Un pastel de Jean-Étienne Liotard préempté par le Musée de l’Armée

1. Jean-Étienne Liotard (1702-1789)
Portrait en buste de Jean II Maritz, vers 1746-1748
Pastel sur papier marouflé sur toile - 65 x 49 cm
Préempté par le Musée de l’Armée
Photo : Cabinet De Bayser
Voir l´image dans sa page

12/12/19 - Acquisition - Paris, Musée de l’Armée - C’est un heureux dénouement pour ce beau pastel du XVIIIe siècle, qui avait fait sa première apparition sur le marché au mois de juin dernier à l’occasion d’une vente aux enchères organisée par Me Gérald Richard (en collaboration avec Millon) à Villefranche-sur-Saône. Si l’identité du modèle avait traversé le temps, ce n’était pas le cas de celle de l’artiste : le portrait se voyait alors décrit comme « école française du XVIIIe siècle » et assorti d’une estimation très alléchante de 1500/2000€. De nombreux observateurs y ayant reconnu la main de Jean-Étienne Liotard, le pastel (ill. 1) fut retiré de la vente et confié au cabinet De Bayser pour expertise avant d’être à nouveau proposé samedi dernier mais avec un prix plus réaliste : 60/80 000€. Adjugé pour la somme raisonnable de 68 000€ [1], il fut alors immédiatement préempté par le Musée de l’Armée.

Cette acquisition judicieuse s’explique aisément par la personnalité du modèle : Jean II Maritz, seigneur de La Barollière, est une figure capitale dans l’histoire de l’artillerie. Issu d’une dynastie de fondeurs suisses, Jean II Maritz (1711-1790) est l’un des principaux fondeurs de canons de la France du XVIIIe siècle. En compagnie de son frère Samuel (1705-1780), il se forma à Genève auprès de leur père Jean I Maritz (1680-1743), qui inventa une machine à forer les canons révolutionnaire dont le Musée de l’Armée conserve un petit modèle. Jusqu’aux débuts du XVIIIe siècle, les canons - qu’ils soient en bronze ou en fonte de fer - étaient en effet coulés creux pour être ensuite alésés au calibre souhaité. Il fallut attendre 1714 pour que Jean I Maritz mette au point un banc horizontal permettant de forer et tourner des canons coulés pleins, dont il passa le secret de fabrication à ses enfants. Jean I Maritz et son fils cadet Jean s’installèrent à Lyon au début des années 1730, le fils aîné restant en Suisse. En 1734, ils furent nommés commissaires des fontes d’artillerie de Lyon puis Jean II Maritz prit la tête de la fonderie de Strasbourg avant d’être naturalisé français en 1740. A la mort de son père en 1743, Jean II Maritz décida de vendre son secret de fabrication à la France et fut nommé directeur des fonderies royales d’artillerie en 1751. Appelé au service de la marine, il se chargea de réorganiser la fabrication des bouches à feu sur la côte Atlantique. A la fin de la Guerre de Sept Ans, il fut nommé inspecteur général des fontes de l’artillerie de Terre et de Mer de France. Installé à Lyon, converti au catholicisme, Jean II Maritz dirigeait ainsi au milieu du XVIIIe siècle toutes les fonderies de France. Sa fortune faite, il put acquérir la seigneurie de La Barollière à Limonest, près de Lyon, pour la somme de 65 000 livres. Continuant sa carrière en Espagne, où l’avait appelé le roi Charles III en vertu du pacte de famille liant les Bourbons, il y réorganisa les fonderies de Barcelone et Séville avant de rentrer à Lyon en 1773 où il se retira sur ses terres.

Ce portrait au pastel de Jean II Maritz fut probablement exécuté par Jean-Étienne Liotard à la fin des années 1740. Après son séjour de cinq ans à Constantinople, Liotard traversa l’Europe en passant par Venise et les cours germaniques pour regagner Genève mais séjourna environ un an et demi à Lyon avant de partir vers Paris en 1748. L’artiste y réalisa le portrait du duc de Richelieu mais également de ses neveux, les Lavergne. Lyon accueillait alors une importante communauté suisse et c’est sans doute ainsi que Liotard rencontra Maritz, entre 1746 et 1748. Les deux hommes sont donc alors en pleine ascension et c’est avec une touche à la fois sobre et délicate que Liotard dépeint son compatriote Maritz, représenté en buste, de trois quarts. Se détachant sur un fond noir, qui fait particulièrement ressortir ses yeux bleus, le modèle porte une veste brune que vient rehausser un gilet jaune orné de fleurs bleues. Aucun attribut spécifique ne vient ici rappeler les fonctions de Jean II Maritz : cette œuvre intimiste était donc certainement destinée à la sphère privée, familiale. Utilisant avec maestria toutes les possibilités offertes par le crayon de pastel, Liotard sut rendre à merveille le velouté du costume ou la douceur du visage aux lèvres charnues qui viennent atténuer la froideur apparente de cette effigie. Le cordon noir de l’Ordre de Saint-Michel, dans lequel Jean II Maritz fut nommé chevalier en 1755 et reçu en 1758, a manifestement été rajouté ensuite, comme les traces de pastel bleu subsistant à la lisière du cordon le suggèrent.

Demeuré depuis le XVIIIe siècle dans la descendance du modèle, ce portrait avait cependant perdu son auteur : jusqu’à sa récente réattribution, l’œuvre était donné à un certain Caffarel, suite à une confusion avec le nom de la descendante de Jean II Maritz qui possédait le pastel en 1965. Cette belle redécouverte constitue également l’unique effigie de Jean II Maritz aujourd’hui connue.

2. Johann Ernst Heinsius (1740-1812)
Jean-François de Bérenger, commissaire général des fontes de l’artillerie à Douai, 1773
Huile sur toile - 97 x 74,5 cm
Paris, Musée de l’Armée
Photo : RMN-GP/P. Segrette
Voir l´image dans sa page

C’est donc un enrichissement de choix pour les collections du Musée de l’Armée, dont vingt-sept canons classiques français en bronze ont été réalisés par Jean II Maritz. Le deuxième exemplaire des hors-série des Cahiers d’études et de recherche du musée de l’Armée, paru en 2005 mais aujourd’hui épuisé, était d’ailleurs entièrement dédié à Jean II Maritz. Son portrait par Liotard vient en outre combler une lacune dans les collections du Musée de l’Armée qui ne comportaient jusqu’ici qu’un seul autre portrait d’un grand représentant de l’artillerie française sous l’Ancien Régime, celui du gendre de Jean II Maritz, Jean-François de Bérenger Donicourt (1725-1802), peint en 1773 par Johann Ernst Heinsius (ill. 2) et acquis en 2005. Nulle équivoque dans ce dernier portrait : contrairement à son beau-père, le modèle pose ici fièrement appuyé sur un des canons qui faisaient sa fortune.

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.