Petit cours sur la protection des monuments historiques, à l’attention de Jean-François Martins, directeur de la société d’exploitation de la tour Eiffel

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1. La tour Eiffel
Photo : Didier Rykner
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Que les responsables politiques racontent n’importe quoi à propos de la législation des monuments historiques est une chose, qu’ils puissent le faire à longueur de temps sur les ondes sans être contredits en est une autre, un peu agaçante. C’est ainsi que Jean-François Martins, directeur de la société d’exploitation de la tour Eiffel (également politique, puisqu’il est conseiller de Paris, qu’il est un ancien adjoint de la maire de Paris et que la SETE est détenue à 99 % par la Ville de Paris), est intervenu ce matin sur France Bleu Paris et a, évidemment, raconté n’importe quoi, comme l’avait fait Emmanuel Grégoire (voir l’article) mais sur d’autres points encore.

Voici, en effet, ce qu’il a affirmé à ce micro : « Qu’est-ce qui se passe quand on classe monument historique un monument, un bâtiment ou un immeuble : vous figez, vous vitrifiez l’objet et ses abords, donc vous vitrifiez la tour et tout ce qui se passe autour vous n’avez quasiment plus rien le droit de bouger. La proposition de la ministre de la Culture c’est donc de vitrifier la tour telle qu’elle actuellement [pour] qu’on ne puisse plus rien y bouger, c’est-à-dire, sur ses abords, des deux voies, des voitures et tout ça. Donc moi je veux bien étudier cette question du classement MH, à une condition : qu’on retrouve dans ces cas là l’état de la tour Eiffel à sa création en 1889, qu’on respecte la tour telle qu’elle était en 1889 quand Eiffel l’a construite, au moment de l’Exposition Universelle, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de voitures autour. Si la ministre de la Culture s’engage à ce que le classement MH se fasse en même temps qu’une piétonnisation aux abords, c’est-à-dire le retour de l’état de la tour en 1889, moi je voudrais bien l’étudier. »


2. Le hall d’entrée de Versailles, dans ce qui fut autrefois la vieille aile.
On appréciera comment elle a été figée par le classement monument historique
Photo : Didier Rykner
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Rectifions donc ces propos.
Tout d’abord, en quoi Jean-François Martins a-t-il une quelconque légitimité pour donner son accord ou non au classement de la tour Eiffel (ill. 1) ? Seul le propriétaire a son mot à dire dans cette proposition. Le propriétaire est la mairie de Paris. Pas la SETE, qui exploite le monument, comme son nom l’indique. Il est donc trop bon de dire à la ministre de la Culture qu’il serait d’accord à telle ou telle condition pour classer le monument. Car son accord n’est pas requis.

Son avis a d’autant moins de valeur que Jean-François Martins ne sait pas ce qu’est un classement monument historique. Non, cette protection ne « fige » rien et « vitrifie » encore moins, ni le monument lui-même, ni ses abords. D’ailleurs, à La Tribune de l’Art nous le regrettons car nous nous épargnerions bien des catastrophes patrimoniales si tel était le cas. Un monument ou ses abords peuvent être modifiés, même si celui-ci est classé, mais cela impose des autorisations du ministère de la Culture qui peuvent être données ou non. Si le classement, en principe, empêche de dénaturer gravement un monument, il ne le fige pas. Et d’ailleurs, dans certains cas, des monuments classés sont vandalisés. Nous aurions ainsi aimé que le Panthéon soit « figé » et ne soit pas dénaturé par les installations d’Anselm Kiefer (voir l’article). Nous aurions préféré que les abords du Panthéon soient « figés » et pas dénaturés par les installations de la mairie de Paris (voir l’article). Nous aimerions que Notre-Dame soit « figée » et non dénaturée par les vitraux contemporains que veut y installer Emmanuel Macron (voir les article). Nous aurions aimé que le château de Versailles ait été « figé » et non dénaturé à maintes reprises, le plus grave étant sans doute la destruction de l’intérieur de la Vieille Aile (ill. 2 ; voir les articles)…


3. La véritable vitrification de la tour Eiffel
Photo : Didier Rykner
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Bref, nous pourrions multiplier les exemples de monuments classés modifiés - et parfois dénaturés - qui n’ont donc pas été « figés ». Il reste qu’évidemment, il est en principe plus difficile d’abimer un monument classé qu’un monument qui ne l’est pas, et c’est sans doute cela qui gêne Jean-François Martins.
Ajoutons que sur la question des abords, les contraintes de l’inscription monument historique - la tour Eiffel est déjà inscrite - ne sont pas différentes, selon le code du patrimoine, de celles du classement. Et que cela n’a hélas pas empêcher de dénaturer ses abords en les « vitrifiant » (ill. 3), justement (voir l’article).

Ce que Jean-François Martins raconte à ce sujet est donc faux, comme est fausse son affirmation que « tous les grands monuments du monde ont de grands espaces piéton autour pour gérer les flux ». Où sont les « grands espaces piétons » autour de la place Saint-Pierre, du Colisée, de la tour de Londres, de l’abbaye de Westminster, du palais Royal de Madrid, du Musée du Prado ou de la porte de Brandenbourg ? Nous pourrions trouver des dizaines, des centaines d’exemples de grand monuments dont les espaces piétons sont beaucoup moins importants que ne l’est par exemple… le Champ-de-Mars, au pied de la tour Eiffel.


4. Photographie de la tour Eiffel en construction en 1888
où l’on voit la circulation sur le pont
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5. Photographie de la tour Eiffel en 1919
où l’on voit la circulation sur le pont et sur le quai
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En fait, rien de ce que dit Jean-François Martins dans la citation que nous avons extraite de son interview n’est exact, même lorsqu’il affirme qu’à l’origine, il n’y avait pas de voitures à proximité. Ainsi, des photos anciennes de la tour Eiffel (ill. 4 et 5) nous révèlent que, bien entendu, à l’exception du moment des Expositions Universelles qui s’étendaient du Champ-de-Mars au Trocadéro, la circulation était bien présente à la fois sur le pont et sur le quai.

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