Les vestiges du château de Salomon de Brosse découverts à Blérancourt

1. Israël Silvestre (1621-1691)
Vue du château de Blérancourt
Estampe
Photo : D. R.
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Le château de Blérancourt fut construit de 1612 à 1619 par Salomon de Brosse, l’un des plus importants architectes français du début du XVIIe siècle, auteur notamment du Palais du Luxembourg (aujourd’hui le Sénat). Il s’agit du premier exemple de château massé [1] (c’est-à-dire construit sans ailes en retour sur cour), un modèle qui deviendra fréquent par la suite et que l’on retrouvera, par exemple à Vaux-le-Vicomte.

Comme on peut le voir sur une gravure d’Israel Silvestre (ill. 1), le château était situé sur une grande terrasse rectangulaire, qui existe toujours, entourée de douves à sec. Cette terrasse, rendue nécessaire par l’état marécageux du terrain, était séparée en deux par le bâtiment, formé d’un corps central et de quatre pavillons d’angle, lui donnant la forme d’un I majuscule. Sur un des petits côtés du rectangle, vers l’entrée (on ne la voit pas sur la gravure), une grande porte entourée de deux pavillons surplombait les douves.


2. Blérancourt, château, la porte et les pavillons d’entrée
Photo : D. R.
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Le château fut détruit à la Révolution, et seuls la porte et les pavillons de l’entrée de la terrasse (ill. 2) furent sauvés de la pioche des démolisseurs, ainsi qu’un morceau d’un des pavillons d’angle. En 1931, une partie du château, du côté sud, a été remontée pour y installer le Musée national de la coopération franco-américaine.

Les collections du Musée s’étant fortement accrues ces dernières années, des travaux d’agrandissement ont été décidés, en partie financés par The American Friends of Blérancourt. Mais depuis deux ans, le chantier était en friche.
Lorsque les travaux ont repris, en juin dernier, les ouvriers ont mis au jour d’importants vestiges architecturaux du château tel qu’il se présentait au début du XVIIe siècle. Il est difficile de connaître exactement la nature de cette découverte. Le chantier est en effet interdit au public, et nous n’avons pu obtenir pour l’instant l’autorisation de le visiter. Il semble, d’après nos informations, que subsiste tout le système souterrain de la terrasse, faisant partie intégrante de l’architecture de Salomon de Brosse.


3. Blérancourt, vestiges de la terrasse arrière
Photo : D. R.
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Sous la partie arrière (celle que l’on voit le mieux sur la gravure), toutes les caves subsistent, à l’exception de leur voûtement (ill. 3). Les sous-sols du corps central, rasé à la Révolution, existent encore et on y trouve notamment les deux rampes de l’escalier principal du château.

Mais ce qui est réellement exceptionnel se situe sous la terrasse avant où les archéologues ont découvert un système totalement inédit, sans antécédent ni postérité : entre la porte encore existante et la façade du château existait un viaduc (ill. 4), dont quatre arches ont déjà été retrouvées, en parfait état. Le visiteur devait emprunter ce viaduc qui permettait de traverser un grand espace creux, aussi profond que les douves extérieures avant d’accéder à la façade dont les parties basses ont été également découvertes. Il s’agit donc d’un élément essentiel de la construction de ce château, jusqu’ici totalement inconnu.On remarquera d’ailleurs que la gravure de Silvestre que nous reproduisons au début de cet article laisse penser que la cour avant est au même niveau que le reste. Jean-Marie Pérouse de Montclos nous a confirmé que ces nouvelles données, qu’il n’a pas pu encore étudier, prouvent que cette gravure est fausse et l’a amené à des conclusions erronées dans son ouvrage sur l’Histoire de l’architecture française [2].


4. Blérancourt, vestiges de la terrasse avant,
avec vue sur quelques arches du viaduc en cours de dégagement
Photo : D. R.
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A la Révolution, seule la partie supérieure du château a donc été rasée, toute la partie inférieure subsistant quasi intacte. L’importance de cette découverte met en émoi les historiens de l’architecture mais inquiète les maîtres d’ouvrage. On s’étonne cependant qu’elle n’ait été faite qu’au moment où les travaux ont commencé. Selon Hervé Coulaud, adjoint au DRAC Picardie [3] : «  la procédure qui a été suivie pour les fouilles paraît tout à fait conforme. Pour toutes les parties concernées par les fondations, il y a des fouilles en cours et tous les relevés scientifiques et architecturaux nécessaires seront faits, ainsi que les campagnes photographiques.  » Emmanuel Starcky, conservateur général du Château de Compiègne dont dépend Blérancourt, nous précise que « Des fouilles ont été faites entre 2003, 2004 et 2005, qui visaient à préparer le chantier. Malheureusement, elles n’avaient pas permis de présumer qu’on allait découvrir des éléments d’architecture intéressants qui permettent de préciser ce qu’était l’accès au château. »

