Le ministre et les abeilles

1. Thomas Dermine
Photo : Voka Kamer van Koophandel Limburg (CC BY-2.0)
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Nous nous plaignons souvent en France, de la faible qualité du personnel politique, et notamment des ministres de la Culture qui se sont succédé ces dernières années. Mais finalement, comparé à certains de nos voisins, nous devrions nous estimer heureux. C’est ainsi que Thomas Dermine (ill. 1), secrétaire d’État du gouvernement fédéral belge, en charge notamment de la politique scientifique et ayant ainsi la tutelle des musées fédéraux (il n’y a pas de ministre de la Culture en tant que tel au niveau fédéral), a pu faire la déclaration suivante, sur la RTBF le 20 novembre dernier, dans l’émission « Opinions » :

« Il y a à Tournai la tombe de Childéric qui est, je ne sais pas très bien à quelle période de l’histoire, plus ou moins au Moyen Âge ou avant le Moyen Âge, un monarque franc ou d’une dynastie locale de l’époque, qui a été enterré à Tournai. On a trouvé sa tombe et il y avait dans sa tombe toute une série d’abeilles apparemment assez massives en or qui ont été enterrées avec lui et bien sûr volées par les Français, je pense au moment de la Révolution française ou d’une des campagnes napoléoniennes. Et donc on a fait une demande officielle au nom du gouvernement fédéral, comme quoi parfois on s’amuse aussi, pour que la Bibliothèque nationale de France restitue, a minima temporairement ces abeilles en or pour qu’elles puissent être exposées à Tournai où elles ont été enterrées pendant des centaines d’années. Voilà. Désolé de cette petite disgression (sic). »


2. Abeilles de Childéric,
Or cloisonné, grenat - 1,6 x 0,45 cm
Paris, Bibliothèque nationale de France
Photo : BnF
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3. La vitrine de la BnF où se trouvent les abeilles massives
Photo : Didier Rykner
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Ce ministre, qui parle de ce qu’il ne connaît pas, fait preuve d’une inculture fascinante. Il ne connaît pas Childéric (le père de Clovis, à l’origine de la dynastie des Mérovingiens). Il ne connaît pas non plus les abeilles qui se trouvaient dans la tombe de Childéric, et qui n’ont rien de massives : les deux qui sont encore conservées (ill. 2) mesurent 1,6 cm de long et, comme on le voit ici dans la vitrine de la Bibliothèque nationale de France (ill. 3), il faut les chercher. Il ne connaît pas le sort du trésor de Childéric, et il ne se prive pas de venir diffamer les Français qui ont « bien sûr volé » ce précieux trésor.
Sauf que ces abeilles n’ont pas été volées par les Français, et encore moins au moment de la Révolution française ou de l’Empire. Leur histoire est facile à connaître, on la trouve partout sur internet, par exemple ici sur le site « Connaître la Wallonie ». Elles ont été découvertes en 1653, puis emportées par le gouverneur des Pays-Bas à Vienne et offertes à Louis XIV par l’empereur Léopold Ier. Il s’agit donc d’un cadeau des Habsbourg aux Bourbons, mais il s’agit là encore de dynasties de monarques dont le ministre n’a sans doute jamais entendu parler, comme il n’a jamais entendu parler des Mérovingiens.

Que celui-ci réclame donc la « restitution » de ces deux abeilles pourrait faire sourire. Sauf qu’il s’agit du même ministre qui, en Belgique, s’agite tous azimuts pour accélérer d’autres « restitutions », tout aussi fantaisistes. Son grand rêve semble être de vider le musée de Tervuren des œuvres qu’il contient. Il devrait demander un rapport à Bénédicte Savoy, ces deux là sont faits pour s’entendre.

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