Le patrimoine à Doullens (2) : la Citadelle

Pour notre deuxième article sur Doullens, nous parlerons de la citadelle de cette ville, un monument de très grande taille, et d’une importance historique majeure, symbolique de la sous-protection du patrimoine français, de son état souvent désastreux, et des besoins de financement énorme qu’il implique.


1. Citadelle de Doullens, vue sur les murailles du XVIe siècle
Photo : Didier Rykner
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La création de cette citadelle remonte à François Ier, qui voulait ainsi protéger la frontière avec l’Artois, alors possession des Pays-Bas sous le règne des Habsbourg. L’auteur de cette première citadelle (ill. 1) est un architecte militaire du nom de Robert Mailly. Celle-ci fut ensuite étendue, sous Henri IV, par une nouvelle citadelle construite par Errard de Bar-le-Duc. L’intervention de Vauban n’est en aucune manière attestée ici, la fin des travaux ayant d’ailleurs lieu au milieu du XVIIe siècle. La citadelle de Doullens constitue ainsi un exemple d’architecture antérieure à Vauban, qui inspira d’ailleurs fortement celui-ci, ce qui en fait un témoignage essentiel de l’architecture militaire (ill. 2 et 3).


2. Plan de Doullens et de la citadelle en 1713
Photo : BnF
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3. Vue aérienne de la citadelle de Doullens
Photo : Google Maps
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Au XIXe siècle, une caserne fut construite sur la citadelle, qui fut ensuite transformée en prison pour des prisonniers politiques puis, en 1855, en prison de femmes, définitivement fermée en 1891. Dans la première moitié du XXe siècle, les bâtiments abritent une maison d’éducation pour jeunes filles, arrêtées notamment pour prostitution.
Durant la Première guerre mondiale, la prison devint un hôpital militaire français puis canadien. En 1918, l’hôpital fut bombardé, ce qui fit de nombreuses victimes.
Pendant la Seconde guerre mondiale, la citadelle servit de camp de prisonniers, tandis qu’un immense bunker enterré fut construit où les Allemands prévoyaient d’installer un poste de commandement pour le lancement des bombes V1 et V2 sur l’Angleterre à partir du nord de la France. En 1958, la prison pour femmes, qui avait été rouverte après la guerre, ferma définitivement.


4. Bâtiment en ruine dans la citadelle
Photo : Didier Rykner
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Depuis cette date, et malgré la création en 1974 d’une association des Amis de la Citadelle, le rachat en 1978 par le Département de la Somme et une inscription partielle la même année aux monuments historiques, la citadelle tombe en ruines . Une grande partie des constructions intérieures s’est écroulée (ill. 4), plus ou moins complètement, dont la moitié du palais des gouverneurs qui date du XVIe siècle. Les dégâts qu’avait causé un bombardement pendant la guerre, touchant notamment le pont et la porte royale auquel il menait (ill. 5 à 7) ne sont finalement pas grand-chose en face de cet abandon destructeur. Si la citadelle peut aujourd’hui se visiter, ce sont essentiellement des ruines que l’on peut voir.


5. Entrée de la citadelle
avant la guerre
Carte postale ancienne
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6. Entrée de la citadelle après la guerre
Carte postale ancienne
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7. Ancienne entrée de la citadelle, aspect actuel
Photo : Didier Rykner
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Pourtant, l’importance de ce monument - dont témoigne l’historique à peine esquissé que nous en avons fait - et les qualités architecturales de celui-ci nécessiteraient non seulement un classement de l’intégralité de la citadelle, mais aussi un programme raisonné de sauvegarde qui épargnerait aux restes architecturaux une destruction définitive.
Nous en sommes, hélas, bien loin. Si quelques travaux ont été réalisés, essentiellement des débroussaillages par l’association, ils restent extrêmement modestes. Seul un corps de bâtiment a été restauré il y a quelques années, lors d’un chantier d’insertion, et bien mal d’ailleurs faute d’une surveillance du ministère de la Culture qui n’intervient guère sur des monuments qui sont seulement inscrits.


