Vente du Musée de la Marine de Marseille : contre-vérités et rétropédalages

Vue du Musée de la Marine de Marseille
avant sa fermeture en 2018
Photo : Dominique Milherou/tourisme-marseille.com
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Jean-Luc Chauvin, le président de la CCI AMP, qui avait refusé de nous répondre pour l’article que nous avons consacré à la vente prochaine des collections de l’ancien Musée de la Marine, a donné hier une interview à France Bleu [1]. Une interview à peu près aussi surréaliste que le communiqué de presse qu’il nous avait envoyé et que nous avions publié. S’il semble témoigner - et c’est une bonne nouvelle - d’un début de rétropédalage, il multiplie les contre-vérités les plus flagrantes. On en jugera avec cette étude de texte.

Nous avons reproduit ici un très large verbatim de l’interview. Nous commentons au fur et à mesure.

« La situation, c’est qu’aujourd’hui la chambre de commerce et d’industrie dispose d’un peu plus de 50 000 œuvres qui ne sont visibles de personne, qui sont stockées dans des pièces fermées, et pour lesquelles le temps fait son œuvre et abîme ces pièces. »

Une fois de plus, le président de la CCI AMP se prévaut de ses propres turpitudes : qui a fermé le musée, certes petit, mais qui existait, dans la Bourse du Commerce, en 2018, sinon la CCI AMP dont le président n’était autre que, déjà, Jean-Luc Chauvin ? Qui a la responsabilité de la conserver dans de bonnes conditions de conservation, sinon son propriétaire, la CCI AMP ? Qui, donc, est responsable du fait qu’elles s’abimeraient, si tel était le cas, sinon la CCI AMP ?

« Nous avons donc décidé dans une stratégie globale de permettre, de faire en sorte que les Marseillais, que les Marseillaises, que les Provençaux puissent à nouveau voir ces œuvres. Donc, on a mis en place une stratégie avec trois axes. Le premier axe, c’est d’évaluer une partie de notre patrimoine, patrimoine privé qui a été acheté par la chambre de commerce, à travers ce marché qui a été largement critiqué, déformé ou autre, d’évaluer ce patrimoine pour savoir pour ces 187 œuvres seulement sur 50 000, un peu plus de 50 000, quelle était la valeur. »
Un peu plus loin, il ajoute : « D’abord, personne n’a dit qu’elles allaient être vendues. Dans un premier temps il y a un marché qui est passé pour les évaluer avec une possibilité de vendre éventuellement pour entretenir d’autres choses. Mais ce n’est pas la solution qui est aujourd’hui arrêtée. »

Ce que dit Jean-Luc Chauvin est faux, entièrement faux. Oui, quelqu’un a dit que les œuvres allaient être vendues, et c’est la CCI AMP elle même, dans le marché soi-disant « déformé ou autre ». Il n’y est en effet absolument pas question uniquement d’y évaluer 187 œuvres seulement [2] sur un peu plus de 50 000 sans avoir par ailleurs décidé de leur vente. Il suffit pour cela de lire le règlement de la consultation que nous joignons à cet article. Ce marché public est bien titré, en toutes lettres, et très clairement : « Vente d’objets historiques et d’objets décoratifs : prestation de prisées et de ventes aux enchères publiques ». Les objets qui doivent être « prisés et vendus » sont précisés de manière très large dans l’objet : il s’agit comme nous l’avions déjà dit, « notamment » (ce qui n’exclut pas les autres), de pas moins d’environ 17 700 peintures, gravures, estampes, objets historiques divers, objets d’art contemporain et affiches publicitaires. Soit la totalité des collections du musée à l’exception des 9 000 cartes et 300 000 photographies qui ne sont pas citées expressément mais qui n’en sont pas exclues explicitement [3]. Il est donc bien question de vendre au moins 17 700 œuvres qui forment le cœur du musée, et dans un premier temps, de manière ferme, une première liste d’environ 187 objets. Si la durée initiale du contrat est fixée à un an, il est prévu trois reconductions tacites pour une « durée globale d’exécution des prestations », de quatre ans (jusqu’au 15 mai 2026). Nous aimerions comprendre comment la vente de 187 objets pourrait durer quatre ans… Sachant que le commissaire-priseur retenu se rémunérera sur « les émoluments afférents à l’adjudication » (et les frais d’enlèvement, de transport et de stockage des objets mis en vente par la CCIAMP) sans qu’aucune avance ne soit prévue, nous aimerions comprendre comment sera rémunéré ce prestataire si, comme le dit, Jean-Luc Chauvin, aucune vente n’était décidée…
Comment, d’ailleurs, peut-on lancer un marché public pour quelque chose qui ne serait pas « aujourd’hui arrêté » ? Nous aimerions bien le comprendre.

