Menaces sur le château de la Barben (5/13) : la révolte des Cascavèus

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1. La rampe menant vers le château
On remarquera aussi la main courante en bois le long du mur à droite...
Photo : Didier Rykner
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Après les abords et les espèces protégées, il faut désormais regarder ce qu’est devenu le château à la suite des travaux d’installation des attractions. Nous ferons donc la visite des lieux dans l’ordre, sans nous attarder sur l’indigence du discours historique qui mérite à lui seul un prochain article, mais en insistant sur les atteintes faites au monument.

Comme nous l’avons déjà écrit (voir l’article), une partie du château n’est plus visitable, car elle n’abrite aucune attraction. Qu’il s’agisse de lieux éminemment patrimoniaux qui étaient ouverts au public avant la vente à Vianney d’Alançon n’est pas un détail. Les visiteurs, qui paient tout de même 25 € [1] par personne, ne verront donc rien du deuxième étage, notamment pas les appartements de Pauline, ou le décor de François-Marius Granet, et pas davantage la chapelle.


2. L’escalier construit le long de la rampe d’accès au château
Photo : Didier Rykner
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3. L’escalier et les contreforts construits le long de la rampe d’accès au château,
Photo : Didier Rykner
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4. Les contreforts construits le long de la rampe d’accès au château,
Photo : Didier Rykner
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La route qui arrive au château, après que l’on passe sur le pont, débouche entre le potager, à gauche, et le jardin à la française, à droite. Devant nous démarre la rampe qui monte vers le château (ill. 1). Celle-ci est bordée par un mur qui a, tout simplement, été en partie cassé pour y installer un large escalier en bois (ill. 2). Des contreforts en bois ont également été installés (ill. 3 et 4) car les travaux - non autorisés - ont fragilisé l’ensemble. Le document envoyé par la DRAC au préfet confirme que « les travaux de réparation et consolidation de la rampe [ont été] refusés car insuffisamment renseignés ». On lit aussi que la Conservation régionale des monuments historiques a communiqué au maître d’ouvrage une liste de noms d’architectes en chef des monuments historiques et d’architectes du patrimoine qualifiés pour reprendre les études et travaux sur le monument et ses jardins. Manifestement, ces travaux n’ont pas fait l’objet d’un PV d’infraction transmis au procureur, alors qu’il s’agit clairement d’une dégradation de monument historique. On peine à comprendre pourquoi.


5. Écuries du château de La Barben (avant la transformation en restaurant)
Photo : La Tribune de l’Art
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6. Intérieur des écuries du château de La Barben (avant la transformation en restaurant). On y voit les stalles disparues.
Photo : La Tribune de l’Art
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Avant d’arriver au château, on passe devant les écuries (ill. 5). Nous n’avons qu’une mauvaise photo de l’état intérieur ancien avec les stalles qui dataient au moins du XIXe siècle (ill. 6) dans un bâtiment du XVIIe. Elles ont été enlevées pour transformer les écuries en restaurant. Nous n’avons pas pris de photos de l’état actuel de l’intérieur lors de notre visite, mais on peut en voir une par exemple ici. La Direction régionale des affaires culturelles a autorisé ces travaux, ce qui est anormal. Comment peut-on accepter qu’une écurie classée monument historique soit ainsi dénaturée ?


7. Dans cette vue aérienne prise par un drone en juin 2019,
on cherche en vain les toitures de tôle dont parle Vianney d’Alançon
dans le seul mail qu’il nous a jamais envoyé
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Dans le seul mail d’explication (qui ne répond à aucune de nos questions) que nous a envoyé Vianney d’Alançon, celui-ci écrit qu’il a entièrement rénové les écuries « qui étaient en toiture de tôle, en carrelage et en placo ». Or voici une photo extraite d’une vidéo prise par drone en juin 2019. On y voit parfaitement les écuries (ill. 7), en revanche on ne voit pas la toiture de tôle... Comment croire alors l’un des seuls éléments « factuels » que celui-ci nous a donnés, à savoir les « 50 points de fuite » des toitures qu’il a rénovées ?

De plus, même autorisés, les travaux n’ont pas suivi les prescriptions demandées comme nous l’a révélé le document transmis par la préfecture : « la conformité n’a pas été accordée, un courrier précisant les améliorations à opérer notamment sur l’ensemble des menuiseries a été envoyé au propriétaire le 3 août 2021 ». Nul doute que le propriétaire va être très impressionné par ce courrier. On se demande vraiment à quoi sert le classement monument historique.


