La rénovation du Grand Palais, un projet à risques selon la Cour des Comptes

1. Henri Deglane (1855-1931)
Façade principale du Grand Palais
Photo : Didier Rykner
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La Réunion des Musées Nationaux-Grand Palais, établissement public industriel et commercial né en 2011 de la fusion de la RMN et de l’Établissement public du Grand Palais des Champs-Élysées, se retrouve depuis juin dernier sans président [1]. Une donnée que la Cour des Comptes n’avait pas pu prendre en compte lorsqu’elle a remis ses « observations définitives » dans un rapport sur cet établissement portant sur l’exercice 2009-2016 et remis en avril dernier.
Pourtant, s’il est une institution qui ne devrait pas perdre sa tête, c’est bien celle-ci. Pas uniquement parce que la Cour démontre que sa situation financière est délicate, même si un redressement commençait à apparaître, mais aussi parce qu’elle s’est lancée, avec l’aval du gouvernement et du ministère de la Culture, dans un projet démesuré : le Schéma Directeur de Rénovation et d’Aménagement du Grand Palais, des travaux pharaoniques censés se dérouler sur plus de trois ans, entre décembre 2020 et le printemps 2024, en fermant entièrement le Grand Palais, pour un montant estimé aujourd’hui à 466 millions d’euros.

Un projet hors de prix

2. Henry Bernard (1912-1994)
Maison de la Radio (avant restauration)
Photo : Sebjarod
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On sait à quel point les estimations de travaux lorsqu’il s’agit de chantiers publics sont sujets à des dérives. La Cour des Comptes, qui ne manque pas d’humour parfois, souligne d’ailleurs à l’aide d’un euphémisme prudent combien le Ministère de la Culture est particulièrement concerné par ces dépassements de budget : « les expériences pas toujours heureuses du passé en matière de travaux du MCC ». Qu’en termes délicats ces choses là sont dites ! Rappelons en effet quelques dépassements de budget récents « pas toujours heureux » : la construction de la Philharmonie (passée de 173,1 millions à 534,7 millions d’euros [2]) ; la rénovation de la Maison de la Radio (passée de 176 à 584 millions d’euros [3]) ou le Grand Palais lui-même dont la première restauration (celle de la verrière) avait également explosé l’estimation initiale (de 53,3 millions à 108,9 millions d’euros [4]) ! Certes, le Ministère de la Culture n’est pas la seule administration, loin de là, à pulvériser les budgets des projets qu’elle lance [5]), mais le moins que l’on puisse dire est que ce chiffre déjà délirant de 466 millions d’euros risque bien de se révéler encore très inférieur à ce qui sera réellement dépensé.


3. La partie centrale de la rotonde du Palais d’Antin au Grand Palais (Palais de la Découverte) a été restaurée récemment, mais les galeries sont encore protégées par des filets
Photo : Didier Rykner
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4. État du plafond d’un des deux grands escaliers du Palais de la Découverte
Photo : Didier Rykner
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Nous ne remettrons pas en doute ici la nécessité de travaux sur le Grand Palais. Si la verrière avait été déjà restaurée dans les années 2000, le reste du monument n’est pas en bon état (ill. 3 et 4), ce qui justifie que ce monument historique majeur de Paris bénéficie d’une réfection, même si le chiffre des travaux de pure restauration (137 millions) nous semble énorme (remarquons par exemple que les façades du bâtiment ne sont pas particulièrement sales ni détériorées - ill. 5 et 6). De même, il est nécessaire de mettre enfin aux normes la nef du Grand Palais qui présente depuis longtemps de graves problèmes de sécurité, au point que l’exploitation de ces espaces faisait l’objet d’un avis défavorable de la Préfecture de Police, ce qui engageait la responsabilité pénale du président de la RMN-Grand-Palais [6]. Mais ces travaux certainement indispensables n’expliquent pas la véritable mégalomanie qui s’est emparée du ministère de la Culture qui a validé l’hypothèse la plus coûteuse allant bien au-delà de ce qui est justifié, comme si l’argent coulait à flot.


5. Albert Thomas (1847-1907)
Façade principale du
Palais d’Antin (Grand Palais)
Photo : Didier Rykner
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6. Façade du Grand Palais
sur le square Jean Perrin
Photo : Didier Rykner
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Or, l’argent ne coule pas à flot, et le financement du projet est pour le moins incertain comme le relève la Cour des Comptes, toujours avec ses amusantes précautions oratoires : « les modalités de financement du projet, telles qu’elles sont aujourd’hui planifiées, ne sont pas exemptes de critiques quant à leur structuration, et laissent demeurer des risques qui ne devront pas être perdus de vue ». Pour qui connaît le langage « Cour des Comptes », cela équivaut à un sévère avertissement. Emmanuel Marcovitch, président par intérim de la RMN-GP, avec qui nous avons pu discuter [7], nous a affirmé avoir pour sa part été agréablement surpris par le satisfecit accordé par la Cour des Comptes sur ce projet. Nous avons, manifestement, deux lectures différentes de ce rapport. Il est dommage qu’il ne soit pas public pour que chacun puisse juger quelle est la bonne interprétation.
Sur 466 millions d’euros, le ministère de la Culture en prend à sa charge 128 millions, l’État 160 millions [8], le Grand Palais finance 150 millions d’euros par un emprunt garanti par l’État, 25 millions d’euros sont apportés par ce qui est annoncé comme un mécénat Chanel, et 3 millions de mécénat et partenariat pour le Palais de la Découverte.
Quels sont les risques dont la Cour explique qu’il ne faut pas les « perdre de vue » ? La Cour en dénombre trois qui correspondent exactement aux trois principaux modes de financement !

Les risques du projet

Le premier est donc un emprunt de 150 millions de la RMN-GP garanti par l’État. Or tout le rapport de la Cour des Comptes qui précède cette analyse du Schéma directeur a consisté à expliquer la grande fragilité dans laquelle se trouve la RMN-GP sur le plan financier, mais aussi les incertitudes qui pèsent sur son avenir et son évolution. Elle se pose même la question (p. 47) de savoir si l’activité de vente commerciale (les boutiques) - qui représente environ la moitié de son chiffre d’affaire - pourra perdurer au-delà de 2021, date à laquelle un choix à ce sujet devra être fait en fonction des résultats obtenus entre 2017 et 2021.
Si la RMN-GP a procédé en 2017 à une révision des hypothèses d’évolution sur des « bases dégradées », c’est-à-dire en prenant en compte des scénarios défavorables, et que la conclusion est que « sur la base de ces nouvelles hypothèses dégradées, la capacité de la RMN-GP à rembourser l’emprunt demeure » et si une mission diligentée par les ministères de la Culture et de l’Action et des Comptes Publics à l’IGF et à l’IGAC conclut également à « la capacité de la RMN-GP à faire face aux annuités de l’emprunt, y compris si l’on introduit des scénarios plus dégradés », la Cour des Compte conclut (et lorsque l’on connaît sa capacité à parler par litote, on peut lire entre les lignes…) : « même sur la base des nouvelles hypothèses prudentielles, faire peser sur la RMN-GP un emprunt de 150 M€ constitue assurément un pari sur l’avenir ».

