La grande détresse des monuments historiques

Jeudi 7 septembre avaient lieu deux conférences de presse. La première était organisée par La Demeure Historique, association qui regroupe plus de 3000 propriétaires privés, le Groupement Français des Entreprises de Restauration de Monuments Historiques (GMH), dont le nom parle de lui-même et le Collège des Monuments Historiques. La présence de ce dernier à cette conférence, représenté par Frédéric Didier (architecte en chef des monuments historiques), est assez exceptionnelle. Ce collège regroupe en effet des ACMH et des conservateurs du patrimoine, donc des fonctionnaires qui ont généralement l’habitude de respecter le sacro-saint « devoir de réserve ». Or, le discours tenu était très alarmiste, voire catastrophiste quant à la situation des monuments historiques en France. Ce front commun des maîtres d’ouvrage, des maîtres d’œuvre et des entreprises du bâtiment témoigne que la situation est arrivée à un point critique. « On sort de notre réserve, car la situation est très grave. Il s’agit d’un constat objectif, masqué par une politique de communication qui tient lieu de politique tout court. » Malgré toutes les déclarations du ministre, l’ensemble des acteurs du domaine affirment qu’il y a un désengagement de l’Etat, et qu’il s’agit d’une « tendance lourde ».

Les chiffres, donnés par Christophe Eschlimann, président du GMH, sont les suivants :
 depuis quatre ans, suite à la décision par Jean-Jacques Aillagon de supprimer les reports des crédits non consommés, les budgets effectifs, c’est à dire les sommes dépensées réellement pour les restaurations de monuments historiques par l’Etat ont fortement chuté, passant de plus de 500 millions d’euros en 2002 à 200 millions en 2006.
 En 2006, 300 chantiers de restauration sont ou vont être interrompus, sur un total d’environ 1000, soit 30%. « On peut parler de débâcle » précise Frédéric Didier.
Or, même l’arrêt d’un chantier a un coût, qu’il estime à 10% de la dotation, ce qui signifie que pour une région moyenne, comme la Bourgogne, cinq millions de crédits supprimés ont abouti à un coût de 500000 € ! Disparus en fumée.
Les conséquences sont multiples. Outre celles directes sur les monuments ainsi mis en péril (20% des bâtiments inscrits ou classés !), les impacts humains sont sérieux : faillites, licenciements (700 emplois supprimés en 2005) et pertes de savoir-faire qui ruinent les efforts de formation. L’Etat a créé ces dernières années de nombreuses écoles et il a la responsabilité de ces jeunes très qualifiés qui ne peuvent plus trouver de débouchés.

Les propriétaires, qu’ils soient privés ou collectivités territoriales, n’ont plus confiance dans l’Etat qui ne s’engage plus sur le long terme, faute de moyens et parce que le récent transfert de la maîtrise d’ouvrage aux propriétaires diminue ses responsabilités. Des chantiers commencent et se retrouvent brutalement sans crédits. Ce désengagement effectif, lié à la décentralisation, est aggravé par la diminution des subventions européennes due à l’élargissement communautaire.

Le patrimoine, comme l’ont rappelé les intervenants, demande une action sur le long terme. On ne peut se contenter de mesures conjoncturelles. Il est nécessaire de créer un flux financier continu, et d’éviter les à coup. Une annonce ponctuelle de déblocage de crédits, comme le ministre de la Culture l’a fait pour le budget 2006 (100 millions d’euros), ne peut servir de politique, surtout quand ces engagements ne sont pas respectés (ces 100 millions devaient venir des privatisations d’autoroute mais seulement 28,9 millions auraient été effectivement versés).

Pour entretenir a minima le patrimoine français, il faudrait selon eux 350 millions d’euros annuels, en permanence, valorisés régulièrement selon le coût de la construction. Dans cette hypothèse, trois à quatre ans seraient nécessaires pour mener à bien les programmes déjà engagés, sans pouvoir en lancer de nouveau. Pour réellement mettre à niveau, de manière optimum, le patrimoine français, l’Etat devrait lui consacrer 1 milliard par an.

