La Case du siècle : la propagande En Marche

1. Générique du documentaire
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Le 25 avril dernier, dans le cadre de l’émission La Case du Siècle, la chaine France 5 diffusait un film de Laurent Védrine [1] intitulé : Restituer l’art africain, les fantômes de la colonisation [2] (ill. 1).

Dire que le film est orienté est un euphémisme. Comment en irait-il autrement d’ailleurs, lorsque les interlocuteurs du film sont favorables aux « restitutions » et sont même parfois des militants ayant œuvré dans cette optique : Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, omniprésents, auteurs du rapport qui a déclenché les restitutions actuelles et dont nous avons déjà parlé sur ce site, Marie-Cécile Zinsou, franco-béninoise qui est également une des pasionarias de cette cause, la maître de conférences Maureen Murphy, également « conseillère historique » de ce film ou encore plusieurs historiens/conservateurs africains tels que Gabin Djimassé, Didier Houenoude, Alain Godonou ou Hamady Bocoum. Au mieux deux intervenants restent neutres se contentant de rappeler certains faits, Gaëlle Beaujean, conservatrice au Musée du Quai Branly (de toute façon tenue au devoir de réserve) et Corinne Hershkovitch, avocate spécialisée dans le droit de l’art.

Mieux encore : non seulement aucun opposant aux « restitutions » n‘est présent dans ce documentaire, mais on peut même dire qu’ils en ont été écartés. Didier Rykner, un des deux auteurs de cet article, a en effet été interrogé par Laurent Védrine, et son témoignage a été complètement occulté. Que le réalisateur ait choisi de ne pas le retenir dans le montage définitif n’est pas sujet à controverse : il est libre de conserver ce qui lui paraît le plus représentatif. Qu’aucune intervention venant contester les thèses avancées dans le documentaire n’ait été utilisée dans le montage final est toutefois infiniment plus discutable.

Les fausses affirmations commencent dès le début du film. Nous passerons ainsi rapidement sur le mantra des 90% de l’art africain présents hors du continent qu’évoque le documentaire dès les premières minutes en renvoyant à un autre article publié sur ce site et traitant de cette infox.
Nous mentionnerons aussi succinctement les raccourcis historiques et juridiques qui mettent en relation les spoliations nazies et les prises de guerre coloniales avec toute la finesse d’une panzer division lancée en pleine campagne.

Il est fatigant de répéter les mêmes choses, mais rappelons quand même que les prises de guerres coloniales évoquées se déroulèrent à une époque antérieure à la convention de la Haye de 1899 et que nous parlons donc ici de pratiques tout aussi légales que courantes au XIXe siècle. Précisons encore comme l’écrivait Julien Volper, un des signataires de cet article, dans le Figaro en 2017 :
« Ainsi, personne ne croit bon corriger ceux qui évoquent le cas des restitutions des biens juifs spoliés sous le IIIème Reich en tentant de le comparer à celui des objets africains acquis à la période coloniale. Dans les faits, si les œuvres liées à la Seconde guerre mondiale ne sont pas concernées par les lois non-rétroactives de la convention UNESCO de 1970, ce n’est pas en raison d’une entorse aux règles qui se ferait par « favoritisme » pour une communauté que certains fantasment « protégée ». Simplement, les bases juridiques touchant à la restitution de l’ensemble des œuvres d’art (donc pas seulement les biens juifs) méthodiquement pillées par l’Allemagne ont été posées non pas en 1970, mais dès les années 1940 par les alliés. »

2. Olivier Pichat (1825-1912)
Le général Dumas
Huile sur toile - 217,5 x 212 cm
Villers-Cotterêts, Musée Alexandre Dumas
Photo : Musée Alexandre Dumas
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En 2020, le Président Emmanuel Macron a décidé de faire cadeau au Bénin de vingt-six pièces des collections du Musée du Quai Branly par le biais d’un projet de loi que le Sénat a refusé de voter en deuxième lecture (voir cet article).
Comme il est précisé par Julien Volper dans une note de l’Institut Thomas More, les vingt-six objets sont de nature très diverse et ne sont pas tous des « objets d’art ». En revanche, ils représentaient l’intégralité de la collection Alfred-Amédée Dodds l’officier en charge de la campagne militaire du Dahomey.
Durant l’occupation allemande, le gouvernement de Vichy, faisant suite au décret du 11 décembre 1941, avait effacé la mémoire d’un officier supérieur d’origine africaine, le général Dumas (ill. 2), en faisant mettre à bas sa statue. Près de quatre-vingts ans plus tard, le gouvernement Macron, décida de faire disparaître d’un musée un autre général issu de la diversité [3]. Rappelons en effet que Dodds était métis, un détail soigneusement éludé dans ce documentaire où le mal absolu se doit d’être d’une couleur bien précise. Cet acte de suppression mémorielle nous apparaît par ailleurs assez ironique dans la mesure où le gouvernement a décidé récemment de promouvoir ladite diversité dans l’espace public français.