Si l’on en croit les maîtres d’ouvrage, les procédures normales ont donc été suivies mais n’ont pas permis de savoir qu’il y avait, à l’emplacement du futur chantier, des restes archéologiques significatifs.
Hervé Coulaud précise : « Entre un sondage et un décapage systématique de surface, il y a des différences. Les archéologues ont, et auront le temps nécessaire pour faire leurs relevés. »
Pourtant, il faut savoir que tout aménagement dans une zone sensible, que cela soit le fait d’un particulier, d’une entreprise, ou d’une collectivité territoriale doit faire l’objet, préalablement, d’un diagnostic archéologique, qui nécessite des sondages réalisés systématiquement selon un quadrillage complet du terrain. Soit ce diagnostic complet n’a pas été réalisé, ce qui signifierait que le ministère de la Culture ne s’appliquerait pas les règles qu’il impose à tout un chacun, soit il a eu lieu, mais l’INRAP, l’Institut d’Archéologie Préventive, n’aurait pas fait son travail correctement.
Selon Richard Rougier, adjoint scientifique et technique à l’INRAP Picardie : « Il y a eu un diagnostic fait à l’automne 2003, mais nous n’avons été missionnés que sur un secteur très réduit situé en arrière du château là où on savait qu’il y avait une aile détruite. On a trouvé une cave qui se trouvait à l’origine sous cette aile. A l’époque, le projet architectural était encore en gestation. En 2004 et 2005 on nous a commandé des relevés sur des bâtis existants. Nous n’avons jamais été missionnés pour réaliser un diagnostic complet du terrain concerné par le projet. » Il semble donc qu’il s’agisse du premier cas de figure : le diagnostic archéologique obligatoire n’a jamais été réalisé.

La situation est maintenant fort complexe. Il est en effet nécessaire, non seulement que les archéologues aient le temps de fouiller correctement ce chantier, mais surtout que l’on se donne le temps de réfléchir à l’avenir des vestiges dont l’importance architecturale et esthétique est évidente. On imagine mal comment on pourrait admettre la démolition d’éléments architecturaux de cette qualité.
On ne comprend donc pas qu’à peine un mois et demi après cette découverte inopinée (qui plus est en pleine période de congés), le Ministère de la Culture ait émis un communiqué de presse indiquant déjà le sort que subiront une partie de ces vestiges, négligeant par ailleurs de parler de ceux à l’arrière du château et de préciser que ces derniers doivent tout simplement être détruits. Le viaduc serait en partie démonté pour être reconstruit. On sait ce qu’il advient en général des éléments architecturaux que l’on démonte pour les remonter plus tard, sans qu’aucun emplacement, aucun financement ni aucun délai ne soient prévus. Les caves en sont pleines.

Les responsables se veulent cependant rassurants. D’après Hervé Coulaud : « En fonction de la mise au jour des vestiges du viaduc il sera envisagé avec la DMF une solution pour préserver ces éléments d’architecture, leur démontage et leur remontage sur le site pouvant être une solution dont les conditions doivent être finalisées.  ».
Emmanuel Starcky semble inquiet pour l’avenir de l’extension du musée : « Il faut comprendre que ces vestiges ont été découverts parce qu’il y avait le projet d’agrandissement du musée. Cette opération a un coût de 5,245 millions d’euros, avec une participation de près de 50% des American Friends of Blérancourt. L’existence de ce viaduc, qui menait le visiteur de la porte d’entrée au château, n’était pas connue et cela pose des problèmes pour une partie de la construction de l’extension du musée à venir. L’équation n’est pas simple : soit on arrête et on fait un autre projet, soit on part sur la base initialement prévue et on sauve la partie essentielle de ce qu’on a découvert. Ce n’est pas dramatique : on a affaire à quelque chose qui peut en partie rester in situ et une autre partie qui peut être démontée pour être ensuite remontée afin d’évoquer, avec d’autres vestiges retrouvés, un château qui a été rasé à la Révolution. Il est vrai que le choix de ne toucher à rien pourrait mettre en péril le projet. »

On a, dans cette affaire, une légère impression de déjà vu. Le cas est en effet comparable à celui de l’Orangerie des Tuileries. Sous prétexte de créer un nouvel établissement culturel, fasciné par le « geste architectural », on néglige de s’intéresser au site. Et lorsque l’on exhume les vestiges archéologiques, il est déjà trop tard [4]. Il est pourtant essentiel, dans ce cas précis, de prendre son temps et de ne pas agir sous la pression. Il serait étonnant que les American Friends of Blérancourt ne comprennent pas l’importance de cette découverte et la nécessité de protéger un patrimoine menacé. Ils sont les héritiers d’Ann Morgan, fille de John Pierpont Morgan, qui a fondé le musée de la coopération franco-américaine et a agi pour la protection des monuments français.

La mobilisation qui commence à se faire jour semble déjà porter ses fruits. Aujourd’hui même, une visite du chantier était organisée pour les élus. Le maire de Blérancourt, monsieur Patrick Laplace, que nous avons contacté, nous a indiqué qu’il leur avait été dit que, pour l’instant, il n’était pas question de démonter quoi que ce soit avant que l’on connaisse le résultat des fouilles, ce qui est en contradiction avec le communiqué de presse du Ministère. Celui-ci fera-t-il machine arrière ? Aucune décision ne doit être prise pour de mauvaises raisons. Risquer un retard dans le projet d’extension du musée, voire l’annulation de celui-ci en est une, au regard des enjeux patrimoniaux.

P.S. Nous avons pu visiter le chantier le 29 août 2007 (voir l’article).

English version

Didier Rykner

Notes

[1Jean-Marie Pérouse de Monclos, Histoire de l’architecture française. De la Renaissance à la Révolution, Paris, 1989, p. 239.

[2Op. cit. note 1. Les raisons pour lesquelles cette gravure est fausse demandent à être étudiées. L’état représenté pourrait être une interprétation du graveur, ou celle du idée de l’architecte non réalisée ; la cour avait également pu être déjà comblée à cette époque. Une fois de plus, cette affaire démontre l’inanité des reconstitutions d’après des documents anciens dont la fiabilité est toujours sujette à caution.

[3Il nous a précisé que les décision appartiennent à la Direction des Musées de France qui est maître d’ouvrage, la DRAC n’étant pour ce chantier que maître d’ouvrage délégué.

[4Il est étonnant de constater à quel point les mondes des musées et des monuments historiques communiquent mal et se comprennent si peu.

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