Les effets destructeurs de la loi Elan (1) : Sierck-les-Bains

Nous l’avions dit, avec beaucoup d’autres : la loi Elan, mise en place par l’ancien Premier ministre et le président de la République, allait signer une nouvelle vague de vandalisme pour le patrimoine français. Il n’a pas fallu longtemps pour le constater, comme le prouvent quelques exemples édifiants dont nous avons été informés et qui sont certainement infiniment plus nombreux. Nous aimerions donc entendre sur ce sujet la nouvelle ministre, et surtout la voir agir car le ministère de la Culture n’est pas sans ressources face à ces démolitions à venir. Encore faut-il avoir la volonté de faire quelque chose.

Nous ouvrons donc ici, malheureusement, une série d’articles qui menace d’être très fournie. Nous avions d’ailleurs déjà parlé de maisons détruites dans un secteur sauvegardé en raison de l’application de la loi Elan, contre l’avis de l’ABF. C’était à Marseille (voir l’article). Nous regrettions alors que les nouveaux élus appliquent ainsi une décision prise par leurs prédécesseurs.
Il y a parfois de bonnes nouvelles et celle que nous avons de Marseille va plutôt dans le bon sens. En effet, d’autres maisons anciennes étaient également menacées rue d’Aubagne, toujours à cause de la loi Elan et contre l’avis de l’ABF. Mais la mairie a décidé il y a quelques jours d’annuler les arrêtés de démolition. Si cette nouvelle politique se confirme, il faudra en créditer les nouveaux élus. Nous reviendrons ultérieurement sur la politique marseillaise et cette inflexion qu’elle connaît. Mais notre objectif ici est de parler d’une nouvelle menace, en Moselle, qui concerne un monument encore plus important que les édifices détruits à Marseille.


1. La maison Berweiller avec dans son environnement immédiat le chevet de l’église
Photo : Bernard Blanc (CC BY-NC-SA 2.0)
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C’est un article du Républicain Lorrain dont nous n’avons pris connaissance que très récemment qui a révélé les faits. Une maison datant de 1624 (ill. 1 et 2), à Sierck-les-Bains, d’une qualité telle qu’elle mériterait au moins une inscription aux monuments historiques, sinon un classement, va être rasée par la municipalité qui a pris un arrêté de péril, une destruction qui selon nos informations devrait avoir lieu en décembre prochain, si rien n’est fait pour s’y opposer.
Écoutons ce qu’écrit l’architecte des bâtiments de France à propos de cette maison, dans un courrier envoyé à la mairie en réponse à la modification du plan local d’urbanisme, que l’on peut trouver en ligne : « Cette maison de drapier, construite en 1624, est l’une des plus remarquable de la ville tant d’un point de vue architectural, que d’un point de vue historique. L’édifice est caractéristique de l’architecture du 1er quart du XVII° siècle avec ses fenêtres à croisées et décors sculptés de qualité en place. L’immeuble est repéré par l’inventaire régional qui signale son intérêt. Il est également cité en exemple dans des ouvrages scientifiques et grand public. Il est à juste titre référencé comme immeuble remarquable dans le plan local d’urbanisme approuvé en juin 2018. Il fait l’objet d’une fiche immeuble mentionnant comme objectif la restauration du bâtiment. » On ne saurait être plus clair sur le très grand intérêt de cet édifice, sinon en en montrant quelques photos.


2. La maison Berweiller à Sierck-les-Bains en Moselle datant de 1624, bientôt détruite par la municipalité
Photo : Patrick Heckel
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Nous avons interrogé la mairie qui nous a envoyé un récit très circonstancié des faits ayant amené cette maison à son état de délabrement actuel. Celle-ci appartenait à une famille modeste qui n’avait pas la possibilité d’y faire des travaux. Elle a depuis été relogée. La municipalité a mandaté un cabinet d’expert pour établir un diagnostic. Signalons que ce cabinet, qui n’est en aucun cas spécialisté dans l’architecture du patrimoine, a été choisi et payé par la mairie et seulement par la mairie, ce qui ne garantit pas l’indépendance qui devrait être le cas dans une telle situation. Il conclut au mauvais état du bâtiment (ce que personne ne conteste), et la mairie affirme que la réhabilitation coûterait la somme de 1 635 000 €.
Nous sommes habitués à ce type d’argument : une restauration hors de prix, difficile à mener pour une petite commune (Sierck-les-Bains a 1755 habitants), qui impliquerait forcément une démolition. Outre le caractère éminemment discutable de ce chiffrage qui ne vient que d’une seule source, nous savons par ailleurs qu’aucune recherche sérieuse de subvention n’a été menée. La protection monument historique - qui n’est bien entendu pas demandée par la commune - permettrait une aide de l’État, et d’autres financements pourraient venir du département, de la région, et de partenaires privés tels que la Fondation du Patrimoine ou la Sauvegarde de l’Art Français. Or rien de tel n’a été entrepris : la seule solution de la mairie est la destruction.