Le deuxième risque porte sur les 160 millions apportés directement par l’État (hors budget du ministère de la Culture). En effet, cette dotation est fournie par ce qu’on appelle le Programme d’Investissement d’Avenir (PIA). Elle a été inscrite dans le Projet de Loi de Finance 2017 dans la mission programme « Accélération de la modernisation des entreprises », action « Grands défis » (sic). Or, ce mode de financement selon la Cour n’est pas adapté à la situation. On peut lire ainsi dans le rapport que la Cour estime que : « le PIA 3 […] n’a pas vocation à financer des travaux de rénovation et d’aménagement au profit d’activités qui relèvent de toute évidence de la Mission Culture ». Par ailleurs, la Cour s’interroge sérieusement sur la légalité de ce montage. Car cela « pour la RMN-GP revient de facto à une dotation en capital au regard de la législation européenne ». Or, « s’il apparaissait que la RMN-GP était, du fait de l’importance de ses activités commerciales, une entreprise au sens du droit communautaire applicable aux aides d’État, tout apport de l’État, y compris sa garantie […] pourrait être apprécié comme constitutif d’une aide de l’État […] ». Ce risque, qui est celui d’une illégalité, porte donc non seulement sur les 160 millions d’euros, mais aussi sur la garantie pour l’emprunt de 150 millions.
Certes, comme le remarque le rapport, cela ne concerne que la partie des 160 millions et de l’emprunt portant sur les activités commerciales de la RMN-GP, et pas celle sur ses missions de service public (notamment les travaux sur les Galeries Nationales du Grand Palais). Mais cette partie du financement concerne « d’abord cette partie "à vocation commerciale" » comme le souligne la Cour. De plus, « la rentabilité de l’investissement que finance cette dotation n’est sans doute pas très élevée, il y a lieu de craindre que son allocation au SDRA (schéma directeur) ait pour effet d’évincer de l’éligibilité au financement de ces crédits des projets pour lesquels l’effet de levier de la dotation pourrait être plus fort. […] [U]ne telle dotation parait constitutive, à des degrés que l’on peut éventuellement nuancer, d’un détournement de l’objet de ce dispositif ». Un « détournement » donc, probablement illégal de surcroît (et peut-être susceptible d’être attaqué par les concurrents de la RMN-GP). Cela fait beaucoup, semble-t-il. Notons néanmoins que Emmanuel Marcovitch nous a assuré que la Cour des Comptes parle de « dotation en capital », ce qui était prévu à l’origine, mais que celle-ci a été transformée en « subvention », ce qui changerait tout d’après lui et lèverait la question de la compatibilité avec les règles européennes. Il reste que le rapport dit que cela revient « de facto » à une dotation en capital « au regard de la législation européenne », ce qui semble indiquer que la transformation en subvention a bien été prise en compte par la Cour des Comptes mais que celle-ci pense que ces subtilités ne seront pas forcément admises par l’Europe.

Le troisième risque porte directement sur le ministère de la Culture et son budget consacré aux monuments historiques. Il est donc celui qui nous concerne le plus. Car si le rapport explique, ce qui est exact, que celui-ci est finalement peu mis à contribution, cela risque bien de se retourner, à terme, contre lui, surtout concernant un projet dont le déroulement est tellement incertain.
Revenons donc sur les 128 millions. Initialement, ce montant était de 116 millions et ce n’est que très récemment qu’il a finalement (en février 2018) été augmenté de 12 millions. La différence est minime, et le rapport ne détaille que ces 116 millions, sans connaître la répartition des 12 millions supplémentaires. Nous reprendrons donc le raisonnement de la Cour des Comptes, sur 116 millions, ce que le passage à 128 millions ne devrait d’ailleurs changer qu’à la marge.
Sur 116 millions, 92 était financés au titre du monument historique et 24 à celui de l’« aménagement et de la muséographie Universcience », c’est-à-dire du Palais de la Découverte.

Les 92 millions, purement MH, sont donc prélevés sur le programme 175 relatif au « patrimoine monumental » et font l’objet d’un échéancier sur neuf ans à compter de 2015, ce qui représente 4% du volume total du budget monuments historiques de ce programme, soit 340 millions d’euros. Nous avons à plusieurs reprises dénoncé l’insuffisance de ce budget de 340 millions d’euros (d’ailleurs moins en réalité - voir cet article) qui devrait a minima être porté à 400 millions par an, mais il est vrai, comme le remarque le rapport, que 11,6 millions d’euros en moyenne par an pendant neuf ans reste un budget supportable par le ministère, d’autant que restaurer le Grand Palais entre dans son champ. Pourtant, le budget réel « restauration du monument historique » n’est pas de 92, mais de 137. Il manque donc 45 millions d’euros dont le financement provient soit de la dotation, soit de l’emprunt, soit des deux. La Cour des Comptes estime qu’il serait normal que le ministère de la Culture finance ces 45 millions qui concernent un monument historique. Nous ne partageons bien sûr pas cette opinion (tout financement extérieur est bon à prendre pour les monuments) mais il s’agit d’une remarque logique si l’on se place dans l’optique d’une comptabilité publique.

