Une analyse approfondie du rapport sur les acquisitions des musées

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1. Rima Abdul Marak entourée des rapporteurs : de gauche à droite Arnaud Oseredczuk, Christian Giacomotto et Marie-Christine Labourdette
Photo : Ministère de la Culture
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Le rapport « visant à améliorer la sécurité des acquisitions des musées nationaux » (ill. 1) a été remis officiellement à la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak le lundi 21 novembre [1] (on peut le télécharger ou le consulter ici). Selon Le Monde, son « entourage » a déjà annoncé que le ministère a « déjà commencé à avancer sur certaines recommandations qui seront appliquées dès 2023 ». On ose espérer qu’il ne s’agira pas d’appliquer la mesure la plus absurde et la plus dangereuse, celle sur l’interdiction aux musées d’acheter une œuvre qui serait passée en vente publique moins de cinq ans avant. Nous avons expliqué ici pourquoi celle-ci, qui n’a aucune raison d’être mise en œuvre, serait une catastrophe (voir l’article).

Mais ce rapport, à côté de recommandations qui enfoncent des portes ouvertes, et quelques rares autres qui vont dans le bons sens, est globalement exécrable et démontre une méconnaissance du dossier, ou une incompétence avérée, ou peut-être les deux. Nous allons donc, afin de contribuer au débat, l’analyser un peu plus complètement, en privilégiant les parties qui ne s’appliquent pas uniquement aux objets archéologiques ou extra occidentaux qui sortent théoriquement de notre champ [2].

Un rapport en partie hors sujet et qui mélange tout

À cet égard, la première erreur grave de ce rapport est de ne pas distinguer clairement ce qui relève exclusivement des objets archéologiques provenant de pays connus pour subir des fouilles sauvages ou en zone de conflits, du reste des œuvres. Certes, il n’y a pas de solution de continuité (par exemple un tableau italien du XVIIe siècle peut avoir été volé dans un musée et se retrouver en vente) mais le marché des antiquités est un monde différent de celui des objets occidentaux du Moyen Âge au XXe siècle.
À cette confusion s’en rajoute une autre : le rapport ne traite pas différemment ce qui relève de la provenance (le sujet de départ du rapport), de l’authenticité (même si la connaissance de la provenance de l’objet compte, elle n’est pas le seul critère) ou du prix (totalement hors sujet et pourtant traité dans le rapport).
Cela donne donc un texte confus et des propositions qui mélangent un peu tout. Rien que cela devrait suffire à discréditer l’ensemble. Cette confusion empêche une analyse précise et logique de ce texte. Nous nous attacherons donc à relever d’abord toutes les erreurs factuelles ou d’interprétation qu’il contient, avant de nous pencher sur ses principales propositions.

Un rapport qui ignore le droit

La méconnaissance du droit dont fait preuve le rapport est étonnante. C’est ainsi qu’on lit (p. 21) que « les conservateurs et personnels concernés s’attachent à exiger des titres de propriété, et des preuves de sortie licite du territoire d’origine ; le contraire serait d’ailleurs une faute déontologique ». Bien évidemment - cette phrase se trouve dans un chapitre consacré à la formation des conservateurs - ceux-ci doivent autant que faire se peut interroger le vendeur à ce sujet. Mais un tel conseil semble ignorer deux points du droit français. Le premier : « En fait de meubles, la possession vaut titre » (article 2276 du code civil). D’innombrables œuvres sont conservées chez des particuliers qui en ont hérité ou qui les ont acquises il y a longtemps, et qui n’ont aucun « titre de propriété » s’y référant. Le Conseil des Ventes Volontaires, en charge d’établir les obligations déontologiques des commissaires-priseur, précise que ceux-ci agissent comme mandataire du vendeur et n’ont pas le droit de divulguer le nom du vendeur, « hors le cas spécifique d’action en justice qui serait directement dirigé contre lui (action en nullité de la vente…) ». Il y va également du secret des affaires. Un conservateur peut donc toujours demander à voir un titre de propriété mais le vendeur n’a pas l’obligation de le fournir, et son absence n’est évidemment pas la preuve que l’œuvre aurait une origine douteuse. Et le rapport insiste : page 34 on lit qu’il faut « vérifi[er] les factures présentées pour étayer l’acquisition précédente du bien » ! À quel titre le conservateur pourrait-il exiger cela ? Il ne peut pas davantage exiger qu’un commissaire-priseur lui révèle le nom du vendeur, sauf si ce dernier donne son accord. Le conservateur n’est pas un policier ni un juge d’instruction.
Si le deuxième point, la preuve de sortie licite du territoire d’origine, semble laisser penser que le rapport ignore également qu’on ne peut inverser la charge de la preuve [3], nous n’en parlerons pas davantage puisqu’il s’agit ici nous semble-t-il de cas très précis de pièces archéologiques provenant de pays sensibles.

Le donateur, voilà l’ennemi

Nous évoquions plus haut la confusion permanente entre la question des « provenances », celle des « faux » et celle du prix. On en trouve un bel exemple - mais il y en a beaucoup d’autres - p. 25. Il s’agit d’un paragraphe dans un chapitre intitulé « Identifier,renforcer et coordonner l’expertise en matière de provenance dans la chaîne d’acquisition dans la sphère publique », dont l’objet est donc clair, s’agissant d’un rapport sur la question des provenances. Or l’alinéa c, intitulé « Mobiliser si nécessaire le recours à l’expertise interne » explique, après avoir affirmé (on voit bien qu’ils n’y croient pas) que : « les conservateurs sont par nature parmi les meilleurs experts de leur domaine de compétence », qu’il faut que ceux-ci fassent appel à une expertise externe pour les dons supérieurs à 50 000 € sur la question du prix, en raison de la défiscalisation possible. On peine à trouver une logique entre les préalables et la conclusion, car il n’y en a aucune. Non seulement cette question est hors sujet (quel rapport avec la question des provenances ?), mais le raisonnement n’a aucun sens. Tout ce qu’on comprend de cela c’est que l’ennemi, c’est le donateur. Nous verrons dans notre enquête à venir que c’est une idée déjà très répandue au sein du Service des Musées de France et chez certains conseillers musées…

Un rapport bien mal informé

La Tribune de l’Art avait, aux côtés de l’association Sites & Monuments, bataillé pour obtenir des informations sur les certificats d’exportation. Sans beaucoup de résultats : malgré l’accord de la CADA (commission d’accès aux documents administratifs), malgré des victoires devant le tribunal administratif (voir cet article), le ministère de la Culture maintient depuis des années la rétention des informations à ce sujet. Nous n’avons pas renoncé et ne renoncerons pas, évidemment, mais la bataille est un peu usante. On se rappelle que le ministère expliquait alors qu’« il n’existait pas de base de données des certificats d’exportation », ce dont nous avions démontré qu’il s’agissait d’une contre-vérité (voir cet article).
Le rapport reprend pourtant cette fable (p. 31) : « Les certificats d’exportation délivrés pour la sortie du territoire ne sont pas encore informatisés » alors que l’un des rapporteurs est une ancienne directrice des musées de France ! D’ailleurs, un peu plus loin (p. 66), on parle de l’ « outil informatique interne […] de gestion des demandes de certificat » où il faut saisir à la main, nouvelle preuve que cet outil existe bien. Comment prendre au sérieux un rapport qui se contredit d’une page à l’autre d’une telle manière ?

Le mépris pour les conservateurs

Une autre absurdité se trouve p. 35. On y lit en effet pour les établissements publics que : « Une bonne pratique serait aussi que le président de l’établissement ne soit pas à l’origine d’une acquisition » ! Si nous ne pouvons que souscrire à cette affirmation quand le président est une ancienne journaliste politique ou un ancien responsable des droits photos de la RMN, comment peut-on l’accepter pour un président conservateur ou historien de l’art, dont le rôle doit être non seulement d’arbitrer entre certaines acquisitions mais aussi d’être à l’origine de certaines, notamment lorsqu’il s’agit d’achats très importants, comme des trésors nationaux. Tout ce rapport laisse transpirer un véritable dédain du travail des conservateurs dont témoigne la manière dont il se croit obligé de rappeler à tout bout de champ combien leur mission est bien remplie… Si bien remplie d’ailleurs que p. 36 on lit que les commissions d’acquisition de premier niveau (celles internes aux établissements) devraient intégrer « moins de personnes gravitant dans l’orbite des musées et du service public » !

La méconnaissance des conditions actuelles des musées français dont fait preuve ce rapport est dans bien des cas assez étonnante. Alors que certains d’entre eux (nous excluons les grands établissements publics tels que le Louvre, Versailles, le Centre Pompidou ou Orsay) ont des effectifs scientifiques limités en nombre, on voudrait leur ajouter : un spécialiste des provenances (p. 28) et un expert en négociation (p. 41), ce dernier étant d’ailleurs une nouvelle fois hors sujet.

