Nos réponses au débat de la Commission des finances sur l’ISF et les œuvres d’art

Nous avons déjà expliqué en détail dans notre lettre ouverte aux parlementaires pourquoi une inclusion des œuvres d’art dans l’ISF serait une catastrophe pour le marché de l’art et le patrimoine.
Il est également nécessaire de répondre point par point aux arguments de ses partisans.

C’est pourquoi nous proposons ici l’intégralité de la discussion qui a eu lieu au sein de la commission des finances à ce propos.
Nous mettons en italique les phrases qui nous paraissent essentielles, et en gras nos réponses et nos commentaires.

Nous complétons cet article avec une analyse de l’exposé sommaire présenté par certains députés pour justifier le texte.

« Puis elle examine l’amendement I-CF 199 du rapporteur général.

M. le rapporteur général. Je propose d’assujettir à l’ISF les œuvres d’art dont la valeur est supérieure à 5 000 euros – tout en restant ouvert à un ajustement de ce seuil –, si elles ne sont pas exposées dans un lieu accessible au public pendant une durée et dans des conditions définies par décret en Conseil d’État.

Notre commentaire : Nous avons démontré ici l’infaisabilité de cette idée : même s’ils le voulaient, il est impossible d’exposer l’ensemble des œuvres d’art pour éviter leur imposition.

Une telle mesure ne rapporterait sans doute que quelques millions d’euros.

Notre commentaire : On apprend ainsi que le chiffre qui circulait de 100 millions d’euros n’est même pas celui auquel croit le rapporteur. Il parle bien ici de « quelques millions d’euros ». On n’est donc pas dans un calcul économique, mais bien dans une proposition idéologique.

Je rappelle qu’aux termes du présent article, le taux d’imposition à l’ISF s’échelonne de 0,5 à 1,5 % ; en d’autres termes, une œuvre d’art dont la valeur est estimée à 100 000 euros ne serait imposée qu’à hauteur de 500 euros par an.

Quant au régime des plus-values, il est bien plus favorable aux œuvres d’art qu’aux valeurs immobilières et même mobilières.

Notre commentaire : Sur les plus-values, voir plus bas.

Une telle mesure, souvent proposée – et qui a d’ailleurs été déjà adoptée en commission avant d’être rejetée en séance – prendrait tout son sens en cette période où nous demandons des efforts à certains de nos concitoyens.

M. le président Gilles Carrez. Je suis favorable à une évolution législative en la matière, mais le bon vecteur fiscal me semble être la taxation des plus-values.

Notre commentaire : Sur les plus-values, voir plus bas.

M. Marc Le Fur. Rapporteur de la commission des Affaires économiques pour un autre texte, je n’ai pu déposer moi-même un amendement sur le sujet, mais je voterai celui du rapporteur général.

L’art est parfois devenu une valeur refuge. Alors que la résidence principale est incluse dans l’assiette de l’ISF, comment comprendre que les œuvres d’art en soient exclues ?

Notre commentaire : Cet argument est incroyable : Marc Le Fur semble estimer que l’imposition sur la fortune de la résidence principale est injuste (ce qui est, à titre personnel, notre conviction) et il propose donc d’élargir l’injustice aux œuvres d’art. Il oublie cependant un point : on peut, à la limite, considérer que posséder sa résidence principale permet d’ « économiser » un loyer, et occasionne donc un flux de « revenu ». On peut difficilement en dire autant des œuvres d’art.

Le vecteur de l’ISF me semble préférable à celui de la plus-value dans la mesure où cette dernière pourrait, nous objectera-t-on, pénaliser le marché de l’art. Il permet d’imposer des patrimoines qui, le plus souvent, ne sont pas accessibles au public et ne font pas l’objet de mutations.

L’an dernier, mon amendement avait été adopté en commission avant d’être rejeté en séance, chacun ayant été rappelé à l’ordre entre-temps. J’espère donc que l’on ira au bout cette fois.

J’ajoute que ce genre de patrimoine ne crée ni activité, ni emplois.