3. Ekplekendo Akati (actif au XIXe siècle)
Statue du Dieu Gou
Fer martelé, bois - 178,3 x 53 x 60 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : Ji-Elle (CC BY-SA 3.0)
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Alors même que les vingt-six pièces ne sont pas encore arrivées au Bénin et que le musée financé par la France qui doit les accueillir n’est pas encore construit, des voix se font donc déjà entendre pour réclamer une œuvre supplémentaire aux musées français : la fameuse statue du dieu Gou (ill. 3), une sculpture en fer qui est l’objet principal du film, lequel cristalliserait les querelles actuelles sur les restitutions France-Bénin.
Il est vrai que les pro-restitutions auraient tort ne pas amplifier leurs revendications tant qu’Emmanuel Macron, qui considère d’une manière brutale les collections nationales comme sa propriété, exerce la fonction suprême.
En ce sens, le film Restituer l’art africain, les fantômes de la colonisation joue clairement son rôle de soutien inconditionnel à cette réclamation au moyen d’une propagande simpliste qu’accompagne une bien commode amnésie sélective de l’Histoire
Dans ce documentaire, l’histoire du dieu Gou prend en compte sa réception en Europe et la construction progressive de son statut de chef-d’œuvre de l’art africain auquel n’est pas étranger Guillaume Apollinaire au sujet duquel le film nous révèle qu’il est mort de ses blessures lors de la Grande Guerre, alors que la cause de son décès est bien la grippe espagnole. Mais nous n’en sommes plus à une approximation près.
Il est aussi et surtout question du fait que l’objet a bel et bien été une prise de guerre réalisée en 1892 par un lieutenant Fonssagrives de la 3ème compagnie d’Haoussas liée au corps expéditionnaire dirigé par le colonel Alfred-Amédée Dodds contre le roi Behanzin du Dahomey [4].

Eugène Fonssagrives s’empara de cette statue en fer abandonnée que l’armée dahoméenne avait initialement emportée à Ouidah pour s’attirer les faveurs martiales de la divinité contre les Français... ce qui ne fut pas un franc succès.
De l’histoire de cet objet avant sa récupération par Fonssagrives, le reportage ne nous dit pas grand-chose si ce n’est, afin de rendre la spoliation moralement plus odieuse au spectateur, qu’il s’agissait d’un objet rituel important. Le narrateur du documentaire nous explique aussi que cette statue était une création d’un : « … artiste-forgeron très renommé auquel les souverains du Danhomè, à la manière des rois de France, passaient commande de véritables objets d’art. »
Cet homme avait pour nom Ekplekendo Akati. Ce que ne dit pas le reportage c’est que cet artiste était en fait un prisonnier de guerre, un prestigieux butin humain que l’on dit parfois d’origine yoruba, qui fut amené à Abomey (la capitale du Dahomey/Danhomè) après une conquête militaire menée, selon les versions, soit sous le règne de Glele soit sous celui de Ghezo [5].

