Les chandeliers de Saint-Sulpice ôtés « temporairement »

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Les visiteurs de l’église Saint-Sulpice ont pu constater avec surprise que les grands chandeliers placés d’ordinaire sur le maître-autel ne s’y trouvaient plus (ill. 1 et 2). Une disparition qui pouvait inquiéter dans une église où, il y a quelques semaines, des grilles avaient été jetées et enlevées par les encombrants (voir la brève du 22/10/20).


1.Maître-autel de Saint-Sulpice
État actuel
Photo : Didier Rykner
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2. Maître-autel de Saint-Sulpice
État jusqu’à cet été
Photo : Zakarie Faibis (CC BY-SA 4.0)
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Nous nous sommes donc rendu sur place où l’on nous a expliqué que les chandeliers avaient été ôtés pour permettre à l’archevêque de dire la messe - une occasion qui arrive une fois tous les mois et demi environ - dans cette église qui sert aujourd’hui de cathédrale pendant la période d’inaccessibilité de Notre-Dame de Paris. La messe y est désormais célébrée sur le maître-autel, mais le célébrant se tient derrière celui-ci et face à l’assemblée contrairement à ce qui se pratiquait avant Vatican II. Une utilisation absurde de ce maître-autel qui n’a jamais été prévu pour une telle configuration et qui a nécessité l’installation d’une estrade qu’on nous a dit être provisoire et bientôt remplacée par une autre pérenne. Dans la plupart des églises, un petit autel moderne est installé pour permettre au prêtre de dire la messe de cette manière, et c’était d’ailleurs le cas à Saint-Sulpice.


3. Estrade installée derrière le maître-autel
Photo : Didier Rykner
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4. Eugène Atget
Maître-Autel de l’église Saint-Sulpice
Tirage photographique sur papier albuminé
Paris, Musée Carnavalet
Photo : Domaine public
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On sait à quel point le clergé français s’est rendu coupable de vandalisme dans les années 1960 pour se conformer à Vatican II. Sans aucune obligation (l’Italie, notamment, n’a pas connu cette vague d’enlèvement et de destructions), les églises françaises se sont débarrassées de tout ce qui les gênait et qu’elles considéraient ne plus avoir d’utilité. On ne compte pas le nombre de chaires, de bancs d’œuvres, de tables de communion, de maîtres-autels et de mobilier divers qui ont disparu dans cette vague iconoclaste qui n’avait pas eu d’équivalent en France depuis la Révolution.
On pouvait donc s’étonner de voir ce mouvement continuer à Saint-Sulpice pour plaire à l’archevêque. Alors que le tabernacle, qui se trouvait autrefois sur le maître-autel (ill. 4), avait déjà été enlevé (sans être détruit heureusement, