Temple Saint-Étienne à Mulhouse : un mobilier à protéger in situ

1. Jean-Baptiste Schacre (1808-1876)
Le temple Saint-Étienne à Mulhouse
Photo : ignis (CC BY-SA 3.0)
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Dans les années 60, les édifices cultuels en France ont subi, sous prétexte de suivre les recommandations du concile Vatican II (une interprétation évidemment fautive puisque fort heureusement les églises en Italie n’ont pas connu le même sort), un vandalisme effréné. Chaires, bancs-d’œuvres, autels, tables de communion, mobilier divers et même parfois peintures et sculptures furent dans le meilleur des cas mis de côté, et la plupart du temps détruits.

On pensait cette époque révolue, mais malheureusement ce type de pratique perdure. Et c’est cette fois un temple protestant qui est menacé, ou plutôt était menacé car notre intervention pour écrire cet article a fait bouger les choses. Il s’agit en l’occurrence du temple Saint-Étienne de Mulhouse et cette affaire nous a été apprise par un article de L’Alsace, publié hier, que nous a transmis Étienne Bertrand, un lecteur que nous remercions.
Le temple Saint-Étienne est un grand édifice néo-gothique, construit entre 1859 et 1869 par l’architecte Jean-Baptiste Schacre, considéré souvent comme le rappelle sa page Wikipedia comme la « cathédrale de Mulhouse ». Il conserve, entre autre, des vitraux du XIVe siècle récupérés sur le bâtiment qu’il a remplacé, et a été classé monument historique en 1995. Le temple, comme une grande partie des édifices cultuels en France, est propriété de la mairie, et est affecté au culte protestant.


2. Intérieur du temple Saint-Étienne à Mulhouse, avec les bancs
Photo : Timothy Keeefe (CC BY-SA 2.0)
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Des travaux de rénovation (pas de restauration donc) ont été entrepris, dont l’objectif est notamment d’installer du chauffage par le sol, et de permettre la transformation de la nef en salle modulable, pour par exemple servir de salle d’exposition de sculptures, mais aussi pour transformer le lieu, à l’occasion, en salle de conférences et de symposium. Faire passer facilement cette nef de lieu de culte à salle d’exposition ou autre nécessite de pouvoir rapidement la vider, ce qui a entrainé la conclusion suivante : les bancs anciens, simples mais avec au dessin élégant (ill. 2 et 3), qui se marient notamment avec le reste du mobilier, dont la chaire, devaient être enlevés et, selon l’article de L’Alsace, vendus 20 euros le mètre linéaire, soit 100 euros pour les grands bancs de cinq mètres et 60 euros pour les petits bancs de trois mètres environ.


3. Intérieur du temple Saint-Étienne à Mulhouse, avec les bancs et la chaire
Photo : Timothy Keeefe (CC BY-SA 2.0)
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4. Jean-Baptiste Schacre (1808-1876)
Plan du temple Saint-Étienne, avec dessin du sol et avec le mobilier (chaire, bancs)
Plume et lavis, crayon noir - 50,3 x 67,3 cm
Mulhouse, Service municipal d’architecture
Photo : C. Menninger
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Le service municipal de Mulhouse conserve un plan (ill. 4), dû à Jean-Baptiste Schacre, qui montre dans la nef deux fois 18 rangées de bancs. Ce document prouve donc qu’il s’agit non seulement de la conception d’origine de Schacre, déjà mise à mal à une date inconnue par l’enlèvement des autres bancs (les plus petits) qui se trouvaient dans les tribunes et que l’on voit également sur le plan (certains ont manifestement été conservés), mais que très probablement leur dessin, comme ceux de la chaire également présente sur ce plan, est dû à l’architecte lui-même.

Il est évident que ce mobilier d’origine (la chaire n’est pas menacée) forme un ensemble cohérent avec l’architecture, et qu’il est important de les conserver in situ.
L’édifice appartenant à la Ville, ce mobilier, qui n’est pas protégé au titre des monuments historiques, est néanmoins une propriété publique. Il ne peut être vendu que par son propriétaire - la commune - et sous condition d’une procédure de déclassement du domaine public.
Nous avons interrogé la municipalité qui ne nous a pas encore répondu. Nous avons aussi contacté le pasteur, Roland Kauffmann, d’abord par mail, avant que celui-ci ne nous rappelle. Il nous a affirmé qu’il ne savait pas qu’il fallait sortir les objets du domaine public, ce qui ne nous a pas étonné car il s’agit d’une procédure peu connue du grand public. Il nous a dit aussi que la mairie n’était pas au courant du projet de vente avant qu’il n’en parle dans L’Alsace. En revanche, celle-ci était parfaitement au fait des travaux en cours.
Pour Roland Kauffmann, ces bancs sont « juste des morceaux de bois », qu’il considérait comme de futurs « rebuts de chantier ». Il prévoyait seulement d’en conserver trois ou quatre au titre de témoignage de l’histoire du monument. Il était donc prêt à les jeter, mais a, fort heureusement - car cela nous a alerté -, préféré essayer de les vendre, ou d’en vendre une partie pour financer au moins les chaises qui devaient les remplacer. Apprenant qu’il n’en avait pas le droit (pas davantage que de les jeter) puisqu’ils font partie du domaine public, il nous a confirmé qu’il suspendait ce projet. C’est d’autant plus nécessaire que tous les bancs ont trouvé rapidement un acquéreur potentiel, puisqu’il a reçu pas moins de 68 demandes...

Selon le pasteur, la Direction Régionale des Affaires Culturelles était au courant des travaux de rénovation et ne semble pas l’avoir alerté sur l’intérêt de ce mobilier. Néanmoins, lorsque nous l’avons interrogée en urgence, elle nous a fait une réponse très encourageante : « Nous instruisons cette demande d’instance de classement. Parallèlement nous demandons un entretien avec la maîtrise d’ouvrage pour envisager toutes solutions permettant de conserver ces biens ».
Nous lui suggérions en effet de poser si nécessaire une instance de classement avant de mettre en œuvre ce que permet le code du patrimoine depuis la loi de juillet 2016 : classer in situ cet ensemble mobilier.

Le pasteur nous a dit que le classement de ces bancs menacerait la transformation de la nef en salle modulable, en tout cas comme il l’envisageait. C’est certainement regrettable pour la paroisse, mais dans un édifice tel que celui-ci (qui rappelons-le, est un temple, pas une salle polyvalente), c’est l’utilisation qui doit s’adapter au monument, et non l’inverse. Ce projet, dont il nous a dit qu’il datait de plusieurs années, aurait dû faire l’objet de prescriptions de la ville et de la DRAC, ce qui n’a manifestement pas été le cas. Fort heureusement, il n’est pas trop tard. Voilà encore un dossier que nous suivrons évidemment de très près.

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