Quant à la statue elle-même, là encore les avis divergent. Si certaines hypothèses suggèrent qu‘elle a été réalisée par Ekplekendo Akati après son déplacement à Abomey, d’autres sources en font un butin de guerre saisi en même temps que son créateur lors de la conquête par les troupes dahoméennes de la cité-état de Doumé à la fin des années 1850 ou au début des années 1860 [6].
Cette pratique du butin était tout à fait ancrée dans les lois de la guerre dahoméenne. Ainsi, le 17 juillet 1886, lorsque les troupes du roi Glele ravagèrent la cité-état de Ketou, ils emportèrent avec eux deux grandes portes sculptées, fierté de la cité rasée, à dos de captifs de guerre jusqu’à Abomey. Bien entendu, rien de tout cela n’est dit dans le reportage qui ne vise qu’à donner un aspect très lissé et « wakandien » de ce royaume qui ne semble, à écouter le narrateur, n’avoir jamais utilisé son armée que pour se défendre contre les Français. La réalité est toute autre. Le Dahomey, comme d’autres royaumes africains et comme les états européens du XIXe siècle, asseyait sa puissance sur des conquêtes militaires et des soumissions de peuples. Entre 1850 et 1889, il fut estimé que les expéditions militaires dahoméennes sur le seul territoire de Porto-Novo avaient causé plus de 2500 morts et entraîné la capture de plus de 7000 individus.

Parfois, les captifs de guerre contribuaient bien malgré eux à la création d’œuvres d’art. Il est ainsi relativement savoureux de voir dans le reportage une vidéo d’archives montrant une exhibition de trônes dahoméens avec, à l’arrière, trois personnages, dont un qui présente à la caméra trois « chasse-mouches » d’un genre bien particulier. Ici la voix du narrateur se fait tragique en évoquant les pertes de mémoire et du sens initial de ces œuvres.
Pour ce qui est de redonner un certain sens à ces pièces, on précisera que les trois chasse-mouches exhibés sont des regalia confectionnés à partir de crânes d’ennemis décapités. Il en va de même pour ceux qui forment les pieds de l’un des grands trônes habituellement considéré comme étant celui du roi Ghezo. Il y avait même une famille d’artisan, celle des Metakonto, spécialisée dans la préparation de ce matériau ornemental humain [7].

Encore une fois nous ne pouvons qu’insister sur la manière dont ce reportage, comme nombre d’articles ayant défendu la politique de restitution poussée par Emmanuel Macron, présente une vision entièrement partiale de l’histoire, occultant tout ce qui ne va pas dans le sens voulu. La raison est simple : puisque le fer de lance argumentaire visant à légitimer ces restitutions repose presque exclusivement sur la morale, il y a tout intérêt à évacuer les éléments historiques qui pourraient ternir le tableau idyllique que l’on fait des peuples spoliés.
Néanmoins, comme nous l’avons déjà écrit, cette vision manichéenne du XXIe siècle dépeignant un « Bon Noir » et un« Mauvais Blanc » est tout aussi erronée que la vision colonialiste du XIXe mettant en parallèle « l’Européen civilisé » et « l’Indigène barbare ». Dans les deux cas nous sommes dans une optique de propagande qui met de côté l’histoire, l’ethnographie... et accessoirement le droit.

4. Pierre Verger
Le grand goubassa,
photographié vers 1950
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Un autre point est omis dans ce documentaire : à côté du dieu Gou actuellement exposé au Musée du Louvre, il existe une autre œuvre tout aussi fameuse que l’on attribue à Ekplekendo Akati. Il s’agit du grand goubassa, le « sabre de gou », pesant près de 15 kilos, que le roi brandissait en direction du territoire qu’il souhaitait soumettre avant de lancer une campagne militaire. Cet objet, bien connu par une magnifique photo réalisée par Pierre Verger dans les années 1950 (ill. 4), faisait partie jusque récemment des collections muséales béninoises. Il fut volé au tout début des années 2000 et aucune piste sérieuse n’a permis de le retrouver. Il est curieux que le réalisateur du documentaire Restituer l’art africain, les fantômes de la colonisation, pourtant très attaché aux pertes patrimoniales, n’ait pas mentionné cet objet. En revanche, on entend bien Hamady Bocoum, directeur du Musée des Civilisations Noires de Dakar y affirmer fièrement que la destinée des objets qui seront « restitués » importe peu : ils pourraient être en effet « brûlés ou enterrés. Quand vous nous rendez nos objets, il ne faut pas nous dire ce qu’on doit en faire. On fera ce qu’on en voudra ». Détruire des objets d’art parce qu’on a le droit de le faire, voilà une parole étrange dans la bouche d’un conservateur de musées, et il est plus étrange encore de l’entendre dans un documentaire financé par les contribuables puisqu’il est produit par France 5, avec la participation de la Région Île-de-France… au moins, on sait où passent nos impôts.

