Place Daumesnil-Félix Éboué : absence de protection et menaces

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Nous ne cessons de dénoncer la sous-protection du patrimoine français, et notamment parisien, un constat récemment repris par la ministre de la Culture elle-même (voir l’article). Cette sous-protection peut être à nouveau illustrée par un cas très précis : la fontaine aux Lions de la place Félix Éboué (ill. 1), qui s’appelait autrefois la place Daumesnil.
Dû à Gabriel Davioud et orné de lions en bronze crachant de l’eau par Henri-Alfred Jacquemart (ill. 2), l’un des meilleurs sculpteurs animaliers du XIXe siècle, ce monument fut d’abord conçu pour la place de la République qui s’appelait alors - c’était sous le Second Empire - la place du Château-d’Eau (la fontaine est également connue sous le nom de Fontaine du Château-d’Eau). Terminée en 1874, elle fut très rapidement déplacée, dans les années 1880, sur la place Daumesnil


1. Gabriel Davioud (1824-1881) et Henri-Alfred Jacquemart (1824-1896)
Fontaine des Lions
Paris, place Daumesnil-Félix Éboué
Photo : Teofilo (CC BY-SA 2.0)
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Son intérêt artistique ne fait aucun doute et l’anomalie que constitue sa non protection également. Conçue par le même Davioud et comportant aussi des sculptures (les deux dragons) de Jacquemart, la fontaine Saint-Michel est inscrite depuis 1926 ; la fontaine du Châtelet, également par Davioud et Jacquemart (avec Boizot), l’est depuis 1925 ; la fontaine de l’Observatoire, encore de Davioud (avec Carpeaux et d’autres sculpteurs, mais sans Jacquemart) est inscrite elle aussi depuis 1926… Bref, ces autres fontaines sont protégées (elles devraient d’ailleurs être classées), mais pour on ne sait quelle raison, celle de la place Félix Éboué ne l’est pas.


2. Gabriel Davioud (1824-1881) et Henri-Alfred Jacquemart (1824-1896)
Fontaine des Lions
Paris, place Daumesnil-Félix Éboué
Photo : Teofilo (CC BY-SA 2.0)
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Si cela avait été le cas, il aurait été plus difficile à la Ville de Paris de mener son projet actuel de réaménagement, et encore cela n’est pas certain. En effet, la place (ill. 3) étant dans le périmètre protégé de l’église du Saint-Esprit, ces travaux requéraient l’avis - conforme rappelons-le - de l’ABF. On ne saura jamais ce qu’il en pensait vraiment. En effet, au terme des deux mois pendant lesquels il pouvait donner son avis, il s’en est bien abstenu. Et puisqu’absence d’avis vaut avis favorable, la Ville a pu commencer les travaux qui ont déjà consisté à supprimer deux massifs plantés et à mener une reprise des réseaux souterrains. On entrera bientôt dans le vif du sujet qui consistera à profondément remanier les lieux. Il s’agira de transformer la place non plus en un rond-point, ce qui est sa nature, mais comme c’est désormais l’habitude à Paris, en un « fer à cheval » (ill. 4) qui déportera la circulations automobile d’un seul côté (au nord), réservant l’autre côté aux vélos, sur le modèle de la place de la République et de la place de la Bastille.


3. La place Daumesnil-Félix Éboué actuellement (même pas d’ailleurs puisque les deux massifs à l’ouest ont déjà été détruits)
Photo : Google Maps
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4. Projet de la Ville de Paris pour la
place Daumesnil-Félix Éboué
On constate notamment que les
arbres sont implantés n’importe comment
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Nous n’entrerons pas ici sur quelques-unes des questions qui mobilisent les riverains (sécurité des piétons mal assurée par un chaos prévisible de la circulation proche de la situation de la place de la Bastille, nuisances sonores du côté qui verra passer toute la circulation automobile, etc.) pour ne nous concentrer que sur l’esthétique et l’urbanisme.
Comme partout il est question de planter de nouveaux arbres. Et cela serait possible, si le tout était pensé par un urbaniste et un paysagiste. Mais ce sont les services de la Ville de Paris qui mènent tout en interne, et en se basant sur le projet de deux associations de cyclistes. Il suffit d’ailleurs de comparer le schéma que celles-ci ont proposé au début du processus de « concertation » et le plan finalement retenu pour constater qu’ils sont très proches.

C’est la fin de la symétrie de la place, qui est un point essentiel de l’urbanisme en général et de l’urbanisme « haussmannien » en particulier ; les perspectives seront obstruées par les arbres plantés sans aucune prise en compte de la fontaine dont la vue sera masquée ; il n’y aura aucune composition urbanistique ni paysagère. Les pelouses d’ailleurs, pas davantage que les arbres plantés, ne sont symétriques. On a l’impression de se trouver devant un brouillon élaboré par des amateurs.
L’association des riverains de la place Daumesnil-Félix Éboué ne se contente pas de protester, à juste titre, contre cet aménagement, et de le porter devant la justice (mais on sait qu’il est probable que le jugement sur le fond n’interviendra pas avant la fin des travaux). Elle propose un contre-projet dont elle ne prétend d’ailleurs pas qu’il devrait être mis en œuvre tel quel mais qu’il pourrait être une base de travail à reprendre par des professionnels, architecte, urbaniste et/ou paysagiste.

Anne Hidalgo a célébré, lors de la présentation du projet pour les abords de Notre-Dame (voir l’article), les projets « consensuels » et « qui ne s’encombrent pas de polémiques ». Elle serait inspirée de mettre en œuvre cette excellent idée partout.

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