Non au bassin de Saint-Germain-en-Laye, oui à Chantilly et à Vaux-le-Vicomte !

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On connaît les projets de reconstruction d’édifices détruits depuis un siècle ou plus. Voilà désormais celui de la construction d’un bassin qui a disparu depuis plus de trois siècles, et qui peut-être même n’a jamais existé, le grand bassin du parc de Saint-Germain-en-Laye. Car si on le voit sur certaines gravures (ill. 1), il est possible que celles-ci reflètent un état idéal, projeté comme cela est souvent le cas. En réalité, aucune preuve de son existence n’a jamais été apportée (aucune archive écrite ni aucun témoignage fiable ne le prouve), l’aménagement du parc ayant été abandonné par Louis XIV en 1682 lorsque celui-ci choisit Versailles comme résidence. On mesure donc l’urgence et la pertinence de la chose.


1. Adam Pérelle (1638-1695)
Vue du château vieux de Saint-Germain-en-Laye, côté jardins
Estampe
Londres, Victoria & Albert Museum
Photo : Victoria & Albart Museum
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2. Vue du Grand Parterre devant le château, au bout l’emplacement du futur bassin
Photo : Fondation du Patrimoine
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Le promoteur de cette brillante idée est la ville de Saint-Germain-en-Laye, avec l’aide (la complicité aimerions-nous écrire) du ministère de la Culture, puisque l’on est ici sur un domaine national.
Que cet endroit, qui se trouve au bout du Grand Parterre (ill. 2), au croisement de l’allée Louis XIV et de l’allée Dauphine (ill. 3) ne soit pas le plus accueillant du parc (ill. 4), c’est indéniable. Mais il était très simple de l’aménager, en y créant une pelouse, avec quelques parterres de fleurs. C’eût été trop facile, et pas assez prestigieux. On a donc pris le prétexte de l’inachèvement de ce lieu, depuis trois siècles et demi, et comme si l’environnement n’avait pas quelque peu évolué (on est à la lisière du parc, qui a été grignoté par la ville) pour « reconstruire » quelque chose qui n’a jamais été construit.


3. Vue aérienne de l’emplacement du futur bassin
Photo : Google Maps
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4. Emplacement du futur bassin
Photo : Google Maps
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Cela ne serait finalement pas très grave : après tout, reconstituer ici un bassin avec un jet d’eau ne serait pas anachronique, ni choquant. Ce qui l’est bien davantage, c’est son coût : pas moins de 4,6 millions d’euros. Heureusement que la France n’est pas en faillite, que nous ne sommes pas au milieu d’une pandémie qui met à mal l’économie du patrimoine, des monuments historiques et des musées. Il s’agirait d’argent privé, cela serait déjà gênant, mais évidemment, comme pour la flèche de Saint-Denis (beaucoup plus gênante architecturalement et patrimonialement parlant), tout ou presque sera financé par le public. La plus grande part du financement proviendra de la Ville de Saint-Germain-en-Laye, tandis que l’entreprise Suez donnera 300 000 € (donc 180 000 € d’argent public via les dégrèvements d’impôt) et l’État 500 000 € !

Pour le maire de Saint-Germain-en-Laye, Arnaud Péricard, avec qui nous avons pu nous entretenir, il s’agit de « réparer un oubli de l’histoire ». Nous avouons ne pas bien comprendre l’argument. Il nous dit également que c’est une volonté des Saint-Germanois, ce qui, si c’est vrai, ne change rien au fait qu’on s’apprête à dépenser beaucoup d’argent public pour une opération inutile. Il nous a ensuite quasiment accusé de reprendre les arguments de l’opposition socialiste, comme si nous nous intéressions aux querelles politiques de Saint-Germain-en-Laye. Comme nous l’avons souvent écrit : nous faisons du journalisme engagé, mais pas au service d’un parti ou d’une couleur politique.