La fin des préemptions ?

Nous terminerons ce long article par un examen des principales propositions du rapport, à l’exception de celles qui sortent de notre champ ou qui n’ont qu’une portée minime, de celle dont nous avons déjà parlé dans cet article, et d’une dernière à laquelle nous devons consacrer un chapitre spécial tant elle est une nouvelle fois déconnecté de la réalité du terrain et dangereux pour les musées. Elle se trouve dans le paragraphe « faciliter les contrôles pour les services répressifs et les musées acquéreurs » (p. 59).
Cette proposition est la suivante : « lors de leurs diligences en vue de l’acquisition d’un bien culturel, les personnels habilités de la cellule provenance du ministère de la culture pourraient être autorisés à consulter le livre de police des commissaires-priseurs et des antiquaires-galeristes, à l’exception du prix qui serait masqué. Pour ces personnels, les commissaires-priseurs seraient déliés de leur obligation de confidentialité quant à l’identité de leurs vendeurs ».

Précisons d’abord que le rapport préconise en effet de créer un « service provenance » au SMF. Là encore, les services centraux ne cessent de voir leurs effectifs se réduire au point qu’ils ne peuvent plus remplir leurs missions d’aides aux musées comme ils devraient le faire, mais on devrait encore en créer un nouveau…
Véritables policiers au service de la provenance, ces agents auraient donc le droit - ce que la déontologie et le secret des affaires interdit - de consulter le livre de police, ce qui est logiquement du ressort de… la police. Le prix pourrait en être caché (on ne sait comment un agent pourrait consulter un livre de police sans voir les prix) « pour bien montrer que l’enjeu n’est pas de connaître, ni a fortiori de contester la marge du vendeur ». Admirons cette hypocrisie alors que le SMF passe une grande partie de son temps à essayer de connaître le prix auxquels les marchands ont acheté une œuvre.

Admettons donc que des agents (dont on imagine qu’ils devraient être assermentés) puissent s’enquérir du précédent propriétaire d’un objet sans connaître le prix, qu’en serait-il lors d’un achat en vente publique ? La proposition prévoit qu’en cas de préemption, « les commissaires-priseurs seraient déliés de leur obligation de confidentialité quant à l’identité de leurs vendeurs » et que la vérification pourrait avoir lieu pendant le délai de confirmation de la préemption. Si l’obligation de confidentialité n’était pas levée (ce qui est probable), le rapport préconise froidement qu’« un refus de la part de la société de vente devrait inciter le musée à ne pas confirmer la préemption ». Les acteurs du marché de l’art opposés aux préemptions - il y en a et nous organiserons prochainement un débat en podcast sur cette question - vont être ravis : il suffira au commissaire-priseur de refuser de donner l’accès au nom du vendeur (ce qu’il n’a pas le droit de faire) pour empêcher définitivement toute préemption. Comment peut-on proposer ce genre de choses dans un rapport remis au ministère de la Culture ? Comment celui-ci pourrait y donner suite ? Tout cela est absolument désolant.

Trésors nationaux : une nouvelle définition

2. Antonio Canova (1757-1822)
Buste de Joachim Murat, 1813
Marbre - 50 x 66 cm
Ce « bien culturel présentant un intérêt majeur pour le patrimoine français du point de vue de l’art, de l’histoire ou de l’archéologie » n’a pas été considéré comme ayant un « objet présentant un intérêt pour les collections publiques » 
Localisation actuelle inconnue
Photo : Christie’s
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Ce rapport n’est décidément pas exempt d’absurdités. Comme page 67 et 68 où l’on disserte doctement sur les certificats d’exportation (qui n’ont aucun rapport avec la recherche de provenance pour les acquisitions). Il se penche sur le nom « certificat d’exportation », regrettant que certains « intermédiaires indélicats » lui conféreraient le caractère d’un « certificat de l’authenticité du bien qui serait contrôlée ou certifiée par les autorités d’exportation ». Il faudrait donc en changer le nom pour l’appeler « autorisation de sortie définitive du territoire français ». La puissance du raisonnement est impressionnante. Puisque la sémantique a pour les rapporteurs tant d’importance, on s’étonne d’apprendre par ailleurs qu’un « trésor national » est un objet pour lequel il n’y a « absence d’intérêt des collections publiques ». Ce qui est tout à fait faux : un « trésor national », selon le code du patrimoine, est « un bien culturel présentant un intérêt majeur pour le patrimoine français du point de vue de l’art, de l’histoire ou de l’archéologie ». On ne s’étonne donc pas que tant de trésors nationaux (ill. 2) aient obtenu leur certificat d’exportation quand Marie-Christine Labourdette était directrice des musées de France (et après bien sûr) : peu importe que ces objets aient un intérêt majeur : le ministère décrétait qu’ils n’avaient pas d’intérêt pour les collections publiques…

