L’Anjou détruit ses églises

1. Gesté (Maine et Loire)
L’Eglise Saint-Pierre-aux-Liens et
son chœur néo-gothique dominant le village.
La municipalité a voté sa destruction.
Etat le mercredi 23 mai 2007
Photo : D. Rykner
Voir l´image dans sa page

En novembre 2006 (voir l’article), nous dénoncions la démolition de l’église de Saint-Georges-des-Gardes, dans le Maine-et-Loire. Un article paru dans Le Figaro du 18 mai 2007 [1] nous apprend que deux autres édifices religieux doivent être détruits à quelques kilomètres à peine de ce village. Non pas détruits, d’ailleurs, mais déconstruits, selon le nouveau vocabulaire que des élus honteux ont inventé pour cacher la gravité de leurs actes. Nous nous sommes rendu sur place pour essayer de comprendre ce qui se passe dans les Mauges, cette petite partie de l’Anjou qui risque, si l’on n’y prend garde, de servir d’exemple au reste de la France.


2. Le Fief-Sauvin(Maine et Loire)
Le clocher d’une des deux églises,
seul vestige de celle-ci, détruite
par une tornade en 1978.
A l’arrière, le lieu de
culte qui l’a remplacée
Etat le mercredi 23 mai 2007
Photo : D. Rykner
Voir l´image dans sa page


3. Le Fief-Sauvin(Maine et Loire)
Eglise reconstruite après 1978 pour remplacer l’église Notre-Dame
Photo : D. Rykner (mai 2007)
Voir l´image dans sa page

Remarquons d’abord qu’il s’agit d’une région de chouannerie, de tradition catholique, où une grande partie des églises fut détruite ou vandalisée pendant les guerres de Vendée. Cela explique que la plupart d’entre elles sont postérieures à 1800. Beaucoup ont été construites en tuffeau, une pierre assez tendre qui leur donne parfois un aspect décrépi, sans que leur solidité soit en cause. Malgré la réhabilitation du XIXe siècle depuis une trentaine d’années, beaucoup pensent encore qu’il n’a produit que des édifices sans intérêt [2]. Ce préambule posé, il n’est pas inutile de refaire l’historique des événements récents [3].

En 1978, une tornade a ravagé l’une des deux églises de Le Fief-Sauvin, un village proche de Saint-Georges des Gardes. Seul le clocher était resté debout (ill. 2). Les restes de la nef furent rasés, et un nouvau lieu de culte, genre salle polyvalente (ill. 3), fut construit.


4. Le Fief-Sauvin (Maine et Loire)
Eglise paroissiale construite vers 1997
après destruction de l’ancienne église
Photo : D. Rykner (mai 2007)
Voir l´image dans sa page

Estimant sans doute que cela n’était pas suffisant, vers 1997, la mairie fit démolir la seconde église (dont nous n’avons pas de photos) sans que l’on puisse ici blâmer les éléments, et un édifice moderne fut bâti. Il y eut alors une recherche esthétique plus poussée (ill. 4), même si les photos sont flatteuses : la ligne générale n’est pas sans élégance, mais l’intérieur se rapproche davantage d’une salle des fêtes (ill. 5). Un reste du chœur et de ses vitraux fut conservés, dans un mélange de style théâtral et parfaitement artificiel (ill. 6). Cette nouvelle église, sans doute plus facile à chauffer et plus confortable, semble plaire beaucoup à certains habitants. Le crime a été consommé, dans la plus grande discrétion (personne n’a parlé à l’époque de cet acte de vandalisme). Il a sans doute beaucoup influencé les élus qui cherchent aujourd’hui à se débarrasser de leurs anciennes églises.


