Un espoir pour les Monuments Historiques ?

Le 4 juillet dernier, un rapport d’étape d’une mission d’information du Sénat, chargée d’étudier l’entretien et la sauvegarde du patrimoine architectural, était publié. Très remarqué, celui-ci faisait un état des lieux dramatiques, confirmant en tous points les constatations faites par les acteurs du terrain, et lançait un cri d’alarme pour dénoncer la situation désastreuse du patrimoine, due en particulier à des diminutions des crédits effectivement disponibles, dans des proportions sans précédent (sur ce sujet, voir notre article).

Le rapport d’information définitif, sorti il y a quelques semaines, est un document fondamental. Parfaitement étayé, très critique tout en restant mesuré, il dresse un bilan non moins grave que celui de juillet, mais note que la publication, dès l’été, de ses premières conclusions, a sans doute permis d’obtenir les quelques mesures annoncées par le Premier Ministre en septembre (voir le post-sciptum de l’article cité ci-dessus).

Le sénateur Philippe Richert, président de cette mission d’information, a présenté son rapport lors d’un débat organisé par l’Association des Journalistes du Patrimoine, le 10 novembre dernier.

Les participants à ce débat, notamment Christophe Eschlimann, président du GMH (Groupement des Monuments Historiques), le premier à s’être battu depuis de longs mois contre la baisse des crédits de restauration, ont reconnu que les mesures prises en septembre permettraient d’assurer, si elles étaient respectées (ce qui n’est pas certain si l’on en croit les promesses non tenues dans un passé récent) un retour à une situation normale en 2007, mais sans garantie aucune pour les exercices budgétaires suivants. On ne peut donc, au delà du constat fait par le Sénat, que plébisciter les recommandations de ce rapport.

Ce qui est nouveau, dans celui-ci, c’est l’affirmation que le patrimoine, avant d’être un poste coûteux, est surtout une source de richesse : « les dépenses en faveur du patrimoine ne sont pas [...] des dépenses à fonds perdus, consenties par la Nation pour des raisons sentimentales, mais […] des dépenses qui, à leur tour, créent de l’activité économique, de la richesse et de l’emploi. » Pour argumenter cette affirmation, les résultats de deux études récentes sont rappelés ; l’une a été réalisée en 2003 par l’économiste Xavier Greffe pour le compte de la Direction de l’architecture et du patrimoine, l’autre en 2006 par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Les deux vont dans le même sens. Pour Xavier Greffe, la filière patrimoine représente près de 350.000 emplois directs et indirects, et beaucoup plus encore si l’on y ajoute les emplois du tourisme patrimonial, difficiles à chiffrer. Ce constat est confirmé par le rapport de la région PACA qui estime notamment, pour ce qui la concerne, à 1,275 milliards d’euros l’impact économique du tourisme patrimonial.

Evidemment, le patrimoine est bien plus qu’un simple actif économique, mais ces chiffres sont importants à mettre en avant lorsqu’on discute avec des décideurs ou des hommes politiques qui n’ont que des intérêts financiers en tête et se moquent pas mal de la culture. On entend beaucoup dire, même chez ceux qui regrettent la situation actuelle, que l’Etat n’a plus les moyens d’entretenir les monuments historiques. Ces rapports successifs démontrent qu’au contraire, les moyens nécessaires, qui représentent une goutte d’eau dans le budget national, sont également des investissements qui rapportent davantage qu’ils ne coûtent.

Le rapport fait ensuite l’état des lieux et confirme la baisse phénoménale des crédits alloués aux monuments historiques à partir de 2004, l’arrêt de très nombreux chantiers, et les cessations d’activité de nombreuses entreprises du secteur. Il souligne que la décision du premier ministre d’affecter au patrimoine une ressource pérenne correspondant à 25% du produit des droits de mutation à titre onéreux, plafonné à 70 millions d’euros, ne suffira pas à « garantir sa durabilité, ni la stabilité de son montant, ni la stabilité du montant global des crédits des monuments historiques ». Il propose surtout plusieurs solutions que l’on ne peut qu’approuver entièrement. Celles-ci sont au nombre de treize, dont les plus importantes sont les suivantes :

 réévaluer le budget annuel consacré au patrimoine monumental pour le situer dans une fourchette de 350 à 400 millions d’euros (350 étant le minimum nécessaire),

 stabiliser ces enveloppes financière ; ce point est fondamental, l’instabilité permanente des crédits rendant impossible une gestion efficace,

 veiller à ce que la réforme de la réglementation sur la maîtrise d’ouvrage ne compromette pas l’accès à l’assistance à cette maîtrise d’ouvrage que l’Etat doit apporter aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés ; cette recommandation est essentielle, car le rapport souligne à juste titre que donner la maîtrise d’ouvrage aux propriétaires, qui n’ont souvent aucune compétence dans ce domaine, pourrait compromettre gravement les restaurations ; il insiste sur l’aide nécessaire que doit continuer à apporter l’Etat dans l’exercice de cette fonction.

 envisager la création, à l’horizon 2008, d’une recette d’environ 90 millions d’euros assise sur le produit de la Française des jeux, basée sur l’exemple britannique,

 étendre à la conservation et à l’entreprise des monuments privés les dispositions fiscales relatives au mécénat ; il s’agirait ici de permettre aux entreprises ou aux particuliers de devenir mécènes de monuments historiques privés «  ouverts à la visite ou à l’accueil du public » et de bénéficier des mêmes déductions que lorsqu’ils financent des restaurations sur les bâtiments publics,

 préserver le dispositif fiscal lié à la loi Malraux en faveur des secteurs protégés ; ce point était peu connu, mais il montre à quel point ce gouvernement est capable d’imagination dès qu’il s’agit de nuire au patrimoine : le projet de loi de finance instituait en effet un plafonnement des avantages fiscaux dont bénéficiait les restaurations d’immeubles situés en secteur sauvegardé et en zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) ; ce projet a été annulé par le Conseil constitutionnel, non sur le fond, mais pour excès de complexité...

Nul ne sait, pour l’instant, si le gouvernement retiendra ces recommandations de simple bon sens, et les élections prochaines rendent la situation encore plus incertaine. Il convient donc d’être vigilant. Il faut, en tout cas, rendre hommage à cette commission du Sénat et au sénateur Richert, pour avoir produit ce rapport exemplaire.

P. S. Comme il fallait le craindre, les espoirs ont été déçus. En septembre 2008, la situation est toujours aussi dramatique (voir article)

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