Examen des propositions

Nous parcourrons rapidement les propositions faites par le rapport, sans nous attarder sur celles qui nous paraissent mineures ou allant de soi, ni sur celles que nous avons déjà traitées dans cet article ou ci-dessus.

1. Mieux former les agents concernés par les acquisitions aux enjeux de la provenance licite

Il s’agit dans ces trois propositions (1-a, 1-b, et 1-c) de proposer des formations complémentaires à l’École du Louvre, à l’Institut National du Patrimoine et pour les agents en charge des acquisitions au sein du ministère. Une formation n’est jamais à négliger, on espère simplement que les auteurs du rapport n’en seront pas chargés.

2. Créer et animer un écosystème administratif favorable à la prise en compte des enjeux de provenance

On appréciera la novlangue dans laquelle ce titre est écrit.

La proposition 2 consiste à créer au SMF une « cellule provenance ». Pourquoi pas, mais comme nous l’avons déjà dit tout cela supposerait des moyens supplémentaires c’est-à-dire l’inverse de l’évolution depuis des années.

La proposition 3 propose de « recréer un Observatoire du marché de l’art ». Nous n’avons aucune opinion sur ce sujet qui paraît bien anecdotique.

Les propositions 4a à 4d concernent les relations avec les autorités financières, policières et judiciaires, dans le cadre de la lutte contre le trafic illicite. Nous n’avons aucune observation à faire à cet égard.

3. Renforcer la sécurité dans la chaîne des acquisitions par les musées nationaux

La proposition 5 demande que la procédure interne d’acquisition de chaque établissement soit présentée à son conseil d’administration ; cela semble normal.

La proposition 6 demande que le vade-mecum des acquisitions (document interne au SMF que l’on peut lire ici) soit mis à jour : certes, à condition qu’on n’y inclut pas les quelques propositions absurdes ou scandaleuses que contient ce rapport.

La proposition 7 demande que chaque « grand » établissement « identifie en interne une compétence spécialisée sur les provenances sous la forme d’un ou plusieurs chargés de mission (dédiés à cette activité) ou référents (non dédiés), disposant d’une formation adéquate leur permettant d’enrichir les dossiers, en lien avec les conservateurs à l’origine des acquisitions. » Que certaines personnes soient des référents, pourquoi pas. Qu’on consacre une ou plusieurs personnes à cette seule tâche, pourquoi pas également, à condition que cela ne vienne pas en contre partie réduire les effectifs d’autres services essentiels.

La proposition 8 porte sur une coopération internationale permettant la création d’« une base de données des pièces justificatives de provenance au niveau européen ». Pourquoi pas, même si on ne voit pas bien comment une telle base pourrait être construite, et ce qu’elle contiendrait exactement…

La proposition 9 propose de généraliser dans les commissions internes d’acquisition la pratique du « vote à bulletin secret », ce qui semble une bonne méthode pour empêcher l’auto-censure, mais qui propose aussi que « le conservateur à l’origine de l’acquisition devrait s’abstenir ». On ne voit pas bien pourquoi il devrait s’abstenir et le rapport ne donne aucune raison pour une telle procédure. Une fois de plus la méfiance à l’égard des conservateurs tient lieu de politique.

La proposition 10 demande de « Préciser les règles de fonctionnement et de composition des commissions qui interviennent au niveau des établissements sur les acquisitions pour enrichir le débat ». Nous n’avons rien à ajouter sinon que définir des règles de fonctionnement est la moindre des choses.

La proposition 11 demande de « revoir la composition et le fonctionnement du Conseil artistique des musées nationaux selon les principes suivants : formation resserrée, indépendance et confidentialité des débats et objectivité de l’avis rendu ». Il faut lire les explications p. 38 pour mieux comprendre une proposition aussi floue. Il s’agit d’une véritable usine à gaz, avec deux commissions, l’une sur l’intérêt de l’acquisition, l’autre sur le prix, et des systèmes compliqués de vote. Demander à une commission de se prononcer sur le prix est certes possible, mais celle-ci doit être composée dans ce cas de personnes connaissant parfaitement le marché de l’art, ce qui est rarement le cas. Nous reviendrons sur cette question du prix dans notre enquête sur les acquisitions.