Plus globalement, la Cour des Comptes écrit dans sa conclusion que « le niveau des subventions émanant des budgets du MCC et, pour Universcience, également du budget du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche [9] ne témoigne pas d’un effort volontariste de ces deux ministères aux fins de prendre en charge une part plus substantielle dans un projet qui les concerne directement. »
Les 466 millions prévisionnels, en admettant même qu’il n’y ait aucun dépassement, mettent donc en péril les finances non seulement de la RMN-GP, mais également à terme la capacité d’investissement du Ministère de la Culture. C’est écrit en toutes lettres dans le rapport : « il apparaît indispensable que l’engagement effectif du projet « Grand Palais » s’accompagne, en particulier du côté du MCC, d’une très grande modération pour ce qui est du lancement d’autres projets d’investissement un tant soit peu conséquents dans les cinq années qui viennent ».
Si le ministère de la Culture pense donc que le schéma directeur du Grand Palais lui coûtera peu, c’est tout le contraire qui arrivera. En admettant, par extraordinaire, que le budget global soit respecté, dans son périmètre actuel, nul doute que le ministère des Finances fera sur le long terme payer au ministère le faible investissement qu’il apporte à ce projet, et encore davantage s’il est nécessaire de faire jouer la garantie de l’État si la RMN-GP s’avérait incapable d’honorer ses remboursements.

Des questions sur le mécénat

Il reste à s’interroger sur les 25 millions de mécénat de la Maison Chanel qui sont venus abonder le financement du projet et qui n’ont été actés que récemment (ils sont à peine abordés dans le rapport de la Cour des Comptes). La RMN-GP nous a précisé qu’il s’agit d’« un mécénat d’entreprise au sens de l’article 238 bis du CGI », ce qui signifie qu’il est associé à de nombreux avantages : « possibilité de signer et de faire connaître son don » par plusieurs actions dont le baptême de l’entrée de la nef du nom : « Entrée Gabrielle Chanel », déduction fiscale de 60% du montant du mécénat et avantages en nature : « possibilité de privatiser des espaces du Grand Palais pour y organiser quelques événements privés » et laissez-passer pour les expositions. La RMN-GP prend soin de préciser que : « l’ensemble de ces avantages, valorisés très précisément, restera dans la limite de 25% du montant du don » et surtout que : « la mise en place de cette opération de mécénat est totalement indépendante des relations commerciales existant par ailleurs entre Chanel et le Grand Palais (location d’espaces pour ses défilés) ». C’est ce dernier point, qu’Emmanuel Marcovitch nous a confirmé en personne, qui est le plus important. Car un bon connaisseur de ce type de dossier nous a confié qu’il arrive que la loi sur le mécénat soit utilisée d’une manière certes légale mais opposée à son esprit. Ainsi, une entreprise utilisant les services d’un musée ou d’un établissement public (location d’espace notamment) peut décider de transformer ses achats en mécénat. S’il payait 100, il paiera 400, qui lui assureront une valeur de location de 100. Sur ces 400, il obtiendra en réalité 60% de réduction d’impôt et 25% d’avantages en nature, donc il ne sortira réellement de sa poche que 15%, soit 60. Au lieu de 100, il paiera 60, aura le même service, plus la publicité énorme et gratuite que lui assurera son mécénat. Le contrat de mécénat étant confidentiel, nous ne saurons pas comment la RMN-GP aura pu s’assurer que le chiffre d’affaire réalisé avec Chanel sera, dans l’avenir, le même qu’aujourd’hui sans que cela soit pris sur les locations possibles en contrepartie (le montant total de ces contreparties s’élevant tout de même à 6,25 millions d’euros, soit l’équivalent de 125 jours de location de la grande nef).

