Opération d’abandon des armes : attention au vandalisme !

Après le ministère de l’Agriculture et la vente en catimini et à prix bradé d’un mobilier historique de Grignon (voir l’article), est-ce au tour du ministère de l’Intérieur de nous gratifier d’un gros scandale patrimonial comme l’État en a hélas le secret ? Il est certainement trop tôt pour l’affirmer, mais pas trop tôt pour donner l’alerte, car tout pourrait aller très vite.


1. Photo diffusée sur Twitter par la préfecture du Calvados
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Du 25 novembre au 6 décembre en effet, ce dernier ministère organisait une « Opération nationale d’abandon simplifié d’armes à l’État ». Nous n’en avons eu connaissance qu’aujourd’hui grâce à une série de tweets. Il s’agissait de proposer aux Français détenant irrégulièrement des armes (souvent par héritage), soit de les déclarer et de les enregistrer, soit de les abandonner, sans qu’aucune poursuite ne puisse être engagée. Le 2 décembre, Gérard Darmanin s’est publiquement félicité du succès de l’opération. Plus de 150 000 armes ont ainsi été abandonnées auprès de la police ou de la gendarmerie. La question de leur devenir se pose, et certains journaux ont expliqué que ces armes seraient détruites. Mais parmi elles - et c’est inévitable sur le nombre - se trouvent des armes de collection, et très probablement, sur un total aussi considérable, des armes historiques qu’il ne faudrait en aucun cas détruire mais qui devraient être remises à des musées.

Nous avons tout de même pu trouver [1], une vidéo de BFMTV où Jean-Simon Mérandat, Chef du Service Central des Armes et Explosifs au Ministère de l’Intérieur (CSEA), explique que « certaines d’entre elles, qui ont une valeur historique, patrimoniale particulière, les experts du CSEA vont les expertiser pour ensuite les orienter vers un ou plusieurs musées ».
Très bien donc… Sauf que ces experts [2] ne semblent, si l’on se fie à la présentation du service sur le site du ministère de l’Intérieur, n’avoir aucune compétence en armes anciennes, ce qui semble d’ailleurs logique.


2. Photo diffusée sur Twitter par la police du Bas-Rhin
Peut-être ce pistolet est-il ordinaire (nous n’en savons rien car nous ne sommes pas du tout connaisseur en armes) mais il est certain qu’il s’agit au moins d’une arme de collection
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Nous avons contacté le Musée de l’Armée qui a été très réactif et nous a fait la réponse suivante : il exerce « les missions dévolues au Grand Département militaire », ce qui signifie qu’il est l’interlocuteur naturel pour ce type de problématique. Il précise par ailleurs être « en relation régulière avec certains commissariats et quelques tribunaux de grande instance qui, lors de dépôts, de saisies ou une fois des affaires judiciaires jugées, s’adressent à nous pour examiner des armes susceptibles d’intéresser les collections nationales. Le musée de l’Armée envoie alors sur place ses experts armement afin d’opérer un tri. Les armes qui ont un intérêt du point de vue de l’histoire, des techniques ou de l’art, entrent dans nos collections ou sont proposées à d’autres musées de France. Les autres sont vouées à la destruction. »

Pourtant, il nous a dit ne pas avoir été consulté pour cette opération dont manifestement nous lui apprenions l’existence. On peut se demander aussi si le ministère de la Culture était au courant, mais nous n’avons pas encore reçu de réaction de sa part. Les vrais experts donc ne sont manifestement pas dans la boucle, pas davantage que ceux du Mobilier national n’avait été consultés pour le mobilier de Grignon estimé par les « experts » des Domaines, qui dépendent du ministère de l’Économie et des Finances, lui aussi incompétent pour les questions patrimoniales.


3. Photo diffusée par la préfecture des Pyrénées-Atlantique
Qui va trier ? En combien de temps ? Certaines armes qui
peuvent paraître banales peuvent être rares...
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Faisons par ailleurs un petit calcul : imaginons qu’il faille à un expert une minute par arme pour décider de son sort (évidemment, ce temps est probablement sous-estimé), soit 60 armes par minute. Il faudrait alors en supposant que la collecte, aujourd’hui à plus de 150 000 armes, atteigne le 6 décembre [3] le nombre de 160 000, 76 semaines de 35 heures pour un seul expert. S’agissant d’armes à stocker, on peut imaginer que le délai de conservation prévu par le ministère de l’Intérieur soit court, disons deux semaines avant leur destruction (c’est très probablement beaucoup moins), il faudrait donc pas moins de 38 experts. Et en supposant que l’on dispose de 38 experts compétents en armes anciennes (nous nous permettrons d’en douter) disponibles immédiatement à temps plein, il reste encore une question logistique : les armes ont été abandonnées dans des centaines, voire des milliers de lieux de dépôt (gendarmeries, postes de police, préfectures…). Comment amener les armes aux experts (ou l’inverse) ?

Cela pose aussi une autre question : parmi ces armes, certaines qui n’intéresseront peut-être pas les musées n’en sont pas moins des œuvres de collection. Comment pourrait-on détruire ces objets dont il est assez peu probable qu’ils servent au grand banditisme ou à des opérations terroristes. Les vendre aux enchères via les Domaines (mais cette fois avec une véritable expertise) ferait les bonheurs des collectionneurs et rapporterait de l’argent à l’État qui en a tant besoin.

On comprend donc que tout cela, qui n’a évidemment pas été planifié, est un gigantesque casse-tête pour une question dont on doute que le ministère de l’Intérieur veuille la résoudre puisqu’il ne se l’est pas réellement posée. Il faut espérer que le Musée de l’Armée, donc le ministère de la Défense, et le ministère de la Culture pourront dès lundi s’emparer sérieusement de cette affaire afin d’éviter qu’elle ne se transforme en un grand fiasco patrimonial. Pour l’instant, il est à peu près certain qu’aucune arme n’a été détruite : assurons-nous qu’aucune arme historique ou de collection ne le soit.

Didier Rykner

Notes

[1Une nouvelle fois grâce à Twitter qui, lorsqu’il ne sert pas de déversoir à la haine en ligne ou à la diffusion de théories complotistes, peut également être une source d’information remarquable.

[2Nous avons interrogé Jean-Simon Mérandat par mail, ainsi que le ministère de l’Intérieur, et divers services de police, de gendarmerie, ou des préfectures, via des messages sur Twitter, mais il est vrai que nous somme samedi et nous n’avons pas encore eu de réponse.

[3Date à laquelle elle se terminera en région parisienne.

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