Interview de Philippe Bélaval : « le CMN est au service des monuments »

Le Centre des Monuments Nationaux est devenu un acteur de plus en plus important pour la sauvegarde du patrimoine, notamment depuis sa reprise de l’hôtel de la Marine et du château de Villers-Cotterêts. Nous avons interrogé son président, Philippe Bélaval, sur ces deux projets ainsi que sur quelques autres sujets relatifs à son actualité.

1. Philippe Bélaval
Président du Centre des
Monuments Nationaux
Photo : Didier Rykner
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Où en est le projet de restauration et d’ouverture de l’hôtel de la Marine (ill. 2) ?

Le chantier se déroule normalement, toujours avec une ouverture prévue fin 2019, ou au plus tard début 2020. Il y aura plusieurs parcours de visite. Un premier, généraliste, qui concernera les salons d’apparat et la loggia, un autre, plus spécialisé (mais il sera possible de faire les deux à la suite), pour les appartements de l’intendant, avec un réameublement dans leur dernier état avant la Révolution, celui de Thierry de Ville-d’Avray. Une seule pièce sera remise dans son état Fontanieu, c’est-à-dire celui du premier intendant à s’installer au Garde-Meuble, avant Ville-d’Avray.

Avez-vous pu récupérer les meubles dispersés provenant de l’ancien Garde-Meuble ?

Nous avons récupéré la commode de Gaudreau que M. et Mme Macron ont rendu au Mobilier National pour l’hôtel de la Marine dès leur arrivée à l’Élysée où elle était conservée.. Nous sommes par ailleurs en discussion avec le Louvre et le Mobilier National pour d’autres meubles. Nous avons également formulé une demande de prêt d’au moins une partie sinon la totalité du mobilier de la chambre de Thierry de Ville-d’Avray qui est conservé au Musée de Boston, afin qu’on puisse l’avoir au moins pour la réouverture. Sur tous ces points, j’espère que je pourrai vous en dire davantage prochainement. L’idée est de faire une reconstitution au plus près possible du mobilier authentique de l’époque, sans cartels, avec des mises à distance réduites au strict nécessaire, dans une optique d’immersion dans des appartements fastueux de la fin du XVIIIe. Nous aurons aussi deux autres parcours très importants : la galerie d’exposition qui couvrira 400 m2 au premier étage dans l’ancienne galerie des tapisseries du garde-meuble, à droite en haut de l’escalier d’honneur. Par ailleurs, à l’entresol, l’ancien appartement de Madame de Ville-d’Avray sera également aménagé et remeublé. L’espace étant très réduit, il sera visitable uniquement par groupes, sur réservation. L’idée est de reconstituer un appartement du XVIIIe siècle avec un mobilier d’usage, qui viendra pour l’essentiel du Mobilier National, complété par des acquisitions. On pourra s’y asseoir et le toucher. Nous avons également pour projet, si cela est possible, de reconstituer la table volante, mais c’est une question très complexe.

2. Un des salons de l’hôtel de la Marine
Photo : Didier Rykner
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Les visites seront-elles libres ?

Celles des salons d’apparat et de l’appartement de l’intendant, oui, mais l’appartement de Mme de Ville-d’Avray sera uniquement ouvert pour des visites guidées et éventuellement des privatisations. À ces parcours de visite s’ajouteront un salon de thé au premier étage, un restaurant et un café au rez-de-chaussée. Les concessionnaires - un pour le salon de thé, et un autre pour le restaurant et le café - seront sélectionnés en juillet.

Est-ce que les locations de bureau qui vous permettront de rembourser les emprunts souscrits pour la restauration fonctionnent bien ?

Oui, il y a beaucoup d’intérêt, et on bénéficie notamment du Brexit dans cette affaire, de nombreuses sociétés partant de Londres pour s’installer à Paris. Nous cherchons également du mécénat mais il est trop tôt pour annoncer le nom des mécènes.

3. Château de Villers-Cotterêts
Photo : Didier Rykner
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Parlons maintenant du château de Villers-Cotterêts (ill. 3 et 4) qui vient d’être affecté au CMN par le Président de la République. Que pouvez-vous déjà nous en dire ?

Nous sommes en train de travailler à la fois à la restauration et à la définition du projet de « laboratoire de la francophonie » souhaité par le Président. Olivier Weets, l’Architecte en chef des monuments historiques procède à des sondages et fait un diagnostic complet. Son étude doit être terminée au mois de juillet afin d’être soumise à la rentrée à la commission nationale du patrimoine et de l’architecture. Nous voulons avoir une approche complète de la « patrimonialité » du château. Certains sondages ont permis de retrouver de petits éléments inattendus de décoration, mais à ce stade il n’y a pas eu de découverte majeure.

Quels seront les sources de financement et le calendrier ?

Le financement est en cours de discussion avec les ministères concernés. À ce stade je ne peux pas apporter de précision sinon que ce mode de financement sera à la fois public et privé, et international. Il est aussi trop tôt pour parler du calendrier, nous sommes en train de caler tout cela.

On parle de laboratoire de la francophonie, mais qu’est-ce que cela veut dire, exactement ?

« Laboratoire de la francophonie » renvoie à un lieu créatif, innovant et vivant. Il ne s’agit pas du tout de se borner à une présentation de l’histoire de la langue française, de l’ordonnance de Villers-Cotterêts ou de l’histoire de la francophonie. Le château doit être aussi un lieu de rencontre entre artistes, intellectuels, spécialistes de la langue, chercheurs en pédagogie, etc. Nous devons créer un foyer d’invention autour de la promotion de la langue française et de sa diffusion dans le monde. Il y aura une présentation muséographiée en direction notamment des publics scolaires, même si a priori il n’y aura pas de collection. Le château a été construit par François Ier, et François Ier, c’est aussi le dépôt légal. Nous devrons donc parler aussi du texte, des manuscrits, des imprimés, de l’accès à la connaissance, ce sont des thèmes très vastes qui ont besoin d’être précisés avec nos partenaires. Par exemple, parler de l’histoire de l’imprimerie, du livre et de la diffusion de la pensée par les bibliothèques est impossible sans le concours de la Bibliothèque nationale.

4. Château de Villers-Cotterêts
Photo : Didier Rykner
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Où se situera ce laboratoire de la francophonie ?

Il faut le déterminer précisément. Je le verrais plutôt autour du quadrilatère du logis royal, mais c’est trop prématuré pour l’affirmer.

Ne serait-il pas pertinent, pour augmenter l’attractivité du lieu, de renforcer l’offre en y exposant certaines collections actuellement non montrées par les musées ?

Je ne sais pas à quelle collection vous faites allusion mais je ne suis fermé à rien, le projet doit être précisé. Il est certain qu’il faudra avoir des éléments de forte attractivité pour attirer le public. Notons cependant que nous sommes à moins de 15 km de Pierrefonds, où le château attire 150 000 visiteurs par an. Il faudrait qu’au moins les visiteurs de Pierrefonds puissent se rendre aussi à Villers-Cotterêts et aient envie d’y venir. Des interrogations planent encore sur l’accès en transports en commun, j’ai rencontré le conseil départemental et nous sommes en train de réunir et motiver tous les partenaires potentiels autour de ces sujets.

Parlons d’autres projets potentiels. Vous m’aviez dit être éventuellement candidat à la reprise de Château-Gaillard, et du château de Gaillon. Tout cela ne pourrait-il pas faire un circuit avec le futur Musée Poussin aux Andelys ?

La transformation de l’hospice des Andelys, que je suis allé visiter à la demande de M. Lecornu, représente un gros investissement. La collection Rosenberg qui doit y être conservée concerne surtout un public spécialisé, je pense qu’il faut structurer une offre globale, effectivement. Pour Château-Gaillard, il y a eu un moment où la mairie des Andelys semblait attendre beaucoup du CMN mais cela semble moins d’actualité. Le CMN est au service des monuments, si les propriétaires trouvent une solution sans nous, c’est aussi très bien. Quand je vois un monument menacé ou en déshérence, je rappelle aux intéressés que le CMN est là pour aider. C’est pour cette raison que j’avais investi sur le territoire normand. Mais s’ils n’ont pas besoin, ce n’est pas du tout un problème. Quant à Gaillon, c’est un sujet difficile, et dans l’immédiat Villers-Cotterêts constitue déjà un défi important qui occupera beaucoup nos équipes. Il nous serait compliqué de mener les deux de front.

Parlons maintenant du sujet qui fâche, en tout cas qui me fâche, et je ne suis pas le seul : votre projet élaboré avec Dominique Perrault pour l’Île de la Cité. Est-ce au point mort comme je le souhaite ?

Il faut distinguer deux choses. Tout d’abord, et c’est inévitable, le processus interministériel d’arbitrage sur l’affectation des locaux libérés au sein du Palais de Justice par le tribunal de grande instance. Nous sommes plus que jamais candidats à l’attribution d’espaces permettant de réunifier le parcours Sainte-Chapelle et Conciergerie, ce qui permettra un meilleur accueil des visiteurs. Si je suis renommé en juin prochain, ce sera un de mes objectifs prioritaires. Quant au reste du projet, il n’a pas du tout progressé.

Et c’est tant mieux, j’espère que cela restera comme cela. Un autre projet pour la Conciergerie semble vraiment inutile, c’est cette installation avec l’eau de la Seine qui parcourt la Conciergerie. À quoi bon et pour quel coût ?

Il ne s’agit que d’une installation, l’intervention d’un artiste. Cela coûte ce que coûte une installation d’art contemporain, pas très cher sur le plan budgétaire, mais bien davantage en démarches administratives. Cela ne met pas en péril les finances de l’établissement, rassurez-vous et ça a un impact très positif sur le nombre de visiteurs, car cela crée un effet de curiosité. Nous en avons besoin car la Conciergerie est deux fois moins visitée que la Sainte-Chapelle toute proche.

Mais sur le coût, vous ne m’avez pas répondu et vous bottez en touche. Combien, et avec quelles sources de financement ?

Je redis que c’est un coût absolument dans la norme de celui de ce type de manifestations, sans doute plus bas même, en regard duquel il faut mettre les ressources supplémentaires encaissées : depuis le début de l’exposition, la fréquentation de la Conciergerie a augmenté de 10% par rapport à la période analogue de l’année dernière.

5. Château de Lunéville
Photo : Didier Rykner
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J’aurais aimé un chiffre précis... Pour conclure, y-a-t-il d’autres monuments qui pourraient rejoindre le giron du CMN ?

Nous allons être candidats à l’appel à projet lancé par le département de Meurthe-et-Moselle pour Lunéville (ill. 5). Pour le moment, il ne s’agit que d’une mission de conseil. Il y a beaucoup d’endroits où nous pourrions intervenir si on nous le demandait. L’établissement reste disposé à examiner toutes les situations. Et, par exemple, j’ai indiqué au ministère que le Centre des monuments nationaux était tout à fait en mesure de reprendre le pavillon du Butard, s’il le demandait. Il y aurait une véritable synergie avec Saint-Cloud.

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