5. Le Fief-Sauvin (Maine et Loire)
Intérieur de l’église paroissiale construite vers 1997
après destruction de l’ancienne église
Photo : D. Rykner (mai 2007)
Voir l´image dans sa page

En 2006, ce fut le tour de celle de Saint-Georges des Gardes. Les prétextes, nous y reviendrons, sont pour l’essentiel toujours les mêmes et sont identiques à ceux utilisés pour Arc-sur-Tille (voir les articles sur cette église bourguignonne, elle-aussi menacée) : coût supposé de la restauration et danger imminent que ferait courir le bâtiment. Aujourd’hui donc, deux communes souhaitent s’inscrire dans cette déjà trop longue liste : Gesté et Valanjou.


6. Le Fief-Sauvin (Maine et Loire)
Intérieur de l’église paroissiale construite vers 1997.
Vu sur les vestiges conservés de l’ancienne église.
Photo : D. Rykner (mai 2007)
Voir l´image dans sa page


7. Gesté (Maine et Loire)
Eglise Saint-Pierre-aux-Liens, 1844-1864
La municipalité a voté sa destruction.
Etat le mercredi 23 mai 2007
Photo : D. Rykner
Voir l´image dans sa page
8. Gesté (Maine et Loire)
Intérieur de l’église Saint-Pierre-aux-Liens, 1844-1864
La municipalité a voté sa destruction.
Etat le mercredi 23 mai 2007
Photo : D. Rykner
Voir l´image dans sa page

L’église Saint-Pierre-aux-Liens de Gesté (ill. 7 et 8) surplombe le village (ill. 1), et l’on peut à bon droit affirmer que celui-ci n’a d’identité et d’intérêt qu’à travers elle. Incendiée en 1793-1794 [4], elle fut en partie restaurée en 1800. Elle devint propriété de la commune dès 1814, et en 1844-1854 la nef fut édifiée en style classique par l’architecte Ferdinand Lachese. De 1862 à 1864, le chœur fut reconstruit en style gothique par l’architecte Alfred Tessier. Cela lui donne extérieurement un aspect composite, dominé par son chœur et son transept néo-gothiques reposant sur une crypte (ill. 9). L’état ne semble aucunement désastreux, d’autant que les piliers intérieurs sont en granit. Il est évident en revanche, et toutes les personnes interrogées sur place nous l’ont confirmé, qu’elle n’a pas été entretenue depuis de nombreuses années. La messe y est toujours célébrée.


9. Gesté (Maine et Loire)
Crypte de l’église Saint-Pierre-aux-Liens, 1862-1864
La municipalité a voté sa destruction.
Photo : Alain Durand
Voir l´image dans sa page
10. France XIXe siècle
Le Christ dépouillé de ses vêtements, Xe station du Chemin de Croix
Plâtre patiné
Gesté (Maine et Loire), Eglise Saint-Pierre-aux-Liens
(église devant être détruite)
Photo : D. Rykner (mai 2007)
Voir l´image dans sa page

Le mobilier est simple, d’autant que le vandalisme qui a suivi le concile Vatican II dans les années 1960 a déjà sévi, supprimant notamment la chaire et l’autel (c’est également le cas à Valanjou). On notera cependant un assez beau chemin de croix en plâtre (ill. 10), quelques vitraux (ill. 11 et 12) et sculptures. Comme à Saint-Georges des Gardes, les brocanteurs qui se presseront lors de la démolition ne rentreront sûrement pas bredouilles. Les habitants interrogés semblent résignés. « On est habitués à subir » nous a affirmé une retraitée, ajoutant aussitôt « et de toute façon, nous ne sommes pas informés, on apprend tout par les journaux ». Une ancienne membre du conseil paroissial nous a dit faire confiance au maire, même si la nouvelle l’a d’abord choquée.


11. France XIXe siècle
Vitraux
Gesté (Maine et Loire),
Eglise Saint-Pierre-aux-Liens
(église devant être détruite)
Photo : D. Rykner (mai 2007)
Voir l´image dans sa page
11. France XIXe siècle
Vitraux
Gesté (Maine et Loire),
Eglise Saint-Pierre-aux-Liens
(église devant être détruite)
Photo : D. Rykner (mai 2007)
Voir l´image dans sa page

Tous trouvent dommage la destruction programmée, mais semblent penser que c’est inéluctable, que conserver l’église coûterait trop cher. Nous avons tenté de joindre le maire de Gesté qui n’était pas disponible et ne nous a pas recontacté. Le projet de démolition et de reconstruction d’un nouvel édifice est budgété à 1.350.000 €, une somme qui serait bien évidemment suffisante pour restaurer, a minima, le bâtiment actuel. La municipalité de Gesté aura accéléré la destruction de son village, déjà bien entamée ces quarante dernières années avec la démolition de nombreux édifices anciens autour de l’église : halles du XIXe siècle, couvent des XVIIe-XVIIIe siècle que l’on voit juste devant la façade de l’église sur cette carte postale datant des années 1960, emplacement actuel de la mairie moderne (ill. 13), ...


12. Carte postale datant des années 1960
On voit devant l’église des bâtiments
des XVII-XVIIIe siècle aujourd’hui détruits
Voir l´image dans sa page

Valanjou est né de la réunion de deux villages et possède aujourd’hui trois paroisses, donc trois églises. C’est une des raisons données par le maire [5] pour justifier la démolition de l’une d’entre elle, Saint-Martin de Joué (ill. 14), due à Alfred Tessier, l’architecte du chœur de Gesté [6]. Justification évidemment irrecevable : admettons que l’on regroupe administrativement dix petites communes rurales en une seule : faudra-t-il alors ne conserver qu’un lieu de culte ?


13. Valanjou (Maine et Loire)
Eglise Saint-Martin de Joué
Promise à la démolition, à l’exception
des parties XIIIe et XVe du clocher
Etat le mercredi 23 mai 2007
Photo : D. Rykner
Voir l´image dans sa page

_ Le clocher est constitué d’une base datant des XIIIe et XVe siècles, tandis que la chambre des cloches et la flèche, tout comme la nef, ne remontent qu’au XIXe. L’intérieur est particulièrement remarquable par ses vitraux (ill. 15 et 16) et par une série de statuettes en terre cuite réparties tout le long des murs de la nef (ill. 17). Un beau tabernacle (ill. 18) a été exilé dans une chapelle depuis le concile Vatican II dont nous évoquions plus haut le caractère néfaste pour le patrimoine : là encore la chaire a disparu. Dans un premier temps, le maire souhaite détruire la partie XIXe siècle du clocher, et espère ensuite pouvoir raser la nef, en ne conservant en fin de compte que la partie la plus ancienne de l’édifice.


14. France XIXe siècle
Vitraux
Valanjou (Maine-et-Loire),
Eglise Saint-Martin de Joué
(promise à la démolition)
Photo : D. Rykner (mai 2007)
Voir l´image dans sa page
15. France XIXe siècle
Vitraux
Valanjou (Maine-et-Loire),
Eglise Saint-Martin de Joué
(promise à la démolition)
Photo : D. Rykner (mai 2007)
Voir l´image dans sa page

16. Valanjou (Maine et Loire)
Eglise Saint-Martin de Joué (promise à la démolition)
Petites sculptures en terre cuite dans la nef
Etat le mercredi 23 mai 2007
Photo : D. Rykner
Voir l´image dans sa page

A Valanjou, nous avons pu interroger. Monsieur René Cottenceau, qui a créé une association pour la défense de l’église. Selon celle-ci, dont le site Internet peut être consulté ici, il est avéré que l’édifice est sain à l’exception de la flèche en mauvais état. Ils préconisent donc sa dépose et la conservation du reste du bâtiment, ce qui semble une solution bâtarde : que signifie une église sans sa flèche ? Là encore, on se trouve devant un maire s’affirmant incapable financièrement d’entretenir son église. Mais si l’on compare les coûts de la restauration totale (que personne ne réclame), soit 1,5 millions d’euros et celle de la démolition, près d’un million d’euros, on constate que celle-ci est non seulement absurde, mais inutile.


