Classement de la tour Eiffel : ce que dit le code du patrimoine

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The Eiffel Tower seen from the Champ-de-Mars
Photo : Didier Rykner
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Alors qu’Emmanuel Grégoire, premier adjoint de la maire de Paris, déclarait ne pas s’opposer a priori au classement de la tour Eiffel et être prêt à examiner le dossier, Anne Hidalgo a affirmé ce matin sur TF1 qu’elle s’y opposait. Penchons-nous un instant donc sur cette question du classement d’un monument historique pour savoir ce que peut faire le propriétaire du monument - en l’occurrence la Ville de Paris - et l’autorité en charge de la protection des monuments historiques : le ministère de la Culture.

Mais tout d’abord interrogeons-nous sur le sens d’un classement. Le code du patrimoine, dans son article L. 621-1, explique que « Les immeubles dont la conservation présente, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public sont classés comme monuments historiques en totalité ou en partie par les soins de l’autorité administrative ».
La conservation de la tour Eiffel présente-t-elle « au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public » ? Poser la question, c’est y répondre. On pourrait malgré tout se poser la question de savoir ce que veut dire « un intérêt public ». À cela, le ministère de la Culture - mais aussi la jurisprudence - met en avant les « notions de rareté, d’exemplarité, d’authenticité et d’intégrité des biens sont notamment prises en compte ».

La tour Eiffel est-elle une architecture rare ? Évidemment oui.
La tour Eiffel est-elle une architecture exemplaire ? Évidemment oui.
La tour Eiffel est-elle une architecture authentique ? Évidemment oui.
La tour Eiffel a-t-elle une intégrité architecturale ? Évidemment oui (même si, par exemple, l’enlèvement de son escalier hélicoïdal d’origine, qui passe régulièrement par petits bouts en ventes aux enchères, a abimé son intégrité).

La tour Eiffel est sans doute, avec Notre-Dame, Versailles et le Mont-Saint-Michel l’un des monuments les plus connus dans le monde. Aucune personne saine d’esprit ne pourrait affirmer qu’elle ne devrait pas être classée monument historique.

Si André Malraux, qui a fait inscrire la tour Eiffel, ne l’a pas classée monument historique comme le dit Anne Hidalgo, utilisant cela dans son inculture comme un argument qu’elle doit penser imparable, les raisons peuvent en être multiples :
 la première est que l’inscription est souvent une étape préalable au classement (même s’il est possible de classer directement),
 la deuxième est qu’il faut - a priori - l’accord du propriétaire, la Ville de Paris, qui manifestement ne l’a jamais donné,
 la troisième est qu’en 1964, alors qu’André Malraux était ministre de la Culture, l’architecture du XIXe siècle était encore très sous-estimée ; rappelons que c’est ce même Malraux qui a autorisé l’installation du plafond de Marc Chagall qui recouvre celui de Lenepveu voulu par Garnier, que c’est ce même Malraux qui a fait déposer le plafond de Jean-Paul Laurens du théâtre de l’Odéon pour le remplacer par celui d’André Masson. Rappelons enfin que, même si Malraux venait de quitter le ministère de la Culture, la démolition des Halles de Baltard a pu se faire parce que celui-ci n’avait ni inscrit, ni classé les pavillons. Faire intervenir André Malraux dans ce débat est un bien pauvre argument.

La tour Eiffel doit donc être classée monument historique. À part la mairie de Paris, personne ne peut réellement prétendre que cela n’est pas nécessaire, d’autant que cela renforcera évidemment sa protection, aujourd’hui loin d’être optimale contrairement à ce que prétend Emmanuel Grégoire (voir l’article).

Et pour cela, le ministère de la Culture dispose de toutes les cartes. Le code du patrimoine prévoit en effet la possibilité d’un classement d’office, en l’absence de l’accord du propriétaire. La procédure est la suivante : le ministre demande l’avis (consultatif) de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (qui peut penser que celle-ci donnerait un avis négatif dans le cas de la tour Eiffel ?), puis le classement d’office est prononcé par décret du Conseil d’État.
Remarquons qu’une indemnité peut être demandée par le propriétaire en cas de classement d’office, « s’il résulte, des servitudes et obligations dont il s’agit, une modification à l’état ou à l’utilisation des lieux déterminant un préjudice direct, matériel et certain », ce qui ne serait évidemment pas le cas ici.

Rien, donc ne s’oppose à ce que la tour Eiffel soit classée monument historique, malgré le choix manifestement purement politique de la maire de Paris de refuser cette mesure, uniquement parce qu’elle est proposée par sa principale concurrente.

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