8. La Maison du Gouverneur
Carte postale ancienne
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9. La Maison du Gouverneur
état actuel
Photo : Didier Rykner
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10. La Maison du Gouverneur
état actuel (on voit que
plus de la moitié s’est écroulée)
Photo : Didier Rykner
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Pourtant, les photographies que nous pouvons publier ici montrent à quel point le site est remarquable et mériterait un meilleur traitement. La maison du gouverneur, ouverte aux quatre vents, apparaît pourtant en état correct lorsqu’on la voit après être entrée dans l’ancienne citadelle. C’est un leurre : la partie que l’on croit deviner derrière les arbres n’existe plus. Elle s’est écroulée complètement et à peine la moitié du bâtiment tient encore debout (ill. 8 à 10) . Tout cela, comme les bâtiments en brique que l’on voit plus loin, était encore en bon état jusqu’aux années 1960 (ill. 11 et 12). À l’exception d’un bâtiment bombardé à l’intérieur de l’enceinte, et du pont d’entrée avec la porte royale, tout était debout après la guerre…


11. Ancienne caserne
Carte postale ancienne
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12. Ancienne caserne, état actuel
Photo : Didier Rykner
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Depuis 2018, le département de la Somme a confié à un Établissement Public de Coopération Culturelle, Somme Patrimoine, la gestion de la citadelle, ce qui va forcément dans le bon sens, d’autant qu’une nouvelle association, La Citadelle, remplaçant celle des Amis de la Citadelle, a été créée en 2017. Le directeur de Somme Patrimoine, Ludovic Moignet, nous a dit avoir engagé dès fin 2018 des travaux de sécurisation anti-intrusion, le lieu étant régulièrement investi les nuits et les week-ends, travaux qui se sont terminés fin 2019 et protège désormais le monument des intrusions sauvages et du vandalisme. Avec l’association, le bunker allemand - un monument en lui-même très intéressant sur le plan historique, à défaut de l’être du point de vue artistique - a été entièrement nettoyé de la quantité de détritus qu’il contenait.


13. Souterrain de la citadelle de Doullens
Photo : Didier Rykner
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14. Souterrain de la citadelle de Doullens
Photo : Didier Rykner
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15. Mitard, état actuel
Photo : Didier Rykner
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Grâce à Somme Patrimoine, le département prévoit désormais des travaux pour réhabiliter certains bâtiments et nettoyer les plantes et les lierres qui se trouvent sur les remparts. Des moutons et des chèvres permettront d’entretenir le site de manière écologique. La citadelle conserve encore tous ses glacis et toutes ses demi-lunes, ce qui est quasiment unique en France, et ceux-ci vont être rendus plus visibles en enlevant les broussailles qui les recouvrent. On y voit aussi les souterrains avec son système défensif dans la muraille de l’ancienne citadelle (ill. 13 et 14).
Mais les moyens financiers sont encore trop réduits. Le budget des premiers travaux, qui concerneront notamment la toiture du mitard (ill. 15) et, dans un premier temps, la stabilisation de la maison du gouverneur, est d’environ 800 000 à 1 000 000 d’euros.

Il est clair que les besoins, après des dizaines d’années d’abandon, sont bien supérieurs. Il est non moins évident qu’une chose urgente à faire est de classer monument historique l’ensemble du site qui, répétons-le, est unique. Si Somme Patrimoine a demandé ce classement, le département propriétaire lui-même nous a indiqué être « en cours de réflexion sur le sujet », ce que nous avouons difficile à comprendre, puisque cela l’aiderait à obtenir des aides de l’État. Celui-ci, par ses services déconcentrés de la DRAC, nous a confirmé qu’il y a « un besoin impérieux d’un projet global bien plus ambitieux » que ce qui a été fait jusqu’à maintenant, et a « demandé qu’aient lieu des travaux d’entretien de toute urgence » pour la maison du gouverneur. On ne peut néanmoins se satisfaire de leur conclusion : « L’État n’étant pas maître d’ouvrage, il ne nous appartient pas de lancer les travaux mais d’alerter, ce qui a été fait. » Il est curieux de penser que l’État ne devrait avoir qu’un rôle « d’alerte » dans la protection du patrimoine qui ne lui appartient pas. Son véritable rôle doit être moteur : incitation, protection monument historique, et si rien n’est fait, action par les moyens que lui donnent la loi : classement et travaux d’office. Il n’est certes plus nécessaire d’imposer des travaux à la citadelle puisque le département semble se réveiller. Mais le classement et une participation aux travaux est de sa responsabilité. On comprend que le ministère ne soit pas trop à l’aise : jusqu’en 1978, c’est l’État qui en était propriétaire, et qui l’a laissé se dégrader irrémédiablement.

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