Petit cours sur la protection des monuments historiques, à l’attention d’Emmanuel Étienne, sous-directeur des monuments historiques et des sites patrimoniaux

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Comme nous l’écrivons dans notre article consacré à la vente du domaine de Grignon], Emmanuel Étienne, sous-directeur des monuments historiques et des sites patrimoniaux, raconte n’importe quoi quand il affirme, aussi bien devant la Commission nationale des monuments historiques que dans la réponse qu’il nous a faite par mail, que la différence entre le classement et l’inscription concerne : « principalement la maîtrise d’œuvre : les travaux de restauration d’un immeuble classé doivent être confiés à un architecte spécialisé (architecte en chef des monuments historiques ou architecte du patrimoine ayant au moins 10 ans d’expérience dans le domaine de la restauration du bâti ancien) ».

Si cette différence n’était que celle-ci, on se demande vraiment pourquoi il existe deux types de protection. Ce n’est évidemment pas le cas, et nous avons listé ici (en nous basant sur le code du patrimoine, qu’Emmanuel Étienne devrait lire de manière urgente) toutes les différences entre les deux statuts de protection.

1. Le déclassement d’un monument classé (heureusement extrêmement rare) ne peut être fait que par le ministre de la Culture, après avis de la Commission régionale du patrimoine et de l’architecture (CRPA) et de la commission nationale du patrimoine et de l’architecture). Article R621-10).
En revanche, la désinscription est beaucoup plus simple puisqu’elle suit le même processus que l’inscription : elle est de la responsabilité du préfet de région après avis de la CRPA. La CNPA n’est pas consultée. Article R621-59.

2. Les prescriptions pour les travaux sont très différentes : certains ne peuvent être interdits sur un immeuble inscrit qu’en le classant (article R621-61). L’autorisation de travaux doit être donnée dans les 6 mois pour un immeuble classé (article R621-13), 4 mois seulement pour un immeuble inscrit (article R621-61). Pour un immeuble inscrit, cette autorisation est donnée par le préfet de région. Pour un immeuble classé, c’est également le préfet de régions, mais le ministre de la Culture peut se saisir du dossier, et le délai passe alors à 12 mois (article R621-13).
L’autorisation de travaux sur un immeuble classé doit être affichée sur le terrain, pas pour un immeuble inscrit.

3. Comme le dit Emmanuel Étienne : pour les travaux sur un immeuble classé, un architecte du patrimoine est nécessaire, mais ne l’est pas pour un immeuble inscrit (ce qui est d’ailleurs très problématique, nous y reviendrons dans un prochain article).

4. Pour un immeuble classé, la conformité des travaux doit être constatée par la DRAC dans les 6 mois de l’achèvement. Pas pour l’immeuble inscrit.

5. Si, comme le dit Emmanuel Étienne, pour le contrôle scientifique et technique, les deux niveaux de protection sont effectivement proches, il n’est cependant pas exactement semblable. En effet, pour un immeuble classé, « avant de déposer une demande pour obtenir l’autorisation prévue à l’article L. 621-9, le maître d’ouvrage transmet au préfet de région le projet de programme accompagné du diagnostic de l’opération. Après, le cas échéant, un débat contradictoire, le préfet de région lui fait part de ses observations et recommandations. » Cette obligation n’existe pas pour un immeuble inscrit.

6. La participation de l’État aux travaux de restauration ou d’entretien pour les monuments classés ne lui appartenant pas n’est théoriquement pas limitée. Pour les monuments inscrits, elle est limitée à 40%.

7. Il est impossible de faire faire des travaux d’office sur un immeuble inscrit alors que c’est possible pour un immeuble classé (articles R621-45, R621-46, R621-47). Même si cette arme est utilisée trop rarement, elle existe (et pourrait d’ailleurs être utile pour le domaine de Grignon une fois que celui-ci sera vendu).

8. Il est impossible d’exproprier un propriétaire d’immeuble inscrit pour raison de conservation, mais c’est possible pour un immeuble classé (article L621-13).

9. Les servitudes légales qui peuvent causer la dégradation des monuments ne sont pas applicables aux immeubles classés au titre des monuments historiques. En revanche, elles peuvent l’être pour les monuments inscrits. Une servitude légale peut établie par convention sur un immeuble inscrit. Sur un immeuble classé, il faut l’autorisation du préfet.

10. Un immeuble classé appartenant à une collectivité territoriale ou à un de ses établissements publics ne peut être aliénée sans que l’autorité administrative compétente (donc le préfet, voire le ministère de la Culture) ait présenté ses observations dans un délai de deux mois ; si cette formalité n’est pas accomplie, l’aliénation peut être annulée par l’autorité administrative (article L621-22). Cela n’est pas le cas pour les monuments inscrits.

11. Le classement in situ d’ensemble d’objets mobiliers est possible pour un monument classé, mais pas pour un monument inscrit (article L622-1-2). Bien que cette possibilité donnée par la loi de 2016 soit encore très sous utilisée (nous reviendrons bientôt sur cette question avec l’exemple d’un classement in situ), qu’elle soit impossible pour un immeuble inscrit est regrettable.

Voilà toutes les différences entre l’inscription et le classement (et encore, certaines ont pu encore nous échapper) ! L’inscription, en réalité, est une protection relativement légère, beaucoup moins gênante pour un vandale. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’État refuse souvent obstinément de classer les monuments historiques qu’il veut vendre, car un classement fait baisser la valeur de l’ensemble. C’est ce qui se passe pour le Conservatoire d’art dramatique que Roselyne Bachelot nous a pourtant promis de faire classer (voir les articles). On ne comprend vraiment pas pourquoi, puisque l’inscription et le classement c’est presque pareil, selon Emmanuel Étienne…

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