Quoi qu’il en soit, on découvre également que ce mécénat, important pour une seule entreprise, reste dérisoire si on le rapporte au coût global du projet alors qu’il est demandé aux autres établissements publics tenus par le ministère de la Culture de trouver une grande partie du financement des travaux importants grâce à du mécénat. Comment expliquer qu’ici, alors que le projet est en gestation depuis huit ans, le mécénat représente moins de 5% de l’estimation totale. Comment comprendre en outre que ce mécénat ait vocation à rester isolé puisqu’il s’agit d’un « mécénat exclusif » (voir cet article de Vogue) ! Si d’autres entreprises mécènes venaient à se présenter, elles ne pourraient donc pas participer au financement du projet.

Un projet en grande partie superflu

Comme il ne peut être question d’augmenter la part du ministère de la Culture dans ce financement déjà bancal, la seule solution reste de s’interroger sur la folie des grandeurs qui s’est emparée de la RMN-GP, soutenue par sa tutelle. Car plusieurs hypothèses ont été envisagées tout au long de l’élaboration du projet. Il est amusant de constater d’ailleurs qu’en 2010, le coût prévisionnel de celles-ci oscillait seulement entre 219 et 239 millions… Par la suite, à la fois parce que de nouvelles fonctionnalités étaient ajoutées et parce que les coûts étaient fortement réévalués, le projet passa à un prévisionnel de 303 millions en 2011, puis 436 millions en 2014, pour aboutir à 466 millions en 2016. Rien que l’évolution de ces chiffres démontre le sérieux de l’entreprise…
Dans la conclusion de ce chapitre consacré au Schéma directeur, le rapport de la Cour des Comptes explique tout simplement qu’il y avait une seule alternative : « soit circonscrire les travaux au strict nécessaire d’une restauration "sanitaire" ; soit profiter de cette opération inévitable pour redonner au bâtiment et à ses espaces le "lustre" emblématique dont on peut légitimement juger qu’il sied à un édifice de cette importance et aux activités qui s’y tiennent ».
La Cour, très légitimiste, ne se croit pas en mesure de contester le second choix, dont elle vient pourtant de dénoncer les dangers : « le fait que les pouvoirs publics aient tranché pour cette dernière option ne saurait être discuté par la Cour ».
Nous ne sommes, pour notre part, assigné à aucune réserve : évidemment, compte tenu de la situation économique, de celle du ministère de la Culture (toujours en déshérence, et privé de directeur général des Patrimoines) et de la RMN-GP, ainsi que des risques importants que fait courir ce projet dont il est déjà écrit qu’il finira avec des dépassements graves d’un budget déjà difficilement soutenable, rien ne justifie de le poursuivre dans sa configuration actuelle.


7. Grand Palais, hall d’entrée, simulation 2018
© LAN
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8. Grand Palais, la rue des Palais,
simulation 2018
© LAN
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Car en dehors de la restauration du monument, en quoi consiste exactement cette opération ? Rien, ni la consultation attentive du dossier de presse, ni la vision du petit film promotionnel que présente la RMN-GP sur son site ne convainc de son utilité. On peine même à comprendre exactement de quoi il s’agit, sinon de transformer le Grand Palais en « Monument-Monde [10] , vitrine de la société contemporaine et de ses grandes tendances »... Pour être plus précis, outre les travaux indispensables nous l’avons dit concernant la restauration du monument et sa sécurité, on apprend qu’il s’agira de renforcer l’attractivité nationale et internationale du Grand Palais comme « lieu événementiel majeur et destination touristique incontournable », d’« explorer le rapport entre art et sciences » ou encore - c’est bien le moins - de « gérer de manière efficiente et sobre un équipement adapté aux usages de demain et connecté au monde ».
Plus concrètement, de nouveaux espaces et de nouvelles fonctions seront créés. Une entrée unique (l’alpha et l’oméga des projets modernes) sera ouverte sur le square Jean-Perrin (ill. 7), une « rue des Palais » (ill. 8), espace de circulation, verra le jour. Elle « constitue[ra] une véritable plateforme de connexion entre les espaces de services et les manifestations culturelles et événementielles. Elle se déploie[ra] sur deux niveaux (soubassement et rez-de-chaussée) ». Elle donnera accès, outre aux expositions et au Palais de la Découverte, à des « espaces d’initiation (salle introductive sur l’histoire du Grand Palais, salle immersive) », aux indispensables « espaces de médiation » (ill. 9), à la nouvelle Galerie des enfants, « espace d’exposition temporaire d’environ 700 m2 » et aux auditoriums (on notera le pluriel). On y rajoutera une « salle du trésor » qui présentera un chef-d’œuvre des collections nationales ou territoriales, accompagné d’un dispositif pédagogique et didactique. Le parcours du visiteur « s’apparente[ra] à un parcours sensoriel-émotionnel » [sic] ce qui, on en conviendra, est quelque peu émoustillant. Quant au Palais de la Découverte, on découvre dans le dossier de presse qu’il présentera... des squelettes de dinosaures (ill. 10), ce qui n’est pas le cas actuellement. Des dinosaures, on peut déjà en voir à Paris, au Muséum d’Histoire Naturelle... Tout cela, on le constate, relève davantage du gadget, mais du gadget coûteux.


