Un rapport de la Cour des comptes sur Versailles

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Le château de Versailles
Photo : Didier Rykner
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Les rapports de la Cour des comptes sur les institutions publiques culturelles sont toujours intéressants à lire et soulèvent la plupart du temps d’excellentes questions. Leur seule limite est, parfois, une méconnaissance des enjeux patrimoniaux des organisations qu’elles contrôlent, relative néanmoins car certains membres de cette Cour sont très au fait de ces questions. La Cour des comptes ayant pour rôle de « s’assurer du bon emploi de l’argent public », elle peut parfois juger que des dépenses sont excessives ou mal contrôlées alors qu’elles sont indispensable pour le patrimoine national, le fonctionnement d’un musée et l’entretien ou la restauration d’un monument historique. Celle-ci vient de publier un rapport que l’on peut télécharger ici sur l’établissement public du château de Versailles.

C’est ainsi que nous ne partagerons pas une des remarques de ce rapport, qui semble mettre en doute la légitimité de la politique d’acquisition de l’établissement. S’il y a une chose en effet qui fonctionne particulièrement bien à Versailles, à côté des expositions (un sujet qui n’est pas abordé par le rapport), c’est bien les acquisitions. Même si le musée n’a pas de « Projet Scientifique et Culturel » où serait écrit noir sur blanc comment sont choisies les œuvres à acquérir, cette politique est à peu près évidente pour quiconque s’y intéresse. À un tel point qu’il arrive très souvent que l’on peut savoir à l’avance, lorsqu’une peinture, une sculpture ou un objet d’art passe en vente, s’il y a de fortes chances que le musée le préempte. Nous avons très souvent anticipé des achats tant ils paraissaient évidents, et nous avons rarement été déçus.

On peut d’ailleurs lire dans la réponse de l’établissement public que les axes d’acquisition qui seront bientôt formalisés (et qui ont été transmis aux contrôleurs) sont les suivants : « le remeublement de Versailles et des châteaux de Trianon ; les œuvres illustrant l’histoire culturelle et politique de l’Ancien Régime et la vie de Cour ; une national portrait gallery à la française ; une interprétation moderne du Musée de l’histoire de France ; une collection pour faciliter la compréhension du château ; une illustration du rayonnement de Versailles à l’époque moderne et contemporaine. » Si la notion d’« interprétation moderne » du Musée de l’histoire de France est une formulation qui nous paraît un peu ésotérique, tout le reste est parfaitement conforme non seulement à ce qu’on peut attendre du château de Versailles, mais aussi aux acquisitions qu’il mène. Le souhait de développer également la collection de portraits de personnalités de l’histoire et de l’histoire française pas forcément en rapport avec Versailles pour créer l’équivalent d’une « National Portrait Gallery » permet par ailleurs d’expliquer certains achats qui n’étaient pas totalement clairs pour nous, comme celuoi du portrait de Jules Breton par Jean Carriès (voir la brève du 25/1/22).

En revanche, le rapport a parfaitement raison de souligner que les collections sont « inégalement accessibles au public ». En raison du manque de gardiens qui ne peuvent être engagés faute de financement suffisant du ministère de la Culture (en période hors Covid bien entendu), des pans entiers du musée, notamment les salles de peinture du deuxième étage ne sont pratiquement jamais accessibles. Une politique d’acquisition qui consisterait à envoyer les œuvres directement en réserves ou dans des salles fermées au public (ce n’est heureusement pas trop le cas) est plus difficile à justifier.
Quant aux réserves, là encore le rapport a raison de souligner la situation très préoccupante du château à cet égard, un état de fait d’ailleurs partagé par la conservation : « La dispersion des collections, et surtout le mauvais état bâtimentaire des réserves, ont été soulignés à maintes reprises tant par la direction de l’établissement public que par l’équipe de conservateurs du château. Ainsi que le précise l’établissement public : "dispersées, celles-ci furent installées au fil du temps, suivant les opportunités et les disponibilités foncières sans cohérence d’aménagement global à l’échelle du domaine, ni de regroupement de collection ou de prise en compte des exigences de conservation de collections patrimoniales" ». Nous donnions en 2009 (il y a quatorze ans !) un aperçu de ce que pouvaient être certaines de ces réserves dans notre article « Les fantômes de Versailles ». Sauf erreur donc, ce dépôt de sculptures est toujours dans le même état, puisque le rapport écrit que : « la situation est critique […] pour les sculptures entreposées à la Poulinière ».

On peut regretter que ce dans ce rapport, certains travaux horriblement coûteux du schéma directeur, en particulier ceux relatifs à la climatisation du château - qualifié pudiquement de « production de froid » et dont on apprend qu’ils sont maintenant programmés dans le « corps central Nord » et dans les « appartements de la Cour de Marbre » - ne soient pas critiqués comme ils méritent de l’être. Car il s’agit bien d’adapter le monument aux flux de visiteurs plutôt que de faire l’inverse. Or, cette surfréquentation du château, interrompue pendant la crise sanitaire mais qui reprend désormais de plus belle est considérée à juste titre par le rapport comme un problème mettant en danger sa conservation. Il est navrant à cet égard de constater que l’ex-présidente du château de Versailles Catherine Pégard, dans les réponses de l’établissement public au rapport de la Cour des comptes, prétende que cette surfréquentation n’existe pas quand n’importe quel visiteur peut la constater en visitant les grands appartements dans des conditions parfois pire que le métro aux heures d’affluence.

D’autres points mériteraient sans doute d’être commentés, comme les travaux du Pavillon Dufour qui n’a pas été restauré comme on peut le lire, mais vandalisé, comme d’ailleurs toutes la Vieille Aile (voir les articles), mais nous terminerons, justement, sur la question dont nous avons déjà parlé à maintes reprises, celle de l’absence de nomination d’un nouveau président de l’établissement public. Sachant que « Mme Pégard exerce aujourd’hui ses fonctions au-delà de la limite d’âge de 67 ans, elle cumule un nombre de mandats supérieur à ce que permettent les statuts de l’EPV, pris par décret en Conseil d’État, soit une forme hiérarchiquement supérieure à une décision ministérielle ». La Cour des comptes qualifie cet état de fait de « situation juridique inédite » et explique qu’elle est « problématique », ajoutant notamment que « les décisions qu’elle prend, ainsi que celles déléguées à ses directeurs, pourraient être contestées devant les tribunaux, notamment en matière d’engagement de la dépense ». Le rapport ajoute encore que « la situation de Mme Pégard pourrait même être assimilée à une forme de détournement de pouvoir dans la mesure où l’absence de désignation d’un successeur depuis déjà plus de vingt-sept mois résulte d’une carence qui traduit de la part de l’État sinon une volonté délibéré du moins un manque d’anticipation ». Qu’en termes délicats - mais clairs - ces choses là sont dites. Il faut vraiment espérer qu’une association se charge enfin de porter cette affaire en justice.

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