La proposition 12 veut limiter le recours aux délégations permanentes pour les commissions. Nous verrons dans l’enquête que nous venons d’évoquer qu’au contraire il faut privilégier les délégations permanentes, beaucoup plus réactives, ce qui est nécessaire pour une procédure d’acquisition.

La proposition 13 porte sur les objets sensibles (archéologie extra-européenne, biens présumés issus de zones de pillage ou de conflits) qui sortent de notre champ.

La proposition 14 est celle la plus scandaleuse, à laquelle nous avons déjà consacré un article entier.

La proposition 15, exiger une expertise externe pour les donations donnant lieu à des défiscalisations significatives (supérieures à 50 000 €), est tout à fait défendable ; cela témoigne néanmoins à nouveau d’une défiance quant à la compétence des conservateurs, et nécessite de trouver un expert fiable et incontesté.

La proposition 16 (identifier dans chaque musée et au SMF des compétences sur la question des provenances) a déjà été abordée plus haut.

La proposition 17 qui porte sur le fonctionnement des grands départements va dans le bon sens, ce qui est à noter. Nous y reviendrons en conclusion de cet article.

La proposition 18 (expliciter l’obligation déontologique pour les conservateurs saisis d’une alerte relative à une acquisition, d’informer leur responsable d’établissement et le SMF, et compléter le code de déontologie en conséquence) va de soi. Faut-il vraiment un rapport pour le décider ?

La proposition 19 (appliquer un parallélisme des formes en matière de collégialité entre la décision d’acquisition et la décision à prendre après instruction de la contestation de la licéité de la provenance ou de l’authenticité du bien culturel) n’a rien d’anormal, mais si l’on comprend bien ce que veut dire « acquérir », on ne voit pas clairement ce que signifie « décision à prendre après instruction de la contestation ».

La proposition 20 concerne encore le vade-mecum qu’il faut compléter…

La proposition 21 est tellement vague et anecdotique que nous n’en dirons rien.

4. Garantir la pleine participation des acteurs de marché à la sécurisation de la provenance des biens culturels et accroître la confiance dans le marché français

L’ensemble des propositions de ce chapitre (22 a et 32) concerne essentiellement les acteurs du marché de l’art et consiste largement en « y’a qu’à », et « faut qu’on ». Nous ne nous attarderons pas sur elles, sinon pour répéter que ce qu’on lit dans le 22 a (« le commissaire-priseur devrait notamment être en mesure de documenter toute affirmation selon laquelle le bien est entré sur le territoire national avant la convention de 1970 ») est un renversement de la charge de la preuve, souvent impossible à apporter.
La proposition 31 qui propose d’alourdir les peines pour ceux qui vendent sciemment un bien illicite aux collections publiques n’est pas mauvaise du point de vue de la dissuasion.

5. Faciliter les contrôles

La proposition 33 sur la consultation des livres de police a déjà été traitée plus haut.

La proposition 34 qui prévoit un délai de quinze jours supplémentaire pour confirme une préemption, afin d’effectuer des vérification complémentaires, est à proscrire. La préemption est déjà suffisamment et injustement critiquée pour qu’on ne rajoute pas d’autres incertitudes pour les vendeurs.

Les propositions 35 à 38 sortent de notre champ.

6. Moderniser les procédures de circulation des biens culturels sur le territoire

La proposition 39 est très intéressante. Elle prévoit que la dématérialisation de la procédure d’instruction des certificats (qui assurera du coup l’assurance que l’on dispose d’une base de données de toutes les information qui y sont relatives) qui devrait être achevée en 2023 le soit effectivement. Du coup, plus rien ne s’opposera à ce que le ministère de la Culture nous communique toutes les informations (non confidentielles) sur les certificats d’exportation accordés puisqu’un de ses principaux arguments étant le traitement à la main trop lourd que cela impliquerait !

La proposition 40 sur le changement de nom des certificats d’exportation a déjà été traitée.

La proposition 41, encore un changement sémantique, est anecdotique.

