De la moquette et des chaises de salle polyvalente pour l’église Saint-Nizier à Lyon

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1. Le sol ancien de l’église Saint-Nizier mis à niveau pour pouvoir installer la moquette
avec ses nouvelle chaises de salle polyvalente
Photo : La Tribune de l’Art
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Nous avons reçu aujourd’hui un appel du maire adjoint en charge notamment des cultes à la mairie de Mulhouse, qui nous a confirmé ce que nous avions écrit et ce que nous avait dit le pasteur (voir notre article), que la Ville n’était pas au courant du projet de vente des bancs du temple Saint-Étienne. Il nous a dit également que la municipalité venait de recevoir un courrier de la Direction Régionale des Affaires Culturelles Grand Est indiquant qu’elle souhaitait faire classer monument historique in situ le mobilier de l’église et que la Ville y était tout à fait favorable. Voilà donc une affaire mal partie qui se conclut très favorablement, et nous sommes assez fier d’y avoir fortement contribué. La Tribune de l’Art, comme nous l’avons souvent écrit, fait du journalisme engagé pour le patrimoine, en voici une nouvelle preuve.

Il reste qu’une autre affaire dont nous avons eu connaissance aujourd’hui même démontre que les édifices religieux semblent subir une nouvelle vague de vandalisme consistant à donner, à vendre ou à jeter les bancs qui en ornent souvent la nef. Cette fois, il s’agit de l’église Saint-Nizier à Lyon qui s’est débarrassé de ses bancs en les donnant, comme nous l’a confirmé le curé de la paroisse Hugues Jeanson. En soi, ces bancs n’avaient rien d’exceptionnels et étaient peut-être assez récents, mais ils avaient l’avantage d’être neutres et de ne pas nuire à l’esthétique de l’église, classée monument historique. Auraient-ils dus être déclassés du domaine public ? Non si l’on en croit le père Jeanson, qui nous a dit qu’ils avaient été achetés il y a une trentaine d’années par la paroisse. Si cela est avéré, ils ne faisaient donc pas - a priori - partie du domaine public puisqu’ils appartenaient à une personne morale privée. Ils ne méritaient d’ailleurs pas d’être protégés au titre des monuments historiques.


2. Le sol ancien de l’église Saint-Nizier mis à niveau pour pouvoir
installer la moquette avec ses nouvelle chaises de salle polyvalente
Photo : La Tribune de l’Art
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Ils ont été remplacés par des chaises de salles polyvalentes… Une rapide recherche sur internet nous a permis de trouver l’équivalent qui est ainsi qualifié, à moins qu’on les appelle chaises « clips crochetages ». Ce n’est pas, en tout cas, un mobilier digne de ce lieu. Il jure complètement avec ce monument classé. Au moins, les bancs disparus tenaient-ils leur fonction.
Plus grave encore : des travaux sont actuellement en cours dans la nef qui n’ont pas été autorisés par la DRAC Auvergne Rhône-Alpes, qui n’a même pas été prévenue comme nous l’a confirmé le curé. Il s’agit de combler les irrégularités du sol ancien avec une espèce de plâtre (le prêtre nous a dit qu’il ne savait pas exactement de quelle matière il s’agissait) pour y installer… de la moquette. De la moquette sur le sol ancien d’une église protégée monument historique. Tout cela est vraiment du grand n’importe quoi.


3. La nef de Saint-Nizier au début du XXe
siècle
Photo tirée d’un livre de 1908
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4. La nef de l’église Saint-Nizier
en 2011 (et jusque très récemment avant que les bancs ne soient donnés)
Photo : Alexmar983 (CC BY-SA 3.0)
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Comparons une photo de la nef de Saint-Nizier au début du XXe siècle (ill. 1), avec une autre (ill. 2) prise récemment et trouvée sur Wikipedia, et une troisième qui montre à quoi elle ressemble aujourd’hui. Le résultat est catastrophique. Remarquons aussi que les bancs qui viennent d’être enlevés étaient très proches de ceux que l’on trouvait dans l’église en 1908. Ne faudrait-il pas enseigner un peu l’histoire de l’art et l’histoire du goût dans les séminaires ? On ne peut accepter qu’un tel monument historique soit traité comme une salle polyvalente.
La DRAC n’était pas au courant donc. Maintenant elle l’est, puisque nous lui avons demandé par mail ce qu’elle comptait faire à ce sujet (elle ne nous a pas encore répondu). Il est clair que le sol doit être remis dans son état d’origine, et la moquette enlevée. Il faudrait aussi exiger le retour des bancs (qui ont été donnés) ou d’un mobilier digne de ce lieu.


5. La nef de l’église Saint-Nizier aujourd’hui
Photo : La Tribune de l’Art
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6. Antoine Coysevox (1640-1720)
Vierge à l’enfant
Marbre - H. 170 cm
Lyon, église Saint-Nizier
Photo : Didier Rykner
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Rappelons que l’église Saint-Nizier, classée monument historique en 1840, conserve notamment une Vierge à l’enfant, un chef d’œuvre d’Antoine Coysevox, mais aussi une Fuite en Égypte de Michel II Corneille, de nombreux tableaux importants du XIXe siècle dont un Christ transfiguré de Victor Orsel et un bel ensemble de vitraux de Claudius Lavergne.

Si tout cela est réversible, nous pouvons quand même à juste titre être inquiet de cette nouvelle mode qui semble saisir le personnel ecclésiastique. Le mobilier d’un monument historique ne se change pas sur un coup de tête, et on n’y installe pas de la moquette. Nous remercions tous les lecteurs de La Tribune de l’Art d’être très attentif à ce genre de fantaisies et à nous prévenir systématiquement. Un travail qui, normalement, devrait incomber au ministère de la Culture.

Didier Rykner

P.-S.

Nous avons reçu le 29 juin ce message du directeur par intérim de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, François Marie, qui répond ainsi à notre demande. Une réponse très satisfaisante :

« Vous avez bien voulu attirer mon attention sur la pose de moquette intervenue sur le sol de l’église classée de Saint-Nizier.

La DRAC mène avec la Ville de Lyon un partenariat étroit, formalisé par convention, dont la dernière édition, signée en décembre 2019, prévoie notamment la poursuite de la restauration de l’église de Saint-Nizier.

L’alerte sur les travaux menés au sol par l’affectataire des lieux, sans autorisation ni information du propriétaire ou de la DRAC a donc, dans ce contexte, été rapide. Le 24 juin, l’arrêt immédiat des travaux en cours a été ordonné. L’affectaire a été immédiatement informé par la conservatrice en charge du secteur que :
 ces travaux, qui n’ont l’objet d’aucune demande ni même information, ne pouvaient être autorisés,
 que les éléments déjà mis en œuvre devraient être retirés après constat d’état en place,
 l’entreprise doit livrer l’ensemble des données techniques mises en œuvre afin que soit garantie la non dégradation au retrait (notamment à la base des piliers), et que puissent être étudiées les éventuelles reprises à mettre en oeuvre.

Une réunion est prévue demain sur place (Ville, DRAC, affectataire) afin de définir précisément le protocole de retrait, et les suites données à ces travaux menés dans l’illégalité ; en outre, la paroisse devra s’expliquer quant à la disparition du mobilier, dont il faut cependant noter le caractère récent (et donc, propriété de l’affectataire). »


7. Extrait du bulletin paroissial
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Mise à jour le 3 juillet 2020 : la moquette va être enlevée, et les bancs réinstallés. Dans le bulletin paroissial (ill. 7), le curé de l’église « demande pardon pour les troubles causés ».

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