Une église Art déco menacée de démolition à Saint-Quentin

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L’Art déco est décidément le patrimoine le plus menacé en France comme nous ne cessons de le démontrer, article après article. Des fleurons de notre patrimoine disparaissent ainsi sans que cela n’émeuve beaucoup de monde.
Le 30 novembre prochain, une vente « sur désignation » a alerté un de nos lecteurs qui nous en a aussitôt fait part. Il s’agit en effet de céder des vitraux des années 30 du maître verrier F. Schutze, originaire de Lille (ill. 1 et 2), sur lequel nous n’avons trouvé aucune information. Cette annonce de vente est accompagnée de la mention suivante : « L’acquéreur s’engage à démonter à ses frais les verrières, dans les deux mois qui suivent la vente. La dispersion des vitraux est faite en accord avec l’Evêché qui remettra à l’acquéreur un certificat. » Car l’église, on l’apprend également à la lecture du dépliant, doit être détruite en février 2022…


1. F. Schutze
Saint Louis, Notre-Dame de France,
Sainte Jeanne d’Arc
, 1937
Vitraux
Saint-Quentin, église Sainte-Thérèse
Photo : Chayette-Cheval
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2. F. Schutze
Saint Éloi, Saint Cœur de Jésus,
Saint Quentin
, 1937
Vitraux
Saint-Quentin, église Sainte-Thérèse
Photo : Chayette-Cheval
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Nous avons appelé le diocèse de Soissons qui nous a expliqué que cet édifice, construit entre 1934 et 1937 par l’architecte Saint-Quentinois Narcisse Laurent, pour remplacer une église détruite pendant la guerre, aurait selon lui été construite en béton de mauvaise qualité, et qu’elle demandait beaucoup de travaux pour sa mise aux normes de sécurisation et sa restauration. Elle a donc été désacralisée en 2010, et depuis cette date, le diocèse a tenté de retrouver des repreneurs qui la conserveraient, sans succès. Quatre compromis de vente auraient été signés, qui proposaient tous de conserver l’église, et qui auraient à chaque fois échoué en raison du coût de la restauration, et pour le dernier en raison de la crise sanitaire qui aurait dissuadé les banques d’accorder le prêt à l’acheteur. Le diocèse va donc le céder, via Édouard Denis Immobilier, à l’OPAL, Office Public de l’Habitat de l’Aisne, un organisme public donc, qui souhaite la démolir pour construire des HLM.


3. Narcisse Laurent
Église Sainte-Thérèse, 1934-1937
Saint-Quentin
Photo : Diocèse de Soissons
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Soyons clair : démolir un édifice d’une telle qualité architecturale est inadmissible. L’église, extérieurement, avec son dôme et sa façade (ill. 3), est une interprétation Art déco d’une église baroque. Comme le prouvent les quelques photographies que nous pouvons publier ici, force est de constater que l’intérieur (ill. 4 à 6) est un chef-d’œuvre de l’architecture Art déco [1].


4. Narcisse Laurent
Église Sainte-Thérèse, 1934-1937
Saint-Quentin
Photo : Diocèse de Soissons
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Saint-Quentin, comme l’explique cette vidéo où l’on entend notamment la maire, Frédérique Macarez, est l’une des villes les plus importantes pour l’Art déco en France, avec Reims, toutes deux ayant en grande partie été reconstruites dans ce style après la Première guerre mondiale. Si la commune n’est pas propriétaire du monument, puisque celui-ci a été construit après la loi de 1905, elle ne peut s’en désintéresser. Le diocèse - qui affirme bien travailler en collaboration avec la municipalité - nous a informé que celle-ci avait « manifesté son intérêt pour sauver les vitraux ». Mais au-delà des vitraux, c’est bien l’église qu’il faut sauver, qui ne peut par ailleurs exister sans ses vitraux.


5. Narcisse Laurent
Église Sainte-Thérèse, 1934-1937
Saint-Quentin
Photo : Diocèse de Soissons
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6. Narcisse Laurent
Église Sainte-Thérèse, 1934-1937
Saint-Quentin
Photo : Diocèse de Soissons
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Nous avons contacté la DRAC Hauts-de-France qui nous a fait la réponse suivante [2] : « En lien avec la sous-préfecture de Saint Quentin et la ville, une alerte a été lancée a l’attention de l’évêché sur le devenir de l’église Sainte-Thérèse de Saint-Quentin et la vente des vitraux. La ville est riche de son patrimoine Art déco - accompagné par la DRAC. Une demande de protection peut être instruite dans des délais courts en CRPA et nous pourrions l’envisager, la DRAC étant particulièrement engagée sur la Première reconstruction ».

Contrairement à l’affaire de la chapelle Saint-Joseph de Lille, de sinistre mémoire, rien pour l’instant n’est irrémédiable car le permis de démolir n’a pas été délivré. Cette délivrance étant une condition suspensive du permis, rien n’interdit à la DRAC de s’y opposer par l’intermédiaire, s’il le faut, d’une instance de classement.
Selon un article de L’Aisne Nouvelle, du 24 octobre 2016, alors qu’il n’était pas encore question de démolir l’édifice, la restauration de l’église se monterait à 350 000 €. Même s’il faut sans doute mettre à jour ce montant, qui peut croire qu’il est impossible de trouver une somme comme celle-ci pour conserver un monument comme celui-ci ?

Va-t-on enfin arrêter de démolir des églises en France ? Va-t-on enfin interrompre les démolitions des bâtiments Art déco ? Rappelons que le maire de Saint-Quentin était encore récemment Xavier Bertrand, aujourd’hui président de la région Hauts-de-France et candidat à la candidature pour la présidence de la République. Il nous paraît inconcevable qu’il puisse s’en désintéresser. Il est temps que le ministère de la Culture, la région et la ville prennent leurs responsabilités et sauvent cet édifice qui devrait être protégé au titre des monuments historiques.

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