La « restitution » de la « couronne de Ranavalona III »

Dans la nuit du 3 décembre 2011, le patrimoine malgache, déjà très éprouvé par l’incendie du Palais de la Reine en 1995, fut une nouvelle fois frappé par le vol de la couronne de la reine Ranavalona I, qui avait régné sur l’île entre 1828 et 1861 (ill. 1). L’œuvre était alors exposée au Palais d’Andafiavaratra, dit aussi Palais du Premier Ministre. Cette disparition est toujours ressentie douloureusement dans le pays car il s’agit d’un emblème important de son histoire. Interpol a été saisi, tous les pays ont été informés de ce vol via l’UNESCO, sans que cela ait pour l’instant permis de la récupérer. En attendant, une réplique plus ou moins exacte a été réalisée pour remplacer symboliquement l’objet désormais absent.


1. Couronne de la reine Ranavalona I
Volée au Palais d’Andafiavaratra en 2011
Photographie ancienne
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2. Couronnement de dais
Paris, Musée de l’Armée
Photo : Musée de l’Armée
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Depuis 2018, des rumeurs ont d’ailleurs couru, notamment sur les réseaux sociaux, que cette couronne se trouverait en France, à Paris. Il est évident que si cette œuvre, en vermeil argent recouvert d’or, devait être retrouvée en France, il faudrait immédiatement la rendre à Madagascar.
Est-ce la disparition de cette couronne qui a transformé une autre couronne provenant également d’Antananarivo et conservée au Musée de l’Armée à Paris (ill. 2) en couronne royale, cette fois de la reine Ranavalona III ? S’il s’agit effectivement d’un objet ressemblant à une couronne, celui-ci, réalisé dans un matériau beaucoup moins noble (du zinc doré), n’est en aucune manière celle de la reine, mais un élément décoratif qui surplombait la structure éphémère en forme de dais qui fut utilisée lors de la cérémonie (appelée Grand Kabary) pendant laquelle la souveraine prononça la déclaration de guerre contre la France. Contrairement à la couronne dérobée, qui était assimilable à une regalia [1], cette fausse couronne relève davantage des décors éphémères qui étaient montés en Europe lors des cérémonies d’entrée dans les villes. Un élément intéressant donc de l’histoire malgache, et de celle des rapports parfois difficiles entre la France et Madagascar, mais en aucun cas une œuvre majeure.

Dans sa volonté de propagande qui s’est traduite par la restauration discutable du Palais de la Reine et la construction juste à ses côtés d’un « Colisée » (voir notre article), le président de la République malgache, Andry Rajoelina, ne se prive pourtant pas de mettre en avant ce qui n’est rien d’autre qu’un mensonge pour avoir demandé à la France, dans un courrier envoyé à Emmanuel Macron et dont nous avons pu avoir connaissance, la « restitution » de la « couronne royale de la dernière Reine de Madagascar Ranavalona III ». Il ajoute que celle-ci constituerait une « prise de guerre par le général Joseph Gallieni », ce qui est également faux : elle fut donnée en 1910 au Musée de l’Armée par Georges Richard, qui était maire de Saint-Denis de la Réunion entre 1893 et 1896. S’il fut en charge de recruter de la main-d’œuvre malgache pour la Réunion, et qu’il séjourna probablement à Antananarivo dans le cadre de ses fonctions, il n’était en aucun cas un militaire. La manière dont il entra en possession de ce couronnement de dais n’est pas connu, mais rien n’indique qu’il s’agisse d’une prise de guerre au sens légal du terme.
Cette demande de « restitution » est explicitement mise en rapport par le président malgache avec « les dernières phases de travaux de réhabilitation du Rova d’Antananarivo, et du Palais de Manjakamiadana, incendiés en 1995 et laissés au rang de ruine » qu’il confirme par ailleurs vouloir inscrire au patrimoine mondial de l’UNESCO, une volonté pourtant fort compromise par ses travaux et que sa ministre de la Culture avait nié, contre toute évidence.