Jean-Luc Chauvin poursuit l’interview en expliquant que son projet est également de « créer un comité du patrimoine économique et culturel de la chambre de commerce qui serait composé d’experts pour nous accompagner dans les décisions à prendre et [..] surtout […] de constituer un véhicule juridique, une sorte de fonds de dotation, de fondation du patrimoine économique et culturel de la chambre de commerce et d’industrie de Marseille Provence qui, lui, viendrait permettre de faire un appel aux entreprises, un appel aux forces économiques, un appel aux collectivités du territoire pour financer : 1. la remise en état et 2. surtout l’exposition de ces collections ».

Il tente donc ici de rétropédaler, prétendant vouloir créer un comité chargé d’accompagner la CCI AMP et même, sans rire, de vouloir créer « une sorte de » fonds de dotation ou de fondation… pour « remettre en état les collections » et les exposer. Qui peut croire un instant que cela était prévu dans ce projet de vente initial ? Cela est d’autant moins crédible que pas un instant auparavant, et même pas dans le communiqué diffusé le 4 mars dernier, dans lequel il justifiait la vente des collections, il n’était question de les restaurer ni de les exposer, ni de la création d’aucune « sorte de » fonds de dotation ou de fondation.

Il poursuit : « Avec le musée de Marseille et avec le MUCEM, on travaille depuis des années. En réalité, et la polémique notamment qui est née, on a fermé le musée de la Marine faisait 300 m2 et il exposait à peu près 160 œuvres. Il faisait 7 entrées par jour. Or on a 50 000 œuvres. On travaille depuis des années pour trouver des solutions. Pour l’instant les musées viennent, prennent une œuvre de temps en temps dans une exposition. On a à ce jour plus de 47 œuvres qui sont réparties dans le monde entier. Mais vous vous rendez compte : 47 œuvres sur 50 000 ? Et donc on a travaillé à des projets, notamment le projet d’un ancien d’une famille d’armateurs marseillaise en tout cas de la réparation navale, Bruno Terrin, qui voulait faire un grand musée de la Marine à Marseille. On s’était mis d’accord, on l’a accompagné, on pouvait lui prêter des œuvres mais il a besoin de plus de 10 000 m2. Il n’est jamais arrivé à trouver une solution avec les collectivités ou les différentes partenaires. Donc aujourd’hui la difficulté c’est qu’il faut absolument trouver une solution pour remettre en valeur ces œuvres. »

300 m2 ? Faut-il croire, maintenant que le musée n’existe plus, à la réalité de ce chiffre donné par le président de la CCI AMP ou plutôt celui de 700 m2 (deux fois 350 m2), donné par cet article de Madeinmarseille en 2019, soit plus du double ? Peu importe à vrai dire, car sa taille était bien le résultat d’une politique délibérée de la Chambre de commerce. Remarquons que le chiffe de 7 visiteurs par jour semble également faux puisque un article de Marsactu du 3 mars 2018, qui annonce la fermeture prochaine, parle de 21 000 visiteurs annuels, soit en moyenne environ 70 visiteurs par jour, ce qui est peu, mais dix fois supérieur à ce qu’il annonce. Il oublie par ailleurs de citer les expositions temporaires : le même article de Marsactu rappelle qu’en 2017, un an avant sa fermeture, l’exposition Mémoire à la mer avait totalisé 55 000 visiteurs, ce qui est loin d’être négligeable. Un peu plus loin dans l’interview, le président de la CCI AMP s’interroge : « est-ce que ça sert à quelque chose d’avoir un patrimoine que personne ne voit » Mais qui a fermé le musée, rendant ainsi impossible de montrer les collections, et d’organiser des expositions temporaires ? Nul autre que lui.
Même avec des surfaces d’exposition réduites, le Musée de la Marine occupait une place dans le paysage des musées marseillais, et s’il fallait une évolution ce n’était évidemment pas sa fermeture, mais bien son agrandissement, sur place ou en d’autres lieux. Quant au projet de PAMM (Patrimoine Maritime en Méditerranée) mené par Bruno Terrin, nous en avons parlé dans notre précédente brève, avec les réserves que nous pouvons y apporter : et non seulement le lieu est trouvé comme ce dernier nous l’a confirmé (l’ancienne gare maritime internationale de La Major), mais il s’oppose fermement à toute vente des collections du musée.

