Restitutions : quand Bénédicte Savoy prend Black Panther en exemple

Dans le documentaire Restituer l’art africain, les fantômes de la colonisation dont nous avons déjà parlé ici (voir l’article), le réalisateur reprend une thèse développée à plusieurs reprises par Bénédicte Savoy, sur laquelle il nous semble important de revenir. Celle-ci l’a évoquée lors d’une conférence qu’elle avait donnée en 2018 au Festival de l’Histoire de l’Art, dans son rapport sur les « restitutions » (p. 20) écrit avec Felwyne Sarr (voir l’article), et à de multiples autres occasions. Il s’agit d’un extrait du film Marvel de super héros Black Panther.
Pour ceux qui n’ont pas vu le film, la scène semble parlante, qui se passe dans un musée à Londres, où un jeune Noir discute avec la conservatrice du musée devant une vitrine (ill. 1).


1. Photo extraite du film Black Panther
Le gentil restitutionniste juste avant le massacre qu’il organise au musée pour récupérer la hache en vibranium, uniquement pour le métal (la méchante
conservatrice se tient le ventre car elle a été empoisonnée)
Voir l´image dans sa page

« D’où vient cet objet ? demande-t-il
- il vient du peuple Edo du Bénin, il date du XVIe siècle répond-elle
- Et celui-là ?
- Aussi du Bénin, VIIe siècle, tribu peule je crois
- Non.
- Je vous demande pardon ?
- Il a été pris par des soldats anglais au Bénin, mais il vient du Wakanda, entièrement fait de vibranium Je vais vous en débarrasser.
- Ces pièces ne sont pas à vendre.
- Comment pensez-vous que vos ancêtres les ont obtenues ? En payant un bon prix ? Ou bien en les volant comme ils ont volé tout le reste ? »



Et voilà comment Bénédicte Savoy, universitaire et professeur au Collège de France, interprète ce qu’elle qualifie - dans le rapport Savoy-Sarr - de « fascinant dialogue entre un jeune Africain-Américain et une conservatrice de musée » : les restitutions sont devenues une question qui sort du cercle des initiés pour entrer dans la culture populaire, et il s’agit d’une préoccupation de plus en plus grande en Afrique et jusqu’à Hollywood.


2. Photo extraite du film Black Panther
L’un des gardiens est abattu par un des mercenaires qui lui a fait croire qu’il pouvait partir
Voir l´image dans sa page

Curieusement, lorsqu’elle présente cette scène, Bénédicte Savoy l’interrompt très tôt. Il est dommage que ni elle, ni Laurent Védrine n’aient pris la peine de nous montrer ce qui se passe ensuite… Car l‘homme qui accuse la conservatrice d’avoir volé sa culture est en réalité Erik Killmonger, le « méchant » du film, un tueur sans scrupules. Ni une, ni deux, il tue la conservatrice (sa boisson avait été empoisonnée) et les mercenaires qui l’accompagnent assassinent les gardiens du musée (ill. 2 et 3).


3. Photo extraite du film Black Panther
Eric Killmonger et les mercenaires devant la vitrine contenant la hache en vibranium
Voir l´image dans sa page

Et que fait Killmonger avec l‘objet historique qu’il vient de « reprendre » ? Le mercenaire qu’il emploie casse le manche (ill. 4) pour n’emporter que le « vibranium », métal imaginaire censé donner un grand pouvoir. Car dans cette œuvre d’art, le super héros des restitutionnistes ne voit rien d’artistique, seulement l’argent et la puissance que cela va lui apporter ! Après tout, il a bien retenu la leçon : ça lui appartient, il en fait ce qu’il veut. Comme, d’ailleurs, il fait ce qu’il veut avant de quitter le musée d’un autre masque qu’il emporte avec lui. Parce qu’il veut le rendre à l’Afrique ? Non, juste par ce qu’il lui plaît [1] (ill. 5).


