Acquisitions des musées : l’obsession de l’historique

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Charles Le Brun ( 1619-1690)
Le Sacrifice de Polyxène, 1647
Huile sur toile - 179 x 131 cm
New York, Metropolitan Museum
Photo : Christie’s
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Parmi les freins aux acquisitions des musées français, il faut compter désormais sur la crainte, permanente au ministère de la Culture, d’acheter une œuvre provenant de la spoliation de son propriétaire pendant la Seconde guerre mondiale. On sait en effet que, fort justement, celles-ci sont imprescriptibles, et le moindre doute sur la provenance peut suffire à annuler le projet d’acquisition, même si l’objet est important pour les collections et si le musée a les moyens de l’acheter.

Un tableau de Charles Le Brun, Le Sacrifice de Polyxène, constitue un exemple récent où les musées français se sont interdit l’achat, parce qu’il avait été reconnu, jusqu’ici non identifié et sans historique précis, dans une pièce du Ritz, avant de passer en vente chez Christie’s Paris.
Or, le Ritz, pendant l’Occupation, fut un haut lieu de la collaboration, largement fréquenté par les officiers de la Wehrmacht. Même si rien n’indique que ce tableau ait pu faire l’objet d’une spoliation, le doute demeure. Et ce doute a suffi pour ne même pas envisager une préemption. Le Metropolitan Museum de New York n’a pas les mêmes craintes et l’a emporté aux enchères (voir la brève du 19/4/13), le tableau pouvant désormais être admiré dans ses salles, non loin du Portrait de Jabach (voir la brève du 16/5/14) du même Le Brun (où certains voient désormais plutôt une œuvre avec une participation importante de l’atelier).

Cette attitude frileuse est-elle la bonne ? Nous pensons que non. Sur le plan du risque, celui qu’un tableau non répertorié (ni par les historiens de l’art, ni dans les bases des œuvres volées pendant la guerre) provienne effectivement d’une spoliation est peu élevé. Il existe néanmoins. Et alors ? dirions-nous : ne faut-il pas mieux qu’un tableau potentiellement volé puisse être acquis par un musée français, exposé au public et ainsi donner lieu à la possibilité de recherches plus approfondies sur son histoire ? Si ce tableau s’avère volé, il devra bien sûr être rendu, et sera immédiatement disponible pour les héritiers légitimes. Le seul risque pour les musées serait de perdre l’argent dépensé, risque atténué par la responsabilité du marchand ou de la maison de vente. Et même si le prix d’achat était définitivement perdu, ce serait tout à leur honneur d’avoir facilité cette restitution.

Cette peur d’acheter une œuvre volée revient, en réalité, à donner la possibilité à n’importe qui de l’acquérir et de l’exporter, ce qui à terme rendra plus difficile voire complètement impossible sa restitution éventuelle. Un peu comme Ponce Pilate, le ministère de la Culture s’en lave les mains et ne veut surtout prendre aucun risque. Laissons partir l’œuvre, d’autres s’en débrouilleront : une attitude bien peu courageuse. Il est temps d’affirmer que les musées français n’ont rien à craindre de l’acquisition d’une œuvre de bonne foi, et de l’affirmation qu’elle est à la disposition de ceux qui estimeraient et qui pourraient prouver qu’elle leur a été volée pendant la guerre.

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