Un réquisitoire exemplaire contre Rocher Mistral

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L’ancien potager du château de La Barben
Photo : Didier Rykner
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Mardi 14 novembre la société Rocher Mistral et Vianney d’Alençon comparaissaient devant le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence pour répondre des innombrables infractions aux codes du patrimoine, de l’urbanisme et de l’environnement commises envers le château de la Barben et ses abords.
Nous renvoyons à la longue enquête que nous avions menée en 2021 et aux quatorze articles que nous avions publiés à ce sujet pour connaitre les tenants et aboutissants de cette triste affaire. Nous aurions pu revenir à de nombreuses reprises sur celle-ci car tout cela a continué de plus belle depuis, néanmoins un peu freiné par ces procédures judiciaires.

Que Vianney d’Alançon se proclame un héraut du patrimoine pour sa défense, c’est de bonne guerre. Qu’il y ait un certain nombre de journalistes, dans des médias de droite, pour oser prétendre que c’est le cas et qu’il est brimé par les méchants opposants, est tout à fait grotesque. Lire, comme dans cet article d’Entreprendre que « les corporatismes et les administratifs se mettent en ordre de bataille pour mettre des bâtons dans les roues [d’un] créateur de 37 ans rempli d’espoir et d’ambition » ou, sur le blog d’extrême-droite Le Salon Beige qu’il subit un « harcèlement judiciaire » alors qu’on lui devrait un « minimum de reconnaissance » est absolument insupportable.

Vianney d’Alençon n’est pas un amoureux du patrimoine, il est un destructeur de patrimoine qui ne recule devant rien pour faire avancer sa cause. Les débats qui ont eu lieu devant le tribunal sont à cet égard accablants. Frédéric Aubanton, architecte des bâtiments de France, a rappelé le contexte. D’abord, que le château avait été acheté en septembre 2019, et que le propriétaire, qui l’avait acquis pour y faire ces aménagements très lourds, n’est venu voir la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) que plusieurs mois plus tard. Si l’ABF avait été contacté plus tôt, notamment avant l’acquisition, il aurait pu lui expliquer que le lieu était le dernier endroit où installer un parc d’attraction, tant du point de vue du site que de la sécurité. Mais Vianney d’Alançon ne fonctionne qu’en menant des travaux sans autorisation en espérant pouvoir ensuite « régulariser ». Comme si tout était régularisable, ce qui n’est évidemment pas le cas. Frédéric Aubanton a également rappelé que les travaux menés jusqu’ici ne sont qu’un avant-goût de ceux qui sont prévus à l’avenir. Un premier permis d’aménager avait fait l’objet de deux refus conformes, celui du préfet au titre du code de l’environnement et celui de l’ABF au titre du code du patrimoine. Un autre est en cours d’instruction, qui fait l’objet d’un recours à statuer de la mairie (jusqu’à fin 2024) et qui n’est guère différent du premier.

Deux aspects au moins du projet n’étaient pas abordés dans ce procès. D’abord les aménagements scandaleux à l’intérieur du château dont nous parlions dans cet article, n’ont fait l’objet de procès verbaux de la conservation régionale des monuments historiques qu’en juin dernier. Là encore, Vianney d’Alançon attend des « régularisations » voulant faire passer en force la politique du fait accompli. Il faut espérer que la DRAC fera la seule chose à faire : refuser les régularisations et demander le retour à l’état d’origine. Ce ne devrait pas être difficile puisque Vianney d’Alançon a prétendu que ses aménagements étaient réversibles et même « démontables en 35 minutes », ce qui est totalement risible pour quiconque a pu les visiter, ce que nous avons fait.

Ensuite, l’agrandissement du parc d’attraction extérieur fait l’objet du permis d’aménager dont nous parlions plus haut. Le procureur a souligné qu’il était intenable et qu’il ne serait jamais autorisé par la justice. On s’interroge d’ailleurs sur les raisons qui ont incité la DDTM (Direction Départementale des Territoires et de la Mer) a donner un avis favorable à ce permis d’aménagement. Pourtant, le président du tribunal a indiqué qu’il avait reçu le jour de l’audience une lettre de la DDTM demandant que toutes les infractions qui faisaient l’objet de l’audience de ce jour entrainent une remise en état, ce qui est évidemment antinomique avec le futur aménagement. Beaucoup d’observateurs en ont conclu que le préfet avait repris la main sur le sous-préfet qui, jusque récemment, semblait à la manœuvre.

Le réquisitoire du procureur a été implacable : il demande en effet 150 000 euros d’amende à la société Rocher Mistral et 20 000 euros pour Vianney d’Alançon, la remise en état initial des abords (en supprimant notamment les parkings, les dispositifs scéniques et commerciaux du jardin potager, la base vie, les aménagements sur les lieux occupés initialement par les chauves-souris...), le tout sous un délai de huit mois, avec des astreintes de 150 euros par jour pour la société et de 10 euros par jour pour Vianney d’Alançon. Si le jugement, qui sera rendu le 13 février 2024, suivait ces demandes, le parc devrait fermer, l’aménagement futur ne pourrait avoir lieu et les installations dans le château deviendraient inutiles et pourraient, sous la menace d’un autre procès, être retirées.
On espère fermement en la justice, et si celle-ci devait être rendue dans ce sens, on s’interroge sur les suites que donnerait Rocher Mistral. Il pourra bien sûr faire appel, mais le procureur a rappelé sa relative clémence, soulignant que « la peine maximale pourrait être de 112 millions d’euros [1] » À bon entendeur, salut.

Il est important que la justice soit impitoyable dans cette affaire. Une condamnation claire et nette permettrait à la fois de sauver le château et de donner à tous ceux qui vandalisent le patrimoine un signal clair.

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