque de moyens, de personnel, d’intérêt ». Et ajoute : « Bientôt, d’autres portes de notre mémoire collective risquent de se refermer. » Cette inquiétude pour d’autres fonds d’archives et d’œuvres de communautés religieuses est partagée par la Société canadienne d’histoire de l’Église catholique qui publie un texte en ce sens dans La Presse demandant « une réflexion structurée, sur le plan national, pour trouver des solutions garantissant la préservation des archives des congrégations religieuses qui n’ont plus les moyens de les conserver dans de bonnes conditions et de les mettre à la disposition du public ». Espérons qu’elle sera entendue.

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