Saint-Florentin : mode d’emploi de la loi Elan pour détruire le patrimoine

Nous avons dénoncé ici à plusieurs reprises la disposition de la loi Élan, qui permet à un maire de décider la démolition de bâtiments dont la démolition est pourtant interdite par un règlement de site patrimonial remarquable (anciens secteurs sauvegardés et aires de valorisation du patrimoine), ou aux abords d’un monument historique, placés sous le coup d’un arrêté de « péril imminent », sans que l’Architecte des Bâtiments de France puisse s’y opposer. Cette régression inédite des lois sur la protection du patrimoine, qui depuis la grande loi de 1913 n’avait cessé d’être renforcée, permet ainsi aux maires, aidés d’« experts » compréhensifs, de permettre la démolition d’édifices théoriquement protégés par le code du patrimoine, sans que personne ne puisse l’empêcher, sauf à classer le bâtiment concerné et à faire des travaux d’urgence. C’est ce qui avait été heureusement réalité pour la maison de Sierck-les-Bains (voir les articles).


1. Maisons au chevet de l’église de Saint-Florentin
La maison médiévale de gauche, dont la démolition est prohibée par le règlement du secteur sauvegardé, a été placée en état de péril imminent par la mairie qui est son propriétaire et qui a décidé de la démolir
Photo : Didier Rykner (1er mars 2022)
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Mais dans de nombreux cas, le bâtiment que l’on va détruire ne justifie pas un classement. Il s’agit souvent d’architectures modestes mais très anciennes, qui font partie de l’histoire urbanistique de la ville. Il s’agit de vieilles maisons, parfois médiévales, souvent transformées, mais qui ont un cachet authentique qui font l’âme des villes. On ne peut concevoir la protection du patrimoine uniquement en sauvegardant les monuments les plus importants et en détruisant tout le reste. C’est bien pour s’opposer à ces destructions qu’avaient été conçus la législation des abords, puis des secteurs sauvegardés et des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ancien nom des AVAP). C’est ce qu’a détruit la loi Elan, voulue par Emmanuel Macron, qui détricote ainsi une législation précieuse qui, lorsqu’elle était respectée, permettait de protéger efficacement le patrimoine.


2. Arrêté de démolition de la maison médiévale au chevet de l’église de Saint-Florentin
Photo : Didier Rykner (1er mars 2022)
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Grave même lorsqu’elle est appliquée conformément à son esprit, cette loi Elan devient dramatique quand certains élus décident sciemment de s’en servir pour la transformer en machine à détruire le patrimoine. C’est le cas des maires qui font acheter par leur municipalité des immeubles théoriquement protégés, qu’ils veulent raser, et qu’ils laissent ensuite se détériorer, au besoin en laissant le bâtiment ouvert à tous les vents, jusqu’à ce que son état permette à un expert mandaté par lui de décréter un « péril imminent » qui lui donne la possibilité de détruire celui-ci sans que l’architecte des bâtiments de France puisse l’en empêcher.


3. Vue de la maison devant être démolie, le 1er mars 2022
Photo : Didier Rykner
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4. Vue de la maison devant être démolie, en janvier 2011
Photo : Google Streets
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Un tel cas peut être observé à Saint-Florentin dans l’Yonne, où le maire Yves Delot veut démolir une maison médiévale au chevet de l’église de la ville, propriété de la mairie. Nous n’avons pu savoir quand celui-ci l’a acquis car bien entendu nous n’avons reçu aucune réponse de la mairie, mais on peut observer que celle-ci est totalement abandonnée et que ses fenêtres sont ouvertes, ce qui ne pouvait qu’aboutir qu’à une ruine rapide de l’édifice. L’arrêté de péril imminent date du 10 janvier 2022, mais l’immeuble était pourtant encore debout le 1er mars lorsque nous nous sommes rendu à Saint-Florentin. La comparaison entre la photo Google Street de janvier 2011 et l’état actuel laisse d’ailleurs planer le doute sur la réalité du danger d’effondrement de cet immeuble qui, extérieurement, ne laisse deviner aucun désordre supplémentaire, à l’exception des fenêtres brisées.


5. Maisons acquises en avril 2021 par la municipalité de Saint-Florentin, rue du Pont, afin d’être détruites, alors qu’elles ne sont pas en état de péril imminent et que le règlement du site patrimonial remarquable interdit leur démolition (sauf application de la loi Elan...)
Photo : Didier Rykner (1er mars 2022)
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N’ayant pu obtenir l’information sur la date d’achat du bâtiment par la mairie, celle-ci pourrait plaider l’avoir acquis très récemment alors qu’il était déjà en « péril imminent ». Ce qui est bien sûr peu crédible. Le cas de trois autres maisons acquises par la mairie pour être démolies, alors qu’elles ne sont pas en état de péril imminent et qu’elles sont protégées par le secteur patrimonial remarquable et d’ailleurs en covisibilité avec l’église monument historique, ne laisse aucun doute sur le système que le maire a mis en place.