A bien y réfléchir, de tels propos pourraient même faire écho au discours des Talibans qui, après tout, avaient bien le droit de faire sauter les Bouddhas de Bâmiyân situé dans leur pays dont ils étaient devenus les maîtres ! Que nous importe donc que cette œuvre d’Ekplekendo Akati ait été volée ? Ils en font bien ce qu’ils veulent et les musées français semblent, dans l’esprit du président Macron, avoir pour nouveau rôle, si besoin, de combler les pertes [8]

Nous ne pouvions conclure cet article sans pointer également la mise en avant dans le documentaire d’une scène bien connue du film hollywoodien Black Panther. En l’utilisant, Laurent Védrine marche clairement dans les pas de Bénédicte Savoy qui fit abondamment référence à cet extrait jusque dans le fameux rapport Sarr-Savoy où il est défini comme un « fascinant dialogue entre un jeune Africain-Américain et une conservatrice de musée. ». Nous traiterons en détail de ce « fascinant dialogue » dans un très prochain article.

Julien Volper et Didier Rykner

Notes

[1Laurent Védrine est le fils du politique Hubert Védrine, lequel travailla notamment avec Lionel Zinsou à l’élaboration de « 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France » en 2013 (voir cet article).

[2Vous pouvez le voir sur le site de France Télévision jusqu’au 24 juin 2021.

[3Dans un article du journal Le Monde daté du 04 février 2021, on peut apprendre que la réalisation d’une réplique de la statue de Dumas détruite a été décidée à l’unanimité par les élus de Paris.
Toutefois, à une époque où l’anachronisme de jugement à la sauce woke prime, il importe d’être méfiant, car le Général Dumas pourrait bien être considéré comme une figure « colonialiste et islamophobe ». En effet, ne participa-t-il pas, certes avec courage, à la répression de la révolte du Caire de 1798. Comme l’écrivit Alexandre Dumas dans ses Mémoires (édition de Michel Levy, 1863, Tome 1, p.164), bon nombre d’insurgés : « … et surtout les principaux chefs, s’étaient réfugiés dans la grande mosquée. Mon père reçut l’ordre d’aller les y attaquer, et de frapper ainsi au cœur ce qui restait de l’insurrection. Les portes furent brisées à coups de canon, et mon père, lançant son cheval au grand galop, entra le premier dans la mosquée. Le hasard fit qu’en face de la porte, c’est-à-dire sur la route que parcourait dans sa course le cheval de mon père, se trouvait un tombeau élevé de trois pieds, à peu près. En rencontrant cet obstacle, le cheval s’arrêta court, se cabra, et, laissant retomber ses deux pieds de devant sur le tombeau, demeura un instant immobile, les yeux sanglants et jetant la fumée par les naseaux. L’ange ! l’ange ! crièrent les Arabes. Leur résistance ne fut plus que la lutte du désespoir chez quelques-uns, mais chez la plupart la résignation au fatalisme. »

[4Ces grades de colonel et de lieutenant sont ceux qu’avaient respectivement Dodds et Fonssagrives au début de la campagne d’Abomey (1892-1894). Puisqu’il est question d’homme ayant combattu dans le camp français, nous nous permettons ici d’ouvrir une parenthèse anecdotique pour préciser que parmi les soldats qui combattirent Behanzin se trouvait l’un de ses frères : Koulery Ouibero. Ce dernier passa sa vie dans différents corps d’armée française et atteignit le grade de sous-lieutenant au 351ème régiment d’Infanterie. Décoré de la médaille militaire en 1909, il mourut et fut enterré à Neufchâteau en 1915.

[5Glele, père de Behanzin régna de 1858 à 1889. Quant à Ghezo, le père de Glele, il régna de 1818 à 1858.

[6Cette histoire que le réalisateur a décidé d’« oublier » n’est pas un scoop, loin de là. En fait, depuis les années 1990, plusieurs chercheurs ont publié sur ce sujet… dont Gaëlle Beaujean et Maureen Murphy qui, rappelons-le, font pourtant partie des interviewés de Restituer l’art africain, les fantômes de la colonisation

[7Le trône de Ghezo et l’un des chasse-mouches sont exposés de nos jours au Musée Historique d’Abomey (voir ici).

[8Voir notamment sur ce sujet un article initialement paru dans Marianne et accessible via le lien suivant.

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