Menaces sur le château de La Barben (4/13) : où sont les chauves-souris ?

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Dans notre série d’articles concernant le projet Rocher Mistral à La Barben, nous allons exceptionnellement sortir un peu de notre champ habituel. Car ce projet ne menace pas uniquement un monument historique. Il concerne également l’environnement et une espèce protégée. Notre confrère Reporterre avait déjà abordé cette question en juillet dans un article auquel nous renvoyons.


2. Murins à oreilles échancrées dans les souterrains du château de La Barben avant les travaux
Photo : La Tribune de l’Art
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Les souterrains de La Barben, où se sont installées une partie des attractions dont nous parlerons prochainement, abritaient en effet jusque récemment (ill. 1) une importante colonie (600 à 700 individus selon l’association France Nature Environnement 13) de murins à oreilles échancrées (ill. 2), une espèce de chauve-souris inscrite sur la liste rouge des espèces de mammifères menacés de France, protégée à ce titre, et inscrite sur la liste mondiale depuis 2016. Toujours selon cette association, « ces souterrains constituent à la fois une aire de repos et un site de reproduction majeurs de cette espèce ». Elle a donc alerté les différents responsables des risques que faisaient courir ces travaux pour la colonie : le directeur départemental des territoires et de la mer et le chef du service départemental de l’Office Français de la Biodiversité ont été prévenus par courriers du 2 avril 2021, le sous-préfet des Bouches-du-Rhône Bruno Cassette par courrier du 4 mai 2021, apparemment sans qu’aucune action n’ait été menée de leur part pour empêcher les travaux.


Murin à oreilles échancrées
Photo : MUSE (CC BY-SA 3.0)
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Or - et nous y reviendrons dans un prochain article - ceux-ci faisaient partie d’une demande d’autorisation de projet globale pour tout le site de La Barben, château et abords, une première demande refusée par le préfet qui demandait une évaluation environnementale, jamais finalisée, à notre connaissance. Dans cette demande, qui ne fait état que d’une colonie d’une centaine d’individus, il est précisé que l’association Groupement des Chiroptères de Provence a été missionnée « pour mener un état initial ciblé en vue d’étudier la faisabilité de relocalisation de la colonie ». Il était donc prévu - dans le document présentant ce projet qui n’a pas été autorisé - de faire un état des lieux et des gites potentiels proches pouvant accueillir les chauves-souris (été 2020), de concevoir un nouveau refuge (hiver 2020), et d’aménager un nouveau gîte (avant avril 2021). Cette opération devait faire l’objet d’une communication abondante.

Nous avons pu consulter un document intitulé « Note d’information sur l’action du Groupe chiroptères de Provence dans le cadre du projet touristique de La Barben » émanant de cette association, rédigée par son directeur Emmanuel Cosson [1]. On peut y lire notamment que cette espèce « a un rôle écologique et économique important, notamment en agro-écologie ». Il explique également avoir travaillé depuis plusieurs années avec le précédent propriétaire du château de La Barben afin de maintenir la colonie dans les souterrains tout en conservant les visites du public qui pouvait voir la colonie. Cela a abouti à « une exceptionnelle tolérance à la présence humaine du fait que personne ne lui portait atteinte ». ll ajoute : « Ainsi, génération après génération, les animaux ont acquis une totale confiance en nous. Ce qui est unique ». Il poursuit en expliquant se montrer confiant dans la possibilité de dédier des salles adaptées à la colonie, car « le projet d’aménagement touristique n’occupera pas toutes les salles souterraines ». Il ajoute encore que « pour maintenir en bon état de conservation les routes de vol nécessaires aux animaux pour rejoindre leurs zones de chasse », il faut notamment porter attention au « maintien des arbres et l’absence de pollution lumineuse ». Il conclut enfin : « ce projet est l’opportunité pour préserver durablement la colonie dans un espace dédié. Un bilan avec des propositions concrètes sera rendu en automne 2020. Restera au maître d’ouvrage à intégrer les propositions dans son projet afin de maintenir cette colonie unique ».