Le maire nous a également fait valoir le bilan de son action patrimoniale, soulignant notamment la rénovation totale de la maison de Claude Debussy, ou la restauration de l’église. Nous ne nions aucunement ces projets vertueux, mais nous ne voyons pas bien le rapport avec le fait de dépenser 4,6 millions d’euros pour refaire (ou faire) un bassin ayant disparu depuis le XVIIe siècle, en supposant qu’il ait jamais existé. Et nous pourrions aussi rappeler que Saint-Germain-en-Laye, qui bénéficie d’un musée départemental (Maurice Denis, actuellement fermé mais en travaux) et national (dans le château) ne fait pas grand chose depuis des décennies pour ouvrir son propre musée municipal, entièrement en réserves.

Une des choses les plus gênantes de cette opération est l’appel à la souscription publique, et que celle-ci soit faite par la Fondation du Patrimoine. Nous sommes souvent favorables aux actions de la Fondation du Patrimoine qui est un acteur important de la protection et de la sauvegarde des monuments historiques. Or il ne s’agit ici ni de protéger, ni de sauvegarder un monument historique, mais de construire un bassin qui n’existe pas. La Fondation du Patrimoine nous a répondu que le projet étant soutenu par l’État, elle n’avait pas vocation à remettre cela en question, ses seules obligations étant de vérifier si le projet est faisable, viable, s’il y a des financeurs et si les collectivités le soutiennent, ce qu’elle nous a dit être le cas ici. Nous persistons néanmoins à penser que la Fondation du Patrimoine se fourvoie dans une telle opération qui semble bien loin de son objet.


5. Grande galerie de peintures du Musée Condé
Photo : Didier Rykner
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Si tout cela se passait en période d’opulence pour les musées et le patrimoine, ce serait un moindre mal. Or la situation devient grave pour certains monuments historiques, comme le château de Chantilly (ill. 5), qui appartient à l’Institut. Si ce dernier possède un très gros patrimoine, celui-ci est presque entièrement figé par les conditions des donateurs, et ne peut être mutualisé. Le domaine de Chantilly a fait une perte en 2020 de 5,5 millions d’euros, et sera sans trésorerie à partir d’avril. Autant dire que sa situation est délicate. Sachant que l’Institut est placé sous la protection de la présidence de la République, Chantilly a eu, comme nous l’a dit Christophe Tardieu, des contacts encourageants avec Emmanuel Macron et Bruno Le Maire, le ministre des Finances, mais pour l’instant l’État n’a encore rien fait.
Les châteaux privés tels Vaux-le-Vicomte (ill. 6) souffrent aussi, même s’ils bénéficient, eux, d’une aide importante de l’État, notamment via l’accès au chômage partiel et au prêt garanti. Alexandre de Vogüe nous a confirmé que ces dispositifs étaient très précieux et permettait indiscutablement de les aider considérablement. Grâce à cela, le château a pu éviter tout licenciement. La situation est donc, au moins pour ce château, moins inquiétante, mais reste délicate. Cela ne l’empêche pas de poursuivre la restauration du grand Salon, et de prévoir dans les deux à trois ans à venir la mise en eau continue des fontaines pendant les jours et les soirées d’ouverture, en prenant l’eau du grand canal et en la faisant remonter grâce à une pompe, avant qu’elle n’y retourne en jaillissant de manière gravitationnelle.


6. Charles Le Brun (1619-1691)
Le Triomphe de la Fidélité et Les Muses
Huile sur toile (centre) et huile sur enduit (voussures)
Vaux-le-Vicomte, château
Photo : Christian Gluckman
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Comment peut-on alors détourner ainsi la générosité du public pour une cause au mieux sans intérêt comme la reconstruction de ce bassin à Saint-Germain-en-Laye au détriment de tels monuments, parfois menacés dans leur survie même. Nous pourrions dire la même chose du ministère de la Culture qui donne 500 000 € pour créer de toute pièce un bassin et qui - pour l’instant au moins - n’est toujours pas venu au secours de Chantilly. Tout cela est absurde.

Une seule conclusion : donnez ! Mais donnez à Chantilly, à Vaux-le-Vicomte, ou à d’autres vrais projets de restauration, ou encore aux associations de protection du patrimoine. Pas à Saint-Germain-en-Laye pour reconstruire leur bassin. Et exigeons tous la réouverture des musées et des monuments.

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