Une commode de Nicolas Petit venant de Grignon en vente sur internet

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16/1/23 - Patrimoine - Château de Grignon - Parmi les dégâts collatéraux de la vente du mobilier du château de Grignon (voir l’article), sur le plan de l’histoire et de l’histoire des arts décoratifs, on peut regretter aussi la perte de l’historique de ce mobilier. On est là face à un phénomène pas très éloigné des conséquences des fouilles archéologiques sauvages qui, si elles permettent parfois de trouver des objets intéressants sur le plan de l’art, entraînent l’ignorance définitive du contexte dans lequel ils ont été produits.


1. Nicolas Petit (1732-1791)
Commode
Photographie du site où le meuble est proposé à la vente
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C’est ainsi que grâce à un lecteur attentif de La Tribune de l’Art, qui nous a prévenu tout en préférant garder l’anonymat, nous avons pu retrouver en vente sur un site d’antiquités en ligne (ill. 1), l’une des commodes que nous avions reproduites dans notre enquête. Celle-ci, l’illustration 19 de l’article et le lot 207 de la vente, avait été présentée comme « de style ». Nous indiquions (grâce à Julien Lacaze) qu’il s’agissait d’une « commode Louis XVI de très bonne facture dont il n’est pas exclu qu’elle puisse être estampillée ». Il ne fait guère de doute qu’il s’agisse du même meuble.
On voit en effet, malgré la qualité épouvantable de la photographie parue sur le site des Domaines, qu’elle porte les mêmes veines en arc de cercle dans le tiroir du milieu, et le même nœud dans le tiroir en haut à droite (nous les avons entourés d’un cadre bleu - ill. 3 à 4). Le site des domaines indiquait aussi : « dessus en marbre blanc à bord chanfreiné et ressaut central » comme on le voit sur l’illustration 1.


2. Commode vendue par les Domaines provenant du château de Grignon.
Nous avons entouré les deux détails que l’on retrouve clairement sur la commode de l’illustration 1.
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3. Commode de l’illustration 1 avec, entouré comme sur l’illustration 2, les zones où on voit les veines du bois.
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4. Détail de la commode sur le site où elle est proposée à la vente : on voit le nœud du bois au même endroit que sur l’illustration 2
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D’époque Louis XVI (et non pas « de style »), elle l’était et de très bonne facture, elle l’était également. Quant à l’estampille, il s’agit de celle de l’ébéniste Nicolas Petit (ill. 5), dont des meubles sont conservés par exemple au Musée Carnavalet ou au Musée Calouste-Gulbenkian (sur Nicolas Petit, voir cet article).

Estimée par les Domaines 30 €, elle a été vendue 830 € (plus 11 % de frais) en juin 2022, avant d’être revendue en août 2022 à un antiquaire qui l’a restaurée et la met désormais en vente au prix de 9 200 €. Le premier acheteur comme ce dernier antiquaire ont fait leur travail, parfaitement, si ce n’est que ce dernier n’avait pas connaissance de la provenance, et ne pouvait donc pas l’indiquer sur la description. L’origine Grignon était donc perdue.


5. Estampille de Nicolas Petit sur le meuble proposé à la vente par l’antiquaire
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Ce que disent les Domaines dans l’article du Monde du 11 janvier 2023 : « Il y a eu un loupé, admet Alain Caumeil, le patron de la DNID, non pas sur l’ensemble des meubles mais seulement sur les Séné. Le reste de la marchandise n’aurait pas été conservé par le Mobilier national. » n’est donc pas exact. Les autres meubles n’auraient peut-être pas été conservés par le Mobilier national, mais il est peu probable qu’il aurait donné son accord à cette vente (et s’il l’avait fait, cela aurait été aussi un scandale). Car il s’agit d’un mobilier certes moins exceptionnel que les Sené mais néanmoins remarquable (Nicolas Petit est un bon ébéniste) et qui faisait en plus partie du mobilier d’origine d’un monument historique. Lorsque l’on connaît les dispersions désastreuses du mobilier des grandes demeures, que nous n’avons cessé de dénoncer ici (voir notamment cet article), que l’État soit lui-même l’un de ces dépeceurs, même involontairement par incompétence, est encore plus condamnable.

Il n’est évidemment pas question pour nous, nous l’avons déjà dit, de mettre en cause les acheteurs et revendeurs de ce mobilier. Pour cette commode de Nicolas Petit, la seule solution raisonnable et morale serait que le ministère de l’Agriculture [1] prenne ses responsabilités, et rachète le meuble pour le réinstaller dans le château de Grignon avec une protection in situ prise par le ministère de la Culture, qui n’est pas moins responsable que lui de ce fiasco.
Malheureusement, il est évident que l’État restera inactif. Le Mobilier national, que nous avons interrogé, nous a répondu qu’il « privilégie à ce jour la récupération de l’ensemble de salon constitué des chaises, canapé, fauteuils et console. Les discussions avec les détenteurs de ces meubles sont toujours en cours [2] » et donc qu’il ne ferait rien sur le reste du mobilier.

Nous lançons donc à nos lecteurs un appel : si un mécène pouvait acheter ce meuble et l’offrir publiquement au ministère de la Culture pour affectation au domaine de Grignon [3] - on voit mal comment celui-ci pourrait le refuser, il ferait à la fois un beau geste, un geste symbolique, et il mettrait l’État face à son impéritie. Et un tel don serait bien sûr déductible, ce qui ne coûterait à son généreux auteur que la somme d’environ 3 200 €.

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