Versailles : un intérim qui dure...

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Vue aérienne du château de Versailles
Photo : ToucanWings (CC BY-SA 3.0)
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Certes, les récentes nominations à la tête des musées établissements publics ont été dans l’ensemble satisfaisantes, voire très satisfaisantes. Le remplacement de Jean-Luc Martinez par Laurence des Cars, l’arrivée de Laurent Le Bon à la tête du Centre Pompidou (alors que ses statuts n’y imposent pas un conservateur) et celle de Christophe Leribault à la présidence d’Orsay étaient de bonnes nouvelles qu’il faut mettre au crédit du président de la République qui en décide.
Mais un problème subsiste, qui n’est pas mince : le château de Versailles. Car sa présidente actuelle, Catherine Pégard, dont le mandat s’est terminé le 4 mars 2021 [1], est toujours à son poste ce qui - selon notre analyse qui n’a été démentie ni par l’établissement public qui nous a renvoyé vers le ministère, ni par le ministère lui-même qui ne nous a pas répondu - est illégal.

La limite d’âge des présidents et directeurs d’établissements publics était fixée par la loi du 13 septembre 1984 à 65 ans. Jean-Jacques Aillagon, qui souhaitait sa prolongation à son poste, en avait fait les frais avant d’être remplacé, justement, par Catherine Pégard.
La loi du 9 novembre 2010, dite loi Fillon, a modifié l’article 7 de la loi de 1984 qui fixait cette limite, la repoussant à 67 ans. Cette loi se voulant progressive, c’est la date de naissance qui fixait l’âge de départ. Ainsi, pour les natifs de 1954 le prolongement peut-être de 65 ans plus 1 an et 7 mois soit 66 ans et 7 mois. Or Catherine Pégard est née le 5 août 1954. Elle a donc atteint la limite d’âge le 4 mars 2021.

Si des prolongations sont possibles pour les contractuels (elle n’est pas fonctionnaire), il faut remplir au moins une des deux conditions suivantes [2] : soit que le nombre de trimestres acquis ne permette pas de bénéficier d’une retraite à temps plein, soit être parent d’enfants à charge, ou avoir élevé trois enfants (dans des cas bien précis). Catherine Pégard ayant commencé à travailler comme journaliste en 1977 (voir ici) peut donc bénéficier d’une retraite à taux plein, et elle n’a pas d’enfants [3].
Seul un alinéa de l’article 7 de la loi loi citée en note 1 2 permet d’aller un peu plus loin que la date limite : « Les règles relatives à la limite d’âge ne font pas obstacle à ce que les titulaires des fonctions mentionnées à l’alinéa précédent soient maintenus en fonction, au-delà de cette limite, pour continuer à les exercer à titre intérimaire. » Mais un intérim doit être un intérim, c’est-à-dire court, et avoir pour seul objectif d’assurer la transition avant l’arrivée du prochain titulaire du poste. Il n’en est rien dans ce cas puisque aucune procédure de recrutement n’est actuellement en cours et que cela va bientôt faire un an (soit un tiers de mandat) que dure la prolongation de Catherine Pégard. Ajoutons qu’à notre connaissance (et là encore le ministère ne nous a pas démenti, faisant comme souvent la sourde oreille) aucune décision administrative qui donnerait un semblant de légalité à cette prolongation n’a jamais été prise ni publiée.
On peut donc s’interroger sur cette curiosité qui voit un établissement public comme Versailles sans aucun président légalement en poste, et sur ce que cela pourrait impliquer comme conséquences.

Cela est d’autant plus problématique que désormais Franck Riester est candidat officieux au poste de président de l’établissement public du château de Versailles. Il faut en effet trouver un point de chute, après les élections présidentielles, pour l’ancien ministre de la Culture, aujourd’hui ministre délégué chargé du Commerce extérieur et de l’Attractivité. Celui-ci aurait obtenu des assurances après l’organisation sous sa responsabilité, à Versailles, du quatrième sommet Choose France, un événement qui va d’ailleurs avoir à nouveau lieu au même endroit le 17 janvier prochain. Rappelons également que celui-ci est président d’Agir, micro parti politique mais soutien important pour Emmanuel Macron. Versailles serait donc pour lui un bâton de maréchal, et il ne serait d’ailleurs pas le premier ministre de la Culture à en prendre la tête : Jean-Jacques Aillagon avait été successivement ministre puis président de Versailles, tandis que Christine Albanel avait suivi le parcours inverse (présidente de Versailles puis ministre). Que Franck Riester n’ait aucune compétence dans le domaine des musées et du patrimoine, ce que tout le monde avait pu constater lorsqu’il était à la Culture, ne semble avoir aucune importance. Seule consolation : Jean d’Haussonville, longtemps donné favori, n’est plus du tout en cour.

Le pire n’étant jamais sûr, il faut espérer pour Versailles - qui a bien besoin d’un vrai président, avec une véritable politique patrimoniale - que les choses se passeront comme elles devraient se passer : la mise en place d’une procédure de recrutement, avec des candidats sérieux et compétents et des projets scientifiques tenant la route pour un domaine tellement malmené, depuis si longtemps.

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