Paul de la Panouse est venu témoigner des terribles difficultés que rencontrent les propriétaires privés. La toiture du château de Thoiry, inscrit au titre des monuments historiques, a été endommagée par la tempête de 1999. Une couverture provisoire a été installée et des demandes de subvention ont été faites en 2003, puis en 2005. Sans suite à ce jour. Il précise qu’il avait pris la précaution d’acheter les ardoises en 2002 (le prix de celles-ci a doublé depuis). Il ne peut pourtant pas débuter les travaux et ne peut même pas avancer cet argent malgré l’urgence, car si les travaux commencent sans l’accord du ministère, les subventions sont perdues. Plus aucune planification n’est possible. Sans compter, ajoute-t-il, une paperasserie administrative à n’en plus finir : il doit déposer trois permis de construire différents pour les trois tranches de réfection de la toiture.

Comme le souligne Jean de Lamberti, président de La Demeure Historique : « L’Etat impose des servitudes aux propriétaires de monuments inscrits et classés et ne leur rend plus les contreparties financières ».

La conférence de presse du ministre

La seconde conférence de presse était celle du ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, à l’occasion du lancement des Journées du Patrimoine. Qu’a t-il dit ?

Que (presque) tout allait bien. Que le patrimoine était au cœur de ses préoccupations et de celles du gouvernement. Et que les crédits (les crédits dépensés affirme-t-il) restent à peu près stables ; les chiffres du ministre sont les suivants : 289 millions d’euros en 2000, 331 en 2001, 310 en 2002, 311 en 2003, 341 en 2004, 313 en 2005, soit dit-il en moyenne 320 millions par an sur les six derniers exercices. Notons que ces montants, fort différents de ceux cités plus haut, sont également contredits par un rapport du Sénat sur l’entretien et la sauvegarde des Monuments Historiques datant de juillet 2006. On peut lire dans le communiqué de presse résumant ce rapport : « Les crédits attribués aux directions régionales des affaires culturelles, qui ont oscillé entre 240 et 247 millions d’euros sur la période 2000-2005 ne devraient plus s’élever, en 2006, qu’à 195 millions d’euros, ne permettant de satisfaire qu’un peu moins de la moitié des besoins exprimés. » Qui dit la vérité ? Le Collège des Monuments Historiques, le GFERMH, La Demeure Historique et le Sénat, ou le ministre de la Culture, bien isolé pour l’occasion.

Il est extraordinaire que le Ministre prétende sans sourciller que l’Etat ne se désengage pas, qu’au contraire même les crédits ont augmenté depuis 2000, et qu’il reconnaisse par ailleurs que la situation est difficile, et que des chantiers sont arrêtés. Il ajoute, en réponse à une question, qu’il est conscient que : « des métiers pourraient être amenés à disparaître, je n’ai pas besoin d’être rappelé à l’ordre sur ce sujet  ». Mais jamais il n’explique ce paradoxe : plus d’argent, moins de chantier ; plus d’argent, mais des emplois menacés.

Il affirme aussi, et on ne peut que s’en réjouir, qu’il se refuse à réduire le nombre de monuments nouvellement classés ou inscrits chaque année et que la logique scientifique doit l’emporter sur celle budgétaire. Il en conclut que c’est au ministère de donner les moyens nécessaires à ces nouvelles protections. N’en étant plus à une contradiction près, il reconnaît pourtant un peu plus tard que l’Etat «  ne peut pas toujours répondre oui aux sollicitations  ».

Seul (petit) espoir : Renaud Donnedieu de Vabres a souligné qu’on ne pouvait se contenter de mesures structurelles et que Dominique de Villepin ferait la semaine prochaine une annonce en ce sens. Tout va bien, mais demain tout ira encore mieux. On peut toujours rêver.

Site Monuments en danger reprenant le dossier de presse.

Une pétition, lancée par l’association VMF (Vieilles Maisons Françaises) vient d’être mise en ligne. Cliquez ici si vous souhaitez la signer.

P.S.. (16/9/06) Le Premier Ministre, comme Renaud Donnedieu de Vabres l’avait annoncé dans sa conférence de presse, a promis cette semaine le déblocage de 24 millions d’euros supplémentaires en 2006 et de 70 millions pour 2007. Annonces qui vont dans le bon sens comme l’a confirmé Christophe Eschlimann, président du Groupement Français des Entreprises de Restauration de Monuments Historiques, mais qui demandera à être confirmé, les précédentes annonces du même type n’ayant jamais donné lieu au déblocage de la totalité des travaux promis. Premier résultat : le chantier de la cathédrale de Strasbourg, qui était interrompu, devrait reprendre.
Voir notre article Un espoir pour les Monuments historiques ? publié le 23 décembre 2006.

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