4. Photo extraite du film Black Panther
La hache, juste avant que le mercenaire récupère le métal en cassant le manche
Voir l´image dans sa page

>


Voilà l’exemple édifiant qui inspire Bénédicte Savoy. Dire, comme le fait le documentaire qui reprend à son compte cette interprétation, que « le succès planétaire de ce film dévoile et exacerbe la question des pillages coloniaux dans l’opinion mondiale » est donc évidemment absurde et relève au mieux d’un manque de rigueur intellectuelle confondant. Si, avec une mauvaise foi étonnante et regrettable chez une universitaire, Bénédicte Savoy n’avait pas mis en avant cet extrait en omettant soigneusement de parler du contexte et de la suite, personne n’en parlerait aujourd’hui.


5. Photo extraite du film Black Panther
Eric Killmonger devant le masque qu’il va voler parce qu’il lui plaît
Voir l´image dans sa page

Il est intéressant aussi de voir que Felwine Sarr, évidemment sans appeler au meurtre, marche néanmoins dans les pas de Killmonger en affirmant, lors d’une interview au journal Le Monde, qu’il ne s’offusquait pas outre mesure des procédés utilisés par les activistes... à savoir arracher des objets de leurs socles pour les sortir illégalement des musées afin de les « rendre » à l’Afrique. Que ces activistes, affiliés ou entretenant des liens avec la Ligue de Défense Noire Africaine, commettent un délit ne le gêne pas. Qu’ils commettent aussi un crime contre l’intelligence, en s’emparant dans deux cas sur quatre (au musée de Marseille puis au Louvre) d’objets non africains (l’un était d’Insulinde, l’autre de Mélanésie), ne le perturbe pas davantage.
On mesure la crédibilité des auteurs du rapport Savoy/Sarr à l’aune de ces déclarations et de leur utilisation de ce film grand public.

Si Bénédicte Savoy ne signale pas, à ceux qui ne connaissent pas le film, que le « jeune Africain-Américain » n’est pas en réalité un personnage sympathique, il y a pire encore : c’est ainsi que sur France Culture, on pouvait entendre une chronique, que l’on peut écouter ici, où reprenant à nouveau l’exemple de cette scène, une journaliste explique sans état d’âme qu’on y voit « deux sortes de méchants : la conservatrice condescendante et l’anti-héros qui veut prendre sa revanche ». Une conservatrice d’un musée d’art africain est donc, par définition, une « méchante », tout à fait comparable au tueur qui va l’assassiner de sang froid avec son équipe de surveillance. Notons à cet égard que lorsque l’historienne de l’art Kristen Windmuller-Luna fut embauchée comme conservatrice pour l’art africain au Brooklyn Museum en 2018, elle s’attira le courroux d’activistes pour la seule raison qu’elle était blanche. Sur les réseaux sociaux, certains agités, qui eux avaient bien vu Black Panther, mirent sa photo en relation avec celle de Killmonger (voir ici), menaçant ainsi cette dernière de manière à peine voilée.


5. Frédéric-Auguste Bartholdi (1834-1904)
Jean-François Champollion
Paris, Collège de France
Marbre
Photo : NonOmnisMoriar (CC BY-SA 3.0)
Voir l´image dans sa page

Ce dont fait preuve Bénédicte Savoy dans cette affaire n’est hélas pas un cas isolé. Nous renvoyons sur ce sujet à un autre exemple très parlant, finement analysé par Pierre Téqui dans un article publié sur Facebook, expliquant comment une méconnaissance complète de l’histoire et de l’histoire de l’art a entrainé de sa part, lors de sa conférence inaugurale au Collège de France, une vision entièrement faussée de la sculpture d’Auguste Bartholdi qui orne la cour d’entrée du Collège de France (ill. 6). On ne peut pas vraiment s’étonner des biais innombrables qui émaillent son rapport sur les restitutions, qui a pourtant inspiré Emmanuel Macron dans sa politique désastreuse.

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.