9. Grand Palais, espace de médiation,
simulation 2018
© LAN
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10. Palais de la Découverte, simulation 2018
© François Chatillon architecte
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On comprend, dans ces conditions, que le projet ne se prive de rien, pas même de défigurer à grand frais le patrimoine comme dans le réaménagement du square Jean-Perrin et l’enlèvement de la fontaine de Raoul Larche (voir l’article) pour créer la nouvelle entrée unique (un projet non validé nous a-t-on assuré), ou la construction (voir l’article) d’un « Grand Palais provisoire » (dont le coût n’est d’ailleurs pas pris en considération par la Cour des Comptes, sa construction ayant été décidée après son élaboration). Dépenser sans compter - avec de l’argent qu’on n’a pas - est hélas une caractéristique de nos administrations. Cela est d’autant plus grave ici. Comment peut-on, en 2018, poursuivre un projet de 466 millions d’euros aussi fumeux et dont il est évident qu’il explosera son enveloppe initiale, comme l’ont fait avant lui tous les grands projets du ministère de la Culture. Un demi-milliard d’argent public pour faire du Grand Palais un « Monument Monde », quand les budgets des monuments historiques ne cessent d’être rognés et que, pour ne prendre qu’un exemple éloquent, l’argent manque pour la restauration de Notre-Dame de Paris [11]) ? Alors que Stéphane Bern se bat pour obtenir 20 millions d’euros avec le loto patrimoine, les 466 millions de ce chantier représentent près de 50 années de loto, sans compter les dépassements inévitables.
Souhaitons que ce rapport de la Cour des Comptes, qui met le doigt sur les vraies questions, amène à revoir ce projet totalement fou qui va mettre à mal le ministère de la Culture pendant des années : le Grand Palais a besoin d’une restauration, et d’une mise aux normes de sécurité. Et c’est tout.

Didier Rykner

Notes

[1Depuis le 5 juillet, Emmanuel Marcovitch a été nommé président par intérim de cette institution qu’il connaît bien puisqu’il était directeur général délégué de la RMN-GP depuis avril 2018, après en avoir assumé les fonctions de secrétaire général depuis 2016.

[4Voir ce rapport de la Cour des Comptes, rendu public celui-ci.

[5Rappelons par exemple, pour rester dans les musées, le record du Musée des Confluences, géré par le Conseil départemental du Rhône, dont le budget était passé de 61 à 267 millions d’euros (voir cet article de Capital.

[6Nous avions, il y a quelques années, commencé une enquête sur ce sujet que nous n’avions pas pu terminer.

[7Nous tenons à saluer la rapidité et la réactivité du service de presse de la RMN-GP qui nous a répondu extrêmement rapidement et précisément, ce qui hélas loin d’être la règle générale.

[8Initialement, ce montant était de 200 millions, mais a diminué notamment grâce au mécénat de Chanel.

[9En réalité, Emmanuel Marcovitch nous a assuré que le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ne participe pas du tout à ce financement, ce qui nous semble d’ailleurs un peu choquant.

[10Expression parfaite de la novlangue qui fait écho à celle d’Anne Hidalgo pour Paris Ville-Monde.

[11Voir par exemple cet article de La Croix.

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