3. La reine Ranavalona III portant la couronne de Ranavalona I volée en 2011
Photographie ancienne
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4. Joseph-Marie-Ernest Prud’homme (1858-1903)
Kabary de la déclaration de guerre de 1895
Tirage sur papier aristotype - 17 x 12 cm
Paris, Musée du Quai Branly
Photo : Musée du Quai Branly
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C’est d’ailleurs comme élément de dais qu’elle est conservée au Musée de l’Armée. Les preuves sont en effet multiples qu’il ne s’agit pas d’une couronne royale. Il suffit de regarder les photographies de la reine Ranavalona III (ill. 3) pour voir qu’elle porte la couronne de Ranavalona I, celle qui fut volée en 2011. Et une autre image, celle de la cérémonie (ill. 4), pour voir que ce qui surplombe le dais n’est autre que la prétendue couronne royale du Musée de l’Armée comme un agrandissement le montre clairement (ill. 5).


5. Détail de l’ill. 4
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Il est préoccupant qu’Emmanuel Macron ne se soit pas une seconde posé la question de la véracité des termes de la demande du président malgache, ni de la légalité de celle-ci. Il s’y est immédiatement déclaré favorable, mettant, par l’intermédiaire du ministère des Affaires Étrangères, le ministère de la Culture et le Musée de l’Armée devant le fait accompli. Cette décision a été prise sans que personne à la direction générale des Patrimoines n’ait été informé ou consulté.

La prétendue « couronne de Ranavalona III », décrite ainsi par le Wikipedia anglais, qui propage ainsi un énorme mensonge, est pour l’instant toujours en transit entre Paris et Madagascar où la « restitution » doit théoriquement avoir lieu le 26 juin prochain à l’occasion des cérémonies des soixante ans de l’indépendance de Madagascar. Pour cette restitution, comme pour le soi-disant sabre dit d’El Hadj Oumar Tall (voir cet article), on se base donc sur une falsification : pas davantage que le sabre ne pourrait « symboliser l’amitié et le respect » entre les peuples français et sénégalais (voir cet article) ou même qu’il serait celui d’El Hadj Oumar Tall (voir cet article du Monde), la couronne n’est une couronne royale.

Si nous avons toujours écrit trouver à la fois justifiées et souhaitables des coopérations entre les musées français et leurs homologues africains, pouvant aboutir notamment à des expositions de longue durée, nous ne varions pas dans notre défense de l’inaliénabilité des collections des musées français. La conservation dans l’un d’entre eux d’une regalia de la dernière reine de Madagascar, qui aurait été pillée par Joseph Gallieni, serait bien sûr discutable. Il nous semble en revanche que s’agissant de la coiffe d’un dais éphémère, il conviendrait de respecter le droit français et international, et d’éviter de prendre des décisions hâtives sur la base d’arguments inexacts.

Soyons bien clairs : nous nous sommes tenus aux côtés de la société civile malgache ces dernières semaines face aux atteintes irréparables que subit actuellement son patrimoine, et nous sommes conscients de l’attachement profond de ce peuple à son patrimoine et à son histoire, dans laquelle la royauté tient une place toute particulière.
Nos correspondants à Madagascar nous ont par ailleurs bien expliqué l’importance symbolique de tout objet royal ayant survécu aux vicissitudes de l’histoire, et l’émotion des malgaches quand à la présence de tels objets à Paris. Ils nous ont mis en garde contre tout jugement hâtif sur ce dossier et nous ont même dit clairement que, de leur point de vue, cette restitution se justifie.

Notre propos ici n’est pas de porter un jugement sur l’importance symbolique et émotionnelle de cet objet pour le peuple malgache, mais de rappeler qu’il existe des lois applicables aux œuvres conservées dans les musées français et qu’il n’appartient pas au président de la République française de les ignorer à sa guise.

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