17. Valanjou (Maine et Loire)
Eglise Saint-Martin de Joué (promise à la démolition)
Tabernacle
Etat le mercredi 23 mai 2007
Photo : D. Rykner
Voir l´image dans sa page

Aucune des raisons avancées pour les destructions n’est recevable. La démolition et la reconstruction d’une église coûtent plus cher que la restauration a minima de l’édifice existant. La baisse de la pratique religieuse ne peut non plus être un argument puisque, dans bien des cas, il faut réédifier un lieu de culte. Les communes sont responsables de ce patrimoine depuis 1905. Elles ont donc toujours eu à les entretenir sans avoir d’intérêt direct à le faire ; qu’elles soient pleines, ou vides, quelle différence ? Il est vrai que démolir, puis reconstruire, permet de donner du travail aux entreprises locales... On doit s’interroger sur l’attitude du clergé, qui semble totalement indifférent, du moment qu’on lui promet une belle salle polyvalente. Ainsi, l’évêque d’Angers, que nous avons contacté mais qui n’a pu nous répondre en raison de l’organisation des fêtes de la Pentecôte, avait écrit, dans un communiqué de presse publié lors de la démolition de Saint-Georges des Gardes que la disparition d’une église est, certes, « toujours une souffrance pour l’évêque et la communauté chrétienne  », mais que « la commune lançait un projet de construction de chapelle sur le lieu de l’église » et que « la démolition de l’église n’a pas entraîné la désaffectation de l’espace pour le culte  ». C’est bien là l’essentiel !

Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, nous avions perdu l’habitude de voir, dans notre pays, des églises en ruine. Doit-on, comme certains habitants, comme une partie du clergé et, semble-t-il, de nombreux élus, se résigner à les voir disparaître sous les coups de bulldozers des démolisseurs ? Evidemment non. L’exemple d’Arc-sur-Tille, dont l’association de défense de l’église remporte certains succès [7], est là pour le prouver. Des solutions existent. Il faut résister, se battre pied à pied, alerter les médias, obliger les maires à entretenir régulièrement leur patrimoine, demander des inscriptions et des classements, rechercher des financements publics, du mécénat, lancer des souscriptions, imaginer des réutilisations.... Si ces monuments sont détruits, à terme, la moitié des églises de France le seront. Christine Albanel vient d’être nommée Ministre de la Culture. Voilà un beau défi qui s’ouvre à elle. Espérons qu’elle le relèvera.

Appel aux lecteurs : Je remercie les lecteurs qui auraient connaissance de projets de destructions d’églises à nous en informer (contact@latribunedelart.com). Seule une mobilisation générale permettra de stopper ce phénomène.

Sites Internet :

40.000 clochers

Association Valanjevine de Sauvegarde et de Valorisation du Patrimoine

Didier Rykner

Notes

[1Sophie de Ravinel, Des maires sont contraints de détruire leur église.

[2C’est ce que sous-entend l’article du Figaro où l’on peut lire que les églises détruites pendant la Révolution avaient « elles, une réelle valeur architecturale » !

[3Nous devons à Alain Guinberteau, créateur du site Internet 40.000 clochers, qui habite à Cholet et qui nous a grandement aidé pour la rédaction de cet article, de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de ces affaires.

[4De nombreux renseignements nous ont été donnés par Alain Durand, un habitant de Gesté qui s’oppose fermement au projet de démolition et qui étudie en amateur l’histoire de son village. Il nous a également transmis l’illustration n° 11 (carte postale).

[5Nous n’avons pas tenté de joindre le maire de Valanjou, mais celui-ci s’est expliqué longuement le mercredi 23 mai sur RMC dans l’émission Bourdin & Co. En gros, il regrette bien, mais il n’a pas le choix...

[6Selon la Base Architecture du Ministère de la Culture.

[7Le tribunal vient d’ordonner une contre-expertise en dépit de l’avis de la commune.

Mots-clés

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.