Notre commentaire : Dire que ce genre de patrimoine ne crée ni activité, ni emplois montre une méconnaissance totale du marché de l’art (voir notre lettre ouverte).

Un investisseur qui achète des actions pour 1 million d’euros et les revend cinq ans plus tard au double de leur valeur est imposé, au total, à hauteur de 410 000 euros, contre seulement 100 000 euros pour une opération équivalente avec des œuvres d’art. Cette différence est excessive.

Notre commentaire : Sur la question de la plus-value, et la fausseté de ce raisonnement, voir plus bas.

M. Pascal Terrasse. Sans débattre du problème plus général de la création artistique, rappelons que Paris reste une place importante du marché de l’art, même s’il a reculé depuis une vingtaine d’années au profit, notamment, de Londres et New York. Mieux vaudrait une mesure sur les plus-values. Évitons, en tout cas, de pénaliser le marché de l’art parisien, d’autant qu’il génère d’importantes retombées fiscales.

Notre commentaire : Pascal Terrasse a raison de ne pas vouloir pénaliser le marché de l’art parisien. Sur les plus-values (dont une réforme pénaliserait le marché parisien), nous ne pouvons que renvoyer une nouvelle fois à notre argumentaire.

M. Charles de Courson. L’exposé sommaire de l’amendement est incomplet. Si, en 1982, la gauche a exclu les œuvres d’art de l’assiette de l’impôt sur les grandes fortunes (IGF), ce n’est ni parce que M. Fabius est le fils d’un grand antiquaire parisien, ni pour soutenir le secteur artistique, mais parce qu’une telle mesure est très difficile à appliquer. Comment imaginer que des inspecteurs des impôts, qui devraient être experts en art, procèdent à de tels contrôles au sein de toutes les résidences concernées ? Y avez-vous réfléchi, monsieur le rapporteur général ?

M. Jean-Louis Gagnaire. L’esprit de l’amendement est de taxer les œuvres d’art dès lors qu’elles deviennent des valeurs refuges. Il est vrai que le cas des œuvres anciennes peut poser problème, car leurs propriétaires n’en connaissent pas toujours la valeur ; mais nous devons voter cet amendement, ne serait-ce que pour le symbole.

Notre commentaire : Le caractère purement idéologique de la mesure apparaît clairement dans les propos de Jean-Louis Gagnaire. Dire que « l’esprit de l’amendement est de taxer les œuvres d’art dès lors qu’elles deviennent des valeurs refuges » est évidemment totalement faux. L’amendement tel qu’il est prévu touchera de plein fouet l’ensemble du marché de l’art. Aux ventes délocalisées à Londres dont nous parlions dans notre lettre ouverte aux parlementaires, nous pouvons rajouter le témoignage d’un marchand parisien aujourd’hui : « si cet amendement est voté, je mets la clé sous la porte. Depuis la semaine dernière, trois ventes importantes ont été suspendues. »

Des œuvres d’art quittent le territoire national parce qu’elles sont vendues si cher que les musées nationaux ne peuvent les acheter : une taxation forte aurait peut-être un effet modérateur sur les prix. Mais il serait utile que la ministre de la Culture nous donne son avis.

Notre commentaire : Jean-Louis Gagnaire n’explique pas comment une taxation forte pourrait avoir un effet modérateur sur les prix qui permettrait aux musées d’acheter. Nous démontrons dans notre lettre ouverte que les musées perdraient une grande partie des donations et legs qu’ils reçoivent, et qu’ils pourraient acheter moins facilement (d’autant que leurs subventions diminuent).

M. Yves Censi. Le sujet est complexe : gardons-nous de toute décision hâtive. Les œuvres d’art relèvent du patrimoine et non des revenus du patrimoine. Or il est très difficile d’estimer la valeur d’un patrimoine, car elle dépend de la cote des objets qui le constituent.

Les investisseurs qui misent sur des artistes, monsieur Terrasse, peuvent aussi perdre beaucoup d’argent. Il faut respecter leur prise de risque, sans se laisser aveugler par les chiffres parfois exorbitants de certaines plus-values.