6. Une des maisons acquises par la municipalité en avril 2021 pour être détruites
Photo : Didier Rykner (1er mars 2022)
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7. Covisibilité avec l’église des trois maisons acquises par la municipalité en avril 2021 pour être détruites
Photo : Didier Rykner (1er mars 2022)
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Dans L’Yonne Républicaine du 15 avril 2021, on peut en effet lire un article expliquant comment le conseil municipal venait de voter « l’acquisition de trois parcelles bâties, situées faubourg du Pont. » L’objectif est clair : « Les maisons seront démolies pour améliorer la circulation »… Or ces maisons étant protégées par le règlement du site patrimonial remarquable, seul un arrêté de péril imminent peut permettre de les démolir. C’est donc bien en connaissance de cause que la mairie les a achetées pour les laisser s’écrouler afin de pouvoir les décréter dangereuses et les abattre afin de réaliser son projet « d’améliorer la circulation ».

En comparant la photo publiée par L’Yonne Républicaine et celles que nous avons pu prendre, on remarque que, depuis, la mairie s’est bien gardée de fermer les fenêtres, ce qui accélère la décrépitude du bâti. L’objectif est en effet, comme elle ne le cache pas, de démolir ces bâtiments. On appréciera l’ironie du journaliste qui explique qu’« une règlementation [de protection du patrimoine] stricte s’applique ». Remarquons d’ailleurs que les maisons ne sont pas protégées que par la proximité de l’église, mais également, comme nous l’indiquions, par la règlementation du site patrimonial remarquable.


8. Maison, rue du Pont, en état de péril imminent
(mais dont la démolition ne semble pas requise pour l’instant)
Photo : Didier Rykner (1er mars 2022)
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D’autres immeubles protégés appartenant à des particuliers qui ne les ont pas entretenus et qui les ont laissé en mauvais état semblent également en sursis dans la ville. C’est ainsi que non loin des trois dernières maisons dont nous avons parlé, 7 rue du Faubourg du Pont, un peu plus haut vers le centre du village, on trouve une autre bâtisse avec un « arrêté de péril imminent » datant de mai 2018. Il nous a été impossible de vérifier si les travaux imposés ont été menés à bien depuis ni de savoir ce qu’il adviendra ce ce petit immeuble.


9. Maison du Patrimoine, Saint-Florentin, rue Jossier
Photo : Didier Rykner
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10. Maison en lancement de procédure de péril imminent rue Jossier à Saint-Florentin
Photo : Didier Rykner (1er mars 2022)
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Rue Jossier, à l’angle de laquelle se trouve la « Maison du Patrimoine », belle maison à pans de bois qui ne semble pas menacée, on trouve encore un (ou deux, ce n’est pas clair) autres constructions également en état précaire sur lesquelles sont placardées des avis de « lancement de la procédure de péril imminent sur [...] immeubles ». Ces avis non datés semblent anciens et rien ne semble avoir bougé depuis. Voilà encore donc deux immeubles pour lesquels, s’ils n’appartiennent pas à la mairie, on peut légitimement s’inquiéter.


11. Vue de maisons anciennes non loin du chevet de l’église (qui se trouve à gauche, un peu derrière nous)
Photo : Google Streets (janvier 2011)
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12. Presque le même point de vue que la photo 11, le 1er mars 2022 : les maisons anciennes ont disparu...
Photo : Didier Rykner
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Notons qu’il y a quelques années déjà, des maisons anciennes situées à proximité de l’église que l’on peut encore voir sur Google Streets en 2011 ont été démolies, sans doute avant que le site patrimonial remarquable (à l’époque, il s’agissait d’une AVAP) ait été mis en place. Le vandalisme à Saint-Florentin semble donc bien une tradition et la loi Elan lui donne un outil inespéré. À ce rythme, il ne restera bientôt plus que l’église d’ancienne dans le village. Une église magnifique et riches d’œuvres d’art exceptionnelles, dont un rare jubé de la Renaissance, mais en très mauvais état. Au moins bénéficie-t-elle d’une restauration planifiée sur plusieurs années. C’est au moins ça.

Pour conclure très provisoirement sur le scandale inouï que représente la loi Elan, et sur la responsabilité écrasante d’Emmanuel Macron dans la destruction du patrimoine français, nous renvoyons au scandale qui a actuellement cours à Foix, dénoncé par l’association Sites & Monuments dans cet article, et qui a fait l’objet d’un article dans Le Canard Enchaîné : il s’agit là encore de laisser des immeubles anciens s’écrouler (et encore, l’architecte des bâtiments de France met en doute la réalité de ces menaces) et de pouvoir ainsi les détruire sans avoir besoin d’aucune autorisation. Combien de temps la ministre de la Culture restera-t-elle ainsi sans réagir ? Il est urgent de revenir sur cette disposition de la loi qui n’est en réalité qu’un blanc-seing laissé aux vandales.

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