Marmottan aux enchères

Un entrefilet dans le quotidien Les Echos du 22 avril 2005 confirmait un bruit qui circulait depuis quelques jours dans le milieu du marché de l’art : le musée Marmottan avait vendu le 7 avril, par l’intermédiaire de Christie’s, des meubles lui appartenant. Cette information, qui est reprise dans Le Journal des Arts daté du 29 avril, nous a été confirmée le 25 avril par Madame Marianne Delafond, conservateur du musée. Celle-ci nous a expliqué que « lorsque Paul Marmottan a légué son domicile particulier à l’Académie des Beaux-Arts, il y avait de tout, y compris des balais et des meubles dans les combles. Son mobilier personnel plus ce qu’il destinait au musée. » Elle a poursuivi en indiquant qu’il fallait distinguer les « meubles meublants » de ceux qui étaient destinés au musée. Elle n’a en revanche pas su nous préciser comment séparer les deux catégories, sachant qu’il semble que tout ait été inclus dans un même inventaire. Elle a enfin ajouté : « Un catalogue a été fait pour présenter les meubles gardés pour le musée. Le reste a été conservé dans des réserves. On a modernisé les réserves et on a besoin d’espace pour les Monet. On a donc été obligés de faire de la place. Ce mobilier était en réserves depuis toujours, il s’abîmait, on n’a pas les moyens de tout restaurer.  »

Les informations recueillies par le Journal des Arts confirment cette version. Ils ont interrogé Madame Belin-Capon, secrétaire générale de l’Académie des Beaux-Arts, qui a tenu à préciser : « le testament de Paul Marmottan ne stipule pas que les pièces soient inaliénables. Lorsqu’il a fait le legs en 1934-1935, l’hôtel particulier comptait des salles de réception et des pièces de vie avec des meubles meublants plus ordinaires qu’on a installés en réserve.  »
Le Musée Marmottan n’en est pas, semble-t-il, à son coup d’essai puisque Madame Belin-Capon a également déclaré au Journal des Arts que des meubles avaient déjà été vendus en 1998. Nul ne s’en est ému à l’époque car le Musée Marmottan s’est bien gardé d’en faire la publicité, de la même manière qu’il est resté très discret pour la vente du 7 avril. La prestigieuse provenance n’était nulle part mentionnée. Les lots ont été présentés comme un « Ensemble provenant des remises d’un hôtel particulier ». Le vendeur avait-il honte ? Il se murmure que des marchands ayant acquis des pièces les auraient déjà revendues, la provenance miraculeusement réapparue leur ayant permis de faire d’excellents bénéfices.

Les explications plus ou moins embarrassées des responsables ne sont aucunement acceptables.

Comment peut-on faire la différence entre un « meuble meublant » et un meuble destiné au musée ? Comment peut-on qualifier un mobilier de salon d’époque Directoire composé d’une paire de bergères et de quatre chaises estampillées par Georges Jacob de « meuble meublant ». [1]

Comment expliquer sur les meubles la présence de la marque MM, remarquée par plusieurs marchands, celle du Musée Marmottan, s’il ne s’agissait pas d’objets destinés à celui-ci ?

Comment justifier ces ventes en argumentant que le donateur n’a pas stipulé dans son testament que les pièces devaient être inaliénables ? Qui aurait l’idée de donner de telles instructions, quand celle-ci devraient évidemment aller de soi ? Madame Belin-Capon voudrait-elle dire que Paul Marmottan aurait donné son accord implicite à la vente d’une partie de son legs ?

En 1990, le Musée Marmottan consacrait une exposition à Jules et Paul Marmottan collectionneurs. Dans l’introduction au catalogue, Arnaud d’Hauterives écrivait que les 100 oeuvres présentées : « dont la plupart sont ignorées du public, proviennent essentiellement des réserves du Musée Marmottan [...] ». Il semble donc qu’il y ait deux types de réserves dans ce musée : celles qui méritent d’être présentées au public et celles que l’on peut vendre. Comment fait-on la différence entre les deux ? Un peu plus loin, Jean Nérée Ronfort et Jean-Dominique Augarde, dans un article intitulé Paul Marmottan et le Premier Empire indiquaient que« Paul Marmottan continua jusqu’à la fin de sa vie d’accroître sa collection favorite. Ses dernier achats ne sont pas parmi les moindres [...]. Grâce à sa volonté expresse [2] sa collection ne connut pas le sort de celle de Gédéon Duval, son rival, [...] qui fut dispersée aux enchères en 1935 ». Sans commentaires.

Les collections des musées de l’Institut sont-elles inaliénables ? Nous ne sommes pas encore parvenu à obtenir une réponse claire. Mais de deux choses l’une : soit elles ne le sont pas - ce qui serait étonnant et témoignerait d’un vide juridique inquiétant - et la vente du 7 avril reste, même légale, un authentique scandale. Soit elles le sont, et l’affaire ne pourra en rester là. Il serait inconcevable que le ministère de la Culture ne réagisse pas à de tels procédés, même s’il n’a pas la tutelle directe de ces musées. L’Institut a déjà cédé aux sirènes de la marchandisation en concédant l’exploitation des certains d’entre eux à des sociétés privées (par exemple Jacquemart-André). Un tel procédé pourrait ouvrir la voie à une jurisprudence dangereuse.
Depuis plusieurs années, au Musée Marmottan, des dessins, dont certains de Boilly, sont exposés en pleine lumière en face des fenêtres, dans une salle du rez-de-chaussée, au mépris de toutes les règles de la muséologie. Les peintures anciennes sont systématiquement occultées au profit des Impressionnistes, nettement plus rentables. Plutôt que de vendre ses collections, le Musée Marmottan devrait peut-être se préoccuper davantage de la conservation et de la présentation de celles-ci.

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