3. Jean-Baptiste Siméon Chardin (1699-1779)
Le Panier de fraises des bois
Huile sur toile - 38 x 46 cm
Collection Particulière
Photo : Artcurial - Cabinet Turquin
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La proposition 42, la dernière de la liste, mérite un plus ample développement. Il s’agit en effet de s’opposer aux commissaires-priseurs qui mettent en vente une œuvre alors que le certificat d’exportation a été demandé et non encore accordé. Il est évident que cette idée vient directement à la suite de quelques affaires récentes, notamment de la vente du Panier de fraise de Chardin (ill. 3) pour lequel le ministère de la Culture était furieux que le certificat ait été demandé au dernier moment.
Nous citons ici le rapport intégralement : « En pratique, on constate que des demandes tardives de certificats ont permis aux organisateurs d’une vente publique d’en faire état, et d’afficher que les adjudicataires ne paieront que si le certificat est accordé. De fait, les acquéreurs étrangers n’ont pas à honorer leur achat si le certificat d’exportation est refusé. Il se forme ainsi un « pseudo prix » international qui sert de base à la négociation qui s’ouvre avec l’État en cas de refus de certificat. Or, la formation de ce prix peut apparaître viciée par la possibilité, explicite ou tacite, pour l’éventuel acquéreur privé de se soustraire à sa dette. En outre, la pratique de demande tardive de certificat ne permet pas une instruction normale et sereine du dossier par les instances compétentes, y compris en ce qui concerne la vérification de la provenance de l’œuvre concernée. » La proposition consiste donc à interdire la vente « sans que la réponse de l’administration ne soit connue et communiquée aux acquéreurs potentiels ».
Il est facile de démontrer qu’une fois de plus, il raconte n’importe quoi. D’abord parce que la pratique de « demande tardive de certificat » n’empêche absolument pas une instruction normale du dossier. L’instruction est prévue pour durer quatre mois. Que le certificat soit demandé quatre mois avant la vente, ou deux mois ou une semaine, cela ne change rien. Cette affirmation est purement gratuite.
Quant à l’idée que « la formation de ce prix p[ourrait] apparaître viciée par la possibilité, explicite ou tacite, pour l’éventuel acquéreur privé de se soustraire à sa dette », elle est tout simplement absurde. L’acheteur ne dispose absolument d’aucun moyen de se soustraire à sa dette si le certificat est finalement accordé, ce qui ne dépend évidemment pas de lui, d’autant que dans chaque cas les enchérisseurs avaient été dûment informés de la situation. Seul l’achat par un musée français avant la fin de la procédure le permet. En réalité, le prix formé ainsi est bien un prix international, peut-être même moins élevé que le prix international puisque l’acheteur est soumis à un aléa assez fort. Il ne s’agit en aucun cas d’un « pseudo prix ». La méthode est donc excellente comme nous l’écrivions (voir l’article) car elle permet justement d’éviter ensuite toutes les discussions interminables entre les experts sur le prix d’un trésor national.

On voit donc à quel point ce rapport est médiocre, tant il comporte d’erreurs et de mauvaises propositions. Terminons néanmoins sur la meilleure d’entre elles, très souhaitable même puisqu’elle rejoint ce que nous demandons depuis toujours : que les grands départements changent enfin leurs pratiques et prennent en compte les « autres musées de France nationaux ou territoriaux qui ont vocation tout aussi légitime à vouloir enrichir leurs collections » comme on le lit p. 68. Il est donc tout à fait souhaitable que le grand département « ne saurait donc accorder un certificat d’exportation au seul motif qu’il ne peut ou veut l’acquérir pour lui-même, mais véritablement au regard de l’intérêt de son acquisition pour les collections nationales ou publiques françaises, intérêt dont il doit vérifier l’existence en interrogeant les autres conservations potentiellement intéressées » comme l’écrit très justement le rapport.
Il est dommage que tout le reste ne soit pas de cette qualité…

Didier Rykner

Notes

[1Nous avons fait erreur en écrivant qu’il serait remis le 21 novembre. Une erreur due au fait que l’agenda de la ministre est diffusé avec plusieurs jours de retard : nous l’avons reçu jeudi et avons distraitement conclus que le lundi était celui de la semaine suivante, pas le lundi déjà passé...

[2Nous écrivons « théoriquement », car la politique des collections publiques et des musées, quels qu’ils soient, nous concernent directement.

[3Une nouvelle preuve de l’inversion de la charge de la preuve est fournie p. 54 avec la proposition que : « le commissaire-priseur devrait notamment être en mesure de documenter toute affirmation selon laquelle le bien est entré sur le territoire national avant la convention de 1970 ».

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