Le patrimoine parisien dénaturé par la publicité

Le règlement local de publicité parisien, même s’il est moins strict que le code du patrimoine (ce qui revient à dire qu’il est possible, à Paris, de déroger à la loi commune avec l’accord de la mairie) ne va tout de même pas jusqu’à autoriser la publicité sur les façades d’immeuble dans un site patrimonial remarquable (nouvelle dénomination des secteurs sauvegardés).


1. Boutique Calvin Klein au 39 rue des Francs-Bourgeois, dans le site patrimonial remarquable du Marais ; à gauche, l’hôtel Hérouet, monument historique
Photo : Didier Rykner
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C’est, pourtant, ce que fait depuis plusieurs semaines la boutique Calvin Klein au 42 rue des Francs-Bourgeois, qui se trouve à la fois en secteur sauvegardé du Marais mais aussi à proximité immédiate d’un monument historique classé (l’hôtel Hérouet). Toute la façade de l’immeuble, du trottoir jusqu’à la base des fenêtres du deuxième étage, est en effet entièrement recouverte d’un tissu imprimé à la gloire de cette enseigne (ill. 1 et 2). Cette publicité est illégale car elle est interdite dans un site patrimonial remarquable, et elle est doublement illégale car elle se situe dans un « périmètre d’interdiction absolue de publicité » comme le précise le plan du règlement local de publicité. Une publicité illégale donc qui pourtant ne semble pas gêner grand monde ni à la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France, ni à la Ville de Paris que nous avons interrogées toutes deux sans recevoir ne serait-ce que l’aumône d’un accusé de réception. Seule, sur notre insistance, la direction générale des Patrimoines a répondu, pour nous dire que c’était l’affaire de la mairie, ce qui en l’occurrence n’est pas le cas : il s’agit d’un périmètre d’interdiction absolue.


2. Boutique Calvin Klein au 39 rue des Francs-Bourgeois, dans le site patrimonial remarquable du Marais ; à gauche, l’hôtel Hérouet, monument historique
Photo : Didier Rykner
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Nous avons demandé au responsable de la boutique s’il disposait des autorisations nécessaires - des autorisations que personne ne peut donner, puisque c’est strictement interdit - et celui-ci nous a répondu : « Forcément si on l’a fait c’est qu’on avait l’autorisation ». Mais qui a bien pu la donner ? « Tous les intervenants du quartier, la mairie de Paris, le syndic, les propriétaires, tout a été fait dans les règles de l’art » a-t-il ajouté… Il ne savait pas si l’ABF avait fait de même, et refusait de nous dire jusqu’à quand cette installation devait rester en place.
Or non, rien n’a été fait dans les règles de l’art puisque ce type de publicité est interdit à cet endroit. Ni le syndic, ni les propriétaires, ni l’ABF, ni la mairie de Paris, ni d’ailleurs personne n’a le pouvoir de l’autoriser. Et si cela était possible, le scandale n’en serait pas moins grand.

Donc, un « site patrimonial remarquable » est pollué par une publicité interdite et particulièrement envahissante, mais tout le monde s’en fiche. Le ministère de la Culture s’en lave les mains, la mairie de Paris ne répond pas, tout va très bien dans le meilleur des mondes possibles.


3. Immeuble abritant une boutique Uniqlo, avec publicité dans les portes de gauche et de droite, et publicité lumineuse dans la fenêtre centrale du premier étage ; on est ici dans le site patrimonial remarquable du Marais
Photo : Didier Rykner
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Remarquons aussi que, pas loin de là, au 39 rue des Francs-Bourgeois - toujours donc dans le Marais, secteur sauvegardé - une boutique Uniqlo affiche également des publicités, cette fois dans les deux baies du rez-de-chaussée et une publicité lumineuse dans une fenêtre du premier étage (ill. 3). Publicité interdite encore, non seulement au titre du secteur sauvegardé du Marais, mais aussi parce que - le règlement local de publicité le précise expressément - celle-ci est formellement prohibée dans « Tout ou partie d’une baie, sauf s’il s’agit d’un établissement fermé pour réfection, en règlement judiciaire ou en liquidation de biens », ce qui, manifestement, n’est pas le cas ici.



4. Publicité parfaitement légale en pleine covisibilité
avec un monument historique, la Bourse
Photo : Didier Rykner
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Signalons encore un autre fléau, bien spécifique à Paris : le règlement local de publicité qui laisse à la discrétion de la mairie l’installation d’une publicité dans le périmètre d’un monument protégé. C’est ainsi que devant la façade de la Bourse, inscrite aux monuments historiques [1] s’est installée une « base vie » pour les ouvriers travaillant à la transformation de l’immeuble qui abritait naguère le journal L’Obs [2] (ill. 4). Et comme aucun espace ne doit être perdu, on leur ajoute des publicités, à moins de 500 mètres de la façade du monument protégé, en parfaite covisibilité avec lui. Et cette fois, cette installation publicitaire est parfaitement légale puisque la mairie de Paris, qui peut déroger au code du patrimoine, a donné son autorisation.

Que les publicités soient légales ou non, elles envahissent Paris à proximité des monuments historiques, et plus seulement sur les bâches de travaux, dégradant toujours un peu plus un environnement déjà bien saccagé. Mais comme le dit Anne Hidalgo : « Paris est plus belle depuis que je suis maire »...

Didier Rykner

P.-S.

(20/11/21) Le 20 novembre 2021, la Mairie de Paris qui ne nous avait pas répondu, l’a fait via son compte Paris J’écoute à un tweet à ce sujet. Voici la teneur de la réponse : « Cet habillage se réclame de la notion juridique d’enseigne temporaire signalant une opération exceptionnelle de moins de trois mois (article R58l-68 du code de l’environnement et article E3.ll b du règlement local parisien de la publicité et des enseignes. En conséquence, le dispositif est autorisé pour une durée de trois mois, du 4/10 jusqu’au 31/12/21. »
Il n’y a pourtant aucune opération exceptionnelle de moins de trois mois signalée sur cet habillage. Si l’enseigne peut se prévaloir de cette autorisation, le scandale est clairement celui de la Mairie de Paris qui feint d’y voir une enseigne temporaire qu’elle pourrait autoriser. Une fois de plus, elle démontre son mépris du patrimoine parisien.

Notes

[1Que la Bourse ne soit qu’inscrite et non pas classée n’est qu’une marque de plus de la sous-protection du patrimoine en France.

[2Cet envahissement de l’espace public par ces bases vie qui accompagnent désormais les moindres travaux (parfois pendant des années) est un autre problème sur lequel il faudra que nous nous penchions aussi.

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