8. Grande terrasse du château de La Barben avant les travaux récents
Photo : La Tribune de l’Art
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9. Grande terrasse du château de La Barben après les travaux récents
Photo : Didier Rykner
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Et on se le demande encore davantage lorsque l’on constate les travaux effectués sur la terrasse principale du château (ill. 8 à 10), au pied de l’escalier en fer à cheval. Qu’il ait fallu améliorer son étanchéité est une chose. Que cela se traduise par une réfection aussi médiocre du sol, c’est tout simplement incroyable. La dernière volée de l’escalier intérieur qui mène à cette terrasse a elle aussi été malmenée par ce que Rocher Mistral ose appeler une « restauration ». Voilà à quoi elle ressemble désormais (ill. 11).


10. Vue du dallage utilisé pour la grande terrasse
Photo : Didier Rykner
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11. Dernière volée de marche avant d’arriver à la grande terrasse
Photo : Didier Rykner
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Ces travaux ont été autorisés, mais ont-ils été suivis par le contrôle technique du ministère ? On peut en douter. Voici en effet ce que répond la DRAC à notre question sur ce point : « en effet les revêtements de la terrasse font l’objet d’observations avec une demande d’amélioration ainsi que sur la dernière volée de l’escalier intérieur menant à la terrasse datée du 3 aout 2021 au propriétaire. Des solutions de reprise de surface et de traitement seront à proposer à la conservation régionale des monuments historiques par un architecte qualifié ». Là encore, la sanction est terrible...


12. La galerie des tableaux (état en 2019)
Photo : La Tribune de l’Art
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13. La galerie des tableaux, première salle de l’attraction La révolte des Cascavèus
Photo : Didier Rykner
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Nous commençons la visite en entrant par la porte à droite en haut de l’escalier, où un malheureux figurant déguisé nous explique ce que nous allons voir : la révolte des Cascavèus. Surtout, insiste-t-il : « je vous conseille vraiment d’écouter la bande sonore qui, quand elle boucle, vous permet de savoir qu’il faut passer dans la salle d’après. Comme ça vous serez sûr d’avoir vu tous les effets spéciaux ». Spéciaux, ces effets le sont, assurément, mais peut-être pas dans le sens qui est donné habituellement à ce qualificatif. Ils sont en effet d’une ringardise difficilement dépassable.


14. Le portrait attribué à Nicolas de Largillière, dans la galerie des tableaux, tel qu’il est installé actuellement
Photo : Didier Rykner
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15. La chaise à porteurs, dans la galerie des tableaux, telle qu’elle est installée actuellement
Photo : Didier Rykner
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La première pièce était appelée galerie des tableaux, ou grande galerie (ill. 12). On y trouvait, outre le mobilier ancien - chaises, fauteuils et tables - plusieurs portraits de famille dont une toile attribuée à Nicolas de Largillière [2], une chaise à porteurs du XVIIIe siècle et une tapisserie. Elle est désormais dans la pénombre, bourrée à craquer d’objets qui semblent sortis d’une brocante, à l’exception des œuvres d’art qui y sont toujours mais désormais presque invisibles (ill. 13 à 15). Outre la bande son très médiocre dont nous donnons ici un aperçu, les « effets spéciaux » consistent à allumer et éteindre de fausses bougies et à projeter des silhouettes de papillons et d’oiseaux sur la tapisserie (voir la vidéo ci-dessous).



16. Projecteur fixé au plafond à la française de la galerie des tableaux
Photo : Didier Rykner
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Les pièces suivantes sont à l’avenant : si aucuns travaux lourds ne semblent avoir été réalisés, et si un propriétaire de monument protégé est libre d’utiliser le mobilier qu’il souhaite, fût-il de mauvais goût, on ne sait pas comment ont été installés les dispositifs électriques et sonores. On remarque par exemple, dans cette première pièce, un gros projecteur fixé au plafond (ill. 16). Remarquons d’ailleurs que ces superbes plafonds à la française, avec leurs poutres peintes au XVIIe siècle que l’on retrouve à peu près partout, sont dans bien des cas presque invisibles et certainement pas mis en valeur par les lumières psychédéliques qui éclairent les lieux (ill. 17 et 18).