Mme Sandrine Mazetier. Voter cet amendement est d’abord une question de principe, même s’il faut effectivement mesurer la prise de risque de certains investisseurs, car ils peuvent, en achetant même une seule œuvre, faire monter la cote d’artistes peu ou pas cotés. En ce sens la plus-value réalisée lors de la première cession devrait échapper à l’impôt : la démarche n’est pas la même que celle qui consiste à acheter l’œuvre d’un artiste consacré dans un but spéculatif – puisque les cotes s’effondrent rarement. Je suis donc favorable à l’option choisie par le rapporteur général.

Notre commentaire : Sandrine Mazetier avance un argument supplémentaire contre l’augmentation forte de la taxation des plus-values. Elle démontre aussi de la manière la plus éclatante le caractère purement idéologique de la mesure : c’est une question de « principes ».

M. Michel Piron. L’enjeu est aussi culturel : veillons à ne pas apporter de mauvaises réponses.

S’agissant d’œuvres de création, les estimations sont pour le moins incertaines : on ne compte plus, dans l’histoire de l’art, les œuvres qui ont atteint des valeurs considérables alors qu’elles n’avaient enrichi ni leurs auteurs, ni même leurs premiers collectionneurs.

De la création au collectionneur, et de celui-ci au musée, l’enrichissement patrimonial est souvent important. Il convient donc de distinguer entre le capital lui-même et le flux. Un impôt sur la plus-value n’a assurément pas la même portée qu’un impôt assis sur un capital hypothétique.

M. le rapporteur général. Je ne comprends pas la position de ceux qui veulent défendre la place de Paris sur le marché de l’art tout en disant préférer une taxation des plus-values – même si je suis prêt à examiner plus avant les conditions de ces dernières.

Le rapporteur général a raison sur ce point. La taxation des plus-values n’est pas une solution, pas davantage que l’impôt sur la fortune. Les deux aboutiraient à des catastrophes.

S’agissant du contrôle et de l’estimation, je rappelle qu’au moment des ventes et des successions, la valeur des patrimoines est souvent connue. De surcroît, les œuvres sont généralement assurées.

Notre commentaire : L’assurance n’est pas systématique pour les collectionneurs, soit en raison du coût (ils préfèrent acheter des œuvres), soit parce qu’ils craignent l’inquisition fiscales ; la teneur de ce débat ne les en dissuadera pas, et les assureurs ont tout à craindre d’une imposition sur la fortune des œuvres d’art.

En tout état de cause, je propose de relever le seuil prévu dans mon amendement de 5 000 à 50 000 euros, qui me paraît mieux adapté.

La Commission adopte l’amendement ainsi rectifié (Amendement n° I-78). »

Un exposé sommaire faux

L’exposé sommaire expliquant pourquoi il est juste d’inclure les œuvres d’art dans l’ISF est basé sur un exemple faux. Nous rappelons ci-dessous en quoi il consiste et nous expliquons pourquoi il est erroné. Nous expliquons également pourquoi une forte augmentation des plus-values, alternative souvent envisagée dans les débats, ne serait pas une meilleure idée.

« Exposé sommaire : Comparons par exemple, la situation d’un contribuable qui investit un millions d’euros en en achetant des parts dans une entreprise locale de 300 salariés et créatrice d’emploi, et celle d’un contribuable qui investit la même somme dans l’achat d’une œuvre d’art.

Le contribuable qui va investir dans des actions pour un million d’euros et les revendre 5 ans après deux millions d’euros va réaliser une plus value de 100 %. Ce choix économiquement judicieux va se révéler fiscalement lourd puisqu’il paiera90 000 euros d’ISF (5 X 1,8 X 1 million), 190 000 euros d’impôt sur le revenu lié à la plus-value (régime normal de 19 %) en l’état du droit actuel, et 123 000 euros de prélèvement social sur les plus-values (12,3 %) ; soit un total de 403 000 euros

A contrario si il avait choisi d’investir son million d’euro dans des œuvres d’arts ,qu’il les avait conservé pour la même durée de 5 ans, et qu’il les avait revendu pour le même montant de 2 millions d’euros, il n’aurait eu alors à s’acquitter que de 90 000 euros de taxe forfaitaire sur les plus- values (4,5 % sur le prix de vente), et de 10 000 de CRDS, soit un total de 100 000 euros d’impôt.