La Direction Régionale des Affaires Culturelles a pourtant jusqu’à présent joué son rôle, en essayant de ramener la ville à de meilleurs résolutions, et en proposant des solutions alternatives, ce qui prouve qu’elles existent et ce qui réduit à néant les arguments de la mairie. Le service déconcentré du ministère de la Culture nous affirme être « fortement mobilisé sur le patrimoine de cette commune depuis de nombreuses années, et en particulier sur la préservation de cet immeuble ». Il ajoute que « L’architecte des bâtiments de France a rendu un avis consultatif défavorable dans le cadre de la procédure de péril ordinaire demandant la démolition du bâtiment, confirmé par le conservateur régional de l’archéologie de Metz et l’inspecteur des patrimoines du ministère de la culture. » On imagine mal tous ces services demander la préservation d’un monument sans intérêt ou qui ne pourrait pas être restauré. Mieux encore : la consolidation provisoire du monument, notamment en l’étayant, qui supprimerait tout risque d’effondrement, serait moins coûteuse qu’une démolition comme nous l’a également confirmé la DRAC. Celle-ci permettrait de donner du temps pour étudier les solutions possibles, notamment par des crédits ANAH-RHI (agence nationale de l’habitat / Résorption de l’habitat insalubre irrémédiable ou dangereux) qui pourraient ainsi s’ajouter aux financements publics et privés que nous évoquions plus haut.


3. Cartel de la Maison Berweiller établi par la commune de Sierck-les-Bains qui s’apprête à la détruire
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La destruction de cette maison du début du XVIIe siècle, dont l’aspect relève encore du siècle précédent, serait un acte de vandalisme inqualifiable dont on s’étonne qu’il puisse être seulement envisagé par la maire de la ville, Helen Lambard Hammond. Remarquons que le parcours touristique organisé par la Ville elle-même signale cette maison comme un élément important de son patrimoine. Il est de son devoir de transmettre ce bâtiment aux générations futures. Cela est d’autant plus inquiétant que d’autres maisons anciennes sont en péril dans cette commune, et qu’autoriser la démolition d’un des plus beaux bâtiments de la ville reviendrait forcément à lui donner un blanc-seing pour d’autres destructions à venir. Une autre maison doit d’ailleurs être démolie, et là encore l’Architecte des Bâtiments de France s’y oppose, mais son avis n’est plus conforme [1] en raison de la loi Elan.

Il reste encore des solutions pour la DRAC : poser une instance de classement sur cet édifice, ce qui empêcherait la destruction prochaine, protéger effectivement cette maison (soit par une inscription, qui ne nécessite pas l’accord des propriétaires, soit même par un classement monument historique, qui peut être imposé d’office), et mettre en œuvre les travaux de consolidation qui s’imposent, avec ou sans l’accord de la mairie. Des outils existent encore pour protéger le patrimoine, ils doivent être utilisés.

La maire de la Ville porte évidemment une lourde responsabilité dans ce vandalisme futur, et les nombreuses réactions sur le site présentant la modification du PLU montre que la population du village est scandalisée.
Mais les premiers responsables sont bien Édouard Philippe et Emmanuel Macron, qui ont voulu cette loi scélérate qui interdit aux ABF d’empêcher la destruction de monuments non protégés en secteur sauvegardé ou dans le périmètre d’un monument historique (il s’agit ici de la citadelle de Sierck-les-Bains) sous prétexte de péril. Remarquons que le rapporteur de cette loi à l’Assemblée Nationale n’était autre que Richard Lioger, député... de Moselle, département où prend place ce scandale.
Comme nous l’a dit un architecte des bâtiments de France - ce n’est pas le cas à Sierck-les-Bains, mais ça l’est ailleurs - « il suffit d’enlever quelques tuiles, d’ouvrir en grand les fenêtres, et un bâtiment se dégradera très rapidement ». On fait ensuite appel à un cabinet d’expert que l’on rémunère pour donner le diagnostic de péril, et on peut détruire sans autre forme de procès. Il n’y a même pas besoin d’un « péril imminent » : un arrêté de « péril ordinaire » suffit. Voilà ce que permet la loi Elan. Nous sommes menacés de la plus grande vague de destructions urbaines depuis les années 1960.

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