17. Plafond à la française du XVIIe siècle du salon (avant l’installation des attractions)
Photo : La Tribune de l’Art
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18. Plafond à la française du XVIIe siècle du salon (état actuel)
Photo : La Tribune de l’Art
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Dans les réponses à nos questions, la DRAC écrit que « ces installations dites provisoires et réversibles [ont été] réalisées sans autorisation, il a été demandé à la société Rocher Mistral de déposer un demande d’autorisation en régularisation précisant les installations et leur mode de pose, de fixation et précisant leur caractère réversible ainsi que la durée d’installation ». Une fois de plus donc, on s’aperçoit que pour des installations dont la DRAC dit elle-même qu’elles sont « dites » provisoires, on n’envisage pas d’exiger qu’elles soient éliminées, mais plutôt de les régulariser... Quant au caractère provisoire, rien n’indique dans la communication officielle de Rocher Mistral qu’il soit avéré. A minima peut-on penser que cette attraction sera remplacée un jour par une autre, tout aussi problématique.


19. Salon, état en 2019
Photo : La Tribune de l’Art
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20. Le salon, deuxième salle de l’attraction « La révolte des Cascavèus » (voir la vidéo ci-dessous)
Photo : Didier Rykner
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La salle qui suit la grande galerie est le grand salon (ill. 19). Lui aussi a été aménagé curieusement, même si les objets sont moins nombreux (ill. 20). Une jeune femme en costume d’époque (en tout cas d’une époque) s’assoit, se promène, et semble s’interroger (comme nous d’ailleurs) à propos du portrait parlant placé sur la cheminée... On se croirait dans Harry Potter. Des ombres s’agitent derrière un paravent. C’est à la fois sans intérêt et à peu près incompréhensible (voir la vidéo ci-dessous).



L’ancienne bibliothèque, tout de suite après (ill. 21 et 22), est consacrée à deux grandes figures de l’histoire de France : rien moins que le cardinal de Richelieu et Henri II de Bourbon-Condé. Ni l’un ni l’autre ne sont jamais venus au château de La Barben [3], mais peu importe. Le second, dans un portrait parlant, s’adresse à un acteur dont on devine qu’il s’agit de Richelieu grâce à son habit de cardinal, mais pas par son âge ni son absence totale de ressemblance avec celui-ci. Dès qu’entre un visiteur, « Richelieu » déambule avec l’air inspiré de celui qui se demande ce qu’il peut bien faire là (voir la vidéo ci-dessous).


21. La bibliothèque, état en 2019 (nous n’avons pas de photo sous le même angle que l’ill. 22)
Photo : La Tribune de l’Art
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22. La bibliothèque, troisième salle de l’attraction « La révolte des Cascavèus » (voir la vidéo ci-dessous)
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Après être passé dans une espèce de boudoir éclairé dans des tons mauves, on entre dans la chambre (ill. 23 et 24). Frissons garantis ! L’incendie menace... Un tableau se consume pendant qu’une actrice échevelée entre dans la pièce en hurlant : « Au feu, au feu, le château brûle ». Puis elle se précipite vers le berceau en criant « le bébé, où est le bébé ? » (voir la vidéo ci-dessous). Nous soupçonnons le bébé d’avoir pris ses cliques et ses claques et d’avoir fui toute cette bêtise, mais l’histoire ne le dit pas. Quant aux chauves-souris, si on ne les voit plus dans les souterrains, on en retrouve ici... sous la forme d’ombres projetées (voir la deuxième vidéo-ci-dessous).


23. La chambre, état en 2019 (nous n’avons pas de photo sous le même angle que l’ill. 24)
Photo : La Tribune de l’Art
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24. La chambre, suite de l’attraction
« La révolte des Cascavèus » (voir les vidéos ci-dessous)
Photo : Didier Rykner
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La salle à manger (ill. 25 et 26) qui suit immédiatement la chambre est encombrée d’un fouillis sans nom et d’objets particulièrement kitsch qui masquent ceux d’entre eux qui pourraient être authentiques. Mais le sol, à l’origine en tommettes, a été entièrement recouvert d’un parquet moderne pour faire passer semble-t-il toute l’électricité en-dessous. Des travaux qui n’ont bien sûr pas été autorisés.


25. La salle à manger, état en 2019
Photo : La Tribune de l’Art
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26. La salle à manger, suite de l’attraction
« La révolte des Cascavèus »
Photo : Didier Rykner
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Quant à la fenêtre, elle est fermée : une projection montre des paysans cherchant à entrer dans le château en tambourinant. Ils ne sont pas très doués, car ils ne parviennent même pas à briser une vitre, ce qui transforme ce qui est voulu comme une mise en scène fastueuse en bouffonnerie complète (voir la vidéo ci-dessous). Mais pour pouvoir projeter cette scène, on a fermé la terrasse qui se trouve à ce niveau, ce que l’on peut voir au revers du château (ill. 27 et 28).



27. Publicité pour RocherMistral diffusée sur Instagram : on voit les cabanes en bois construites sans autorisation sur la façade arrière
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28. Détail de l’ill. 27 avec les cabanes en bois construites sans autorisation sur la façade arrière
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On passe ensuite dans une petite pièce remplie à ras bord de meubles entassés les uns sur les autres comme une barricade qui possède l’un des plus beaux plafonds qu’on puisse voir dans le château, mais qu’on distingue à peine désormais (ill. 29). On n’ose imaginer ce qui se passerait en cas d’incendie avec une telle accumulation de combustible.


29. Pièce suivant la salle à manger, encombrée d’un mobilier entassé
Le plafond à la française est l’un des plus beaux du château
Photo : Didier Rykner
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30. Projection dans une petite pièce en descendant vers le niveau inférieur
(voir la vidéo ci-dessous)
Photo : Didier Rykner
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Puis on descend un escalier sur lequel donne un espace (ill. 30) où l’on voit, par la fenêtre, des cavaliers cavalant - voir la vidéo ci-dessous - (qui sont-ils ? que font-ils ? arrivé à ce stade, avouons que cela n’a plus aucune importance...), et qui mène à une salle souterraine ressemblant à une crypte, où flotte une brume bleue et sur le sol duquel se trouvent des pierres tombales [4], avec une voix d’outre-tombe qui récite « Nous sommes les oubliés des guerres [...]. Nous sommes morts pour une cause juste, morts pour que la France et la Provence vivent. Garçon, il est temps pour toi de te battre. » Les larmes nous viennent aux yeux... Est-ce l’émotion ? Sûrement pas. Est-ce le rire qui monte ? Sans doute. Est-ce la colère de tant de bêtises au détriment d’un patrimoine historique majeur ? C’est très probable.


31. Salle souterraine aujourd’hui à la fin du parcours de « La Révolte des Cascavèus »
avant les travaux
Photo : La Tribune de l’Art
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32. Salle souterraine (état actuel, fin du parcours de « La Révolte des Cascavèus »)
Photo : Didier Rykner
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Nous revenons temporairement à l’extérieur, pour admirer les magnifiques cabanes en bois qui viennent se plaquer sur les côtés du château pour marquer la sortie et l’entrée des attractions. Et la suite est pire encore puisqu’elle nous emmène dans les anciens souterrains du château, là où la colonie de chauves-souris avait ses habitudes, et où les travaux n’ont pas été anodins. Mais ce sera l’objet de l’article suivant...

Didier Rykner

Notes

[1Dans une interview sur Sud Radio, Vianney d’Alançon annonce un prix de 24 €, ce qui serait déjà exorbitant, et qui est faux, et sur le site, le prix est désormais à 26,50 € !

[2Une attribution que Dominique Brême, sur photo, estime sujette à caution, sans s’engager plus avant faut d’avoir vu l’œuvre en vraie.

[3Si le second est venu à Aix-en-Provence au moment de la révolte des Cascavèus, rien n’atteste qu’il soit passé par le château de La Barben.

[4Celles-ci portent des noms sur lesquels on s’interroge. Celui d’Honoré d’Estienne d’Orves dont on se demande le lien qu’il a avec le château de La Barben. Nous trouvons personnellement choquant de voir le nom d’un grand résistant associé à cette pitrerie, mais nous avons contacté son neveu Jean-Pierre d’Estienne d’Orves qui nous a dit n’avoir aucun problème avec cela et admirer beaucoup le travail de Vianney d’Alançon à La Barben... On trouve aussi - nous n’avons pas relevé tous les noms, celui de Martial Montagne. Nous avouons notre ignorance à son sujet. S’agit-il d’un ancêtre d’un des actionnaires de Rocher Mistral ?

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