La différence d’imposition entre les deux contribuables est donc bien de 303 000 euros. Pourtant l’achat d’une oeuvre d’art est un investissement non productif, leur impact économique est donc quasiment nul. Et l’investissement dans les œuvres d’arts sert souvent de prétexte aux plus fortunés pour échapper à l’assujettissement à l’ISF.

Une telle différence d’imposition n’est donc pas acceptable. Elle ne repose sur aucun fondement. Cet amendement répond donc à un enjeu de justice fiscale essentiel. »

Notre commentaire : Cet exposé sommaire est faux comme il est simple de le démontrer :

 Il imagine qu’un investissement dans un tableau peut doubler en cinq ans ; il devrait signaler que cet exemple, qui peut exister à la marge, est tellement rare et atypique qu’on ne peut en aucun cas bâtir une loi sur lui.

 Dans son calcul, où une entreprise double de valeur en cinq ans, l’argumentaire oublie que celle-ci aura selon toute vraisemblance été génératrice de revenus sous forme de dividendes, ce qui n’est pas le cas de l’œuvre d’art qui, contrairement à ce qui est dit, peut coûter (restauration, encadrement, assurance,…).

 De plus, fiscalement, on peut compenser les plus-values sur une action par des moins-values sur d’autres et ainsi payer moins d’impôts sur la plus-value globale, ce qui est impossible pour les œuvres d’art. Pour celles-ci, il arrive souvent qu’on perde de l’argent à la revente (au moins aussi souvent qu’on en gagne). Il y a donc moins-value qu’on ne peut compenser fiscalement avec les plus-values.

 Il est excessivement rare qu’un particulier vende une œuvre à un autre particulier sans passer par un marchand ou par une société de vente aux enchères ; or le calcul de l’argumentaire oublie les charges et taxes, qui s’appliquent sur les œuvres d’art comme sur toute transaction. Prenons l’exemple d’un marchand. Celui-ci paiera 19,6% de TVA sur la différence entre son prix d’achat et son prix de vente. Imaginons que le prix de revente d’un tableau par le marchand, acheté 2 millions, soit de 2,5 millions. Il paiera 1% du chiffre d’affaire à la caisse de retraite des artistes (même si le peintre est mort depuis 300 ans…), soit 25 000 euros. Il paiera ensuite 19,6% sur 500 000 euros, soit 98 000 euros. A cela, il faudra encore ajouter l’impôt sur les sociétés (de 0 à 10 000 euros environ sur son bénéfice). Si l’on ajoute la CRDS et la CSG du marchand, le montant global payé en taxes et impôt sera très comparable à celui de la vente des titres de la société. Et le même raisonnement pourra s’appliquer à une vente aux enchères.
La transaction aura donc engendré une rentrée d’argent équivalente à celle des titres vendus.

 On peut considérer qu’une plus-value de 5% forfaitaire sur les œuvres d’art est faible ; mais c’est oublier qu’une très grande quantité d’œuvres d’art qui ne devraient pas être imposées sur les plus-values car elles sont détenues depuis très longtemps par leurs propriétaires le sont tout de même, à ce taux, car ceux-ci ne disposent pas de la preuve d’acquisition. En matière d’objets, possession vaut titre, et pour des raisons évidentes (achats très anciens, œuvres héritées, etc), les particuliers ne disposent pas toujours des preuves d’achat de leurs objets (contrairement aux valeurs mobilières ou à l’immobilier). Ils sont donc condamnés à payer une plus-value qui, en fait, n’existe pas. Imaginons une taxe très élevée sur les plus-values : elle reviendrait à s’appliquer à tous les objets sans distinction d’une manière confiscatoire. Or le droit de propriété est toujours effectif en France, et est même inscrit dans la constitution.

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