Outre qu’on ne comprend pas comment un tel projet serait une « opportunité » de préserver une colonie qui n’avait jusqu’ici aucun problème pour y habiter, il est intriguant que ces propositions concrètes restent parfaitement secrètes, comme le sont les mesures réellement prises par le maître d’ouvrage, et le résultat sur la délocalisation des chauves-souris. Loin de la « communication abondante » évoquée plus haut, Vianney d’Alançon ne nous a jamais apporté d’éléments probants sur la relocalisation de la colonie, pas davantage que le Groupe Chiroptères de Provence. Celui-ci, après plusieurs relances de notre part, nous a envoyé le message suivant : « Nous travaillons bien avec Rocher Mistral pour la sauvegarde de la colonie de chauves-souris au château de la Barben. Nous ne pouvons communiquer de résultats à ce jour. ». On ne peut imaginer réponse plus évasive, et nous ne comprenons pas pourquoi cette association qui devait communiquer ne peut même pas nous confirmer que la colonie aurait été sauvée, et comment.

Si nous ne pouvons exclure - et espérer - que ces animaux aient pu survivre et se réinstaller à un autre endroit du château, nous pouvons légitimement nous inquiéter de leur sort car l’aménagement touristique occupe une grande partie des souterrains, notamment la salle des gardes où ils nichaient. Si le déplacement d’une telle colonie est possible, il n’est pas recommandé, et cela prend du temps. Quoi qu’il en soit, et sans même prendre en compte la question des travaux sur monument historique non autorisés dans les souterrains du château, une telle opération concernant une espèces protégée doit être dûment autorisée, ce qui n’a pas été le cas. Le préfet nous a en effet confirmé (lettre du 14 septembre 2021) que « les services de la DREAL ont indiqué au porteur de projet la nécessité d’obtention d’une dérogation à l’interdiction de destruction ou de perturbation ce ces espèces ou pour les déplacer. Pour ce faire, il lui appartient de conduire des inventaires, d’analyser les impacts et de proposer les éventuelles compensations afférentes. Le porteur de projet a confié une partie des études au Groupe Chiroptères Provençal [sic]. Des éléments figurent dans le dossier d’impact déposé en juillet 2021 ». On en conclut donc que la dérogation n’a pas été accordée. Et nous aimerions comprendre à quoi sert un dossier d’impact déposé en juillet 2021 sur des travaux non autorisés et déjà exécutés au premier semestre 2021.

L’association France Nature Environnement 13, le 12 mai dernier, avait mis en demeure Rocher Mistral de cesser immédiatement les travaux d’aménagement des souterrains du château de La Barben, sans aucun succès. Remarquons qu’une seconde mise en demeure avait été envoyée le même jour pour demander de cesser aussi les travaux sur le potager, qui n’ont pas davantage été autorisés comme nous l’avons vu dans l’article précédent, et qui constituent donc, selon les mots de l’association : « un délit prévu et sanctionné par les dispositions de l’article L480-4 du Code de l’urbanisme ». Rien n’ayant été interrompu, la FNE 13 a donc porté déposé une plainte le 28 mai 2021 auprès du procureur de la République d’Aix-en-Provence pour : « perturbation intentionnelle d’espèces protégées, destruction, altération d’habitat d’espèces protégées, et réalisation de travaux sans autorisation d’urbanisme ». Sur cette question, déjà abordée par la presse, la seule réponse que nous a fait Vianney d’Alençon est la suivante, dans l’unique mail qu’il nous a envoyé : « Il faut s’intéresser au monument quand on est spécialiste du patrimoine et non [...] aux chauve-souris » !

Cette affaire est peut-être encore plus grave que les atteintes au château, à une époque où tout devrait être mené pour protéger les espèces en danger. Le référé a été repoussé et l’affaire sera donc jugée en octobre, trop tard quoi qu’il en soit, car le mal est fait. Espérons que les chauves-souris n’ont pas disparu et ont pu survivre au traitement qui leur a été infligé. Mais même si tel est le cas, la perturbation intentionnelle d’espèces protégées et l’altération de leur habitat est condamnable, qu’elles soient ou non suivies de leur destruction.

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