À une question de la journaliste l’interrogeant sur la fierté que l’on devrait avoir de ce patrimoine, Jean-Luc Chauvin répond : « On en est très fier, mais cela fait des années que tous les défenseurs du patrimoine ont oublié que ce patrimoine existait et au moment justement où on veut permettre de le remettre en vision, de le remettre en état pour le remettre en valeur, qu’on cherche à créer un véhicule juridique qui permette de faire appel au financement pour financer éventuellement des locaux, pour faire un musée, le musée à Marseille que Marseille mérite pour mettre ces 50 000 œuvres et pour avancer, un certain nombre de grincheux qui ne disent rien depuis des années alors que ce patrimoine est maintenu inerte depuis des décennies se manifestent. »
Un peu plus loin, il en rajoute encore : « Je suis plus étonné que depuis des années personne n’ait jamais dit que ce patrimoine d’exception dont notre propre conservateur retraité, jeune retraité depuis deux ans dit que c’est un patrimoine presque mondial que personne ne se soit ému depuis des générations qu’ils soient restés dans des placards et au moment justement où on veut trouver des solutions pour le sortir des placards le remettre en état et permettre aux Marseillais et aux Provençaux de venir le découvrir, tout le monde est ému. »

Voilà l’une des plus grosses contre-vérités assénées par le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie : prétendre que les « défenseurs du patrimoine » ne se sont jamais intéressés à celui-ci. Car dès la fermeture du musée, de multiples voix se sont fait entendre pour la dénoncer, dont une pétition lancée quelques mois après en 2019 qu’on peut encore trouver en ligne. Les articles de presse avaient d’ailleurs été nombreux pour regretter que ces collections ne soient plus visibles. Mais personne ou presque ne pensait que la Chambre de commerce pourrait envisager de vendre des œuvres (la première vente de 2009 avait été assez discrète) et le projet de PPAM servait de paravent pour laisser croire qu’une solution pouvait être trouvée pour la conservation des collections.

Le président de la CCI conclut son interview ainsi : « je trouve à tout ça un point positif aussi, pour conclure, c’est que nos collectivités locales se disent très intéressées. On va faire appel dans les jours qui viennent aux collectivités locales pour qu’elles puissent à la fois financer ce musée digne qu’il doit y avoir à Marseille pour le patrimoine maritime et de l’autre côté la remise en état de ces œuvres. » Désormais donc, l’État, la Région et la Ville doivent prendre leurs responsabilités et organiser les conditions d’une conservation définitive de ces œuvres et de leur présentation au public.

Didier Rykner

Notes

[1il a également donné une interview à Destimed que l’on peut lire ici]. Il y dit à peu près les mêmes choses…

[2Pourquoi, d’ailleurs, ces 187 œuvres précisément, et pas d’autres ?

[3Nous avions écrit dans notre premier article que le fonds comprenait 300 000 photographies. On lit ailleurs qu’elle ne seraient que 20 000. Le président de la CCI parle dans son interview à Destimed cité plus haut de « 300 000 tirages et négatifs de photographies ou plaques de verre dont 18 500 numérisés ; 60 000 photos dont 30 000 numérisées… ». On ne comprend donc pas bien de quoi il parle quand il avance un nombre d’environ 50 000 œuvres, à moins qu’il ne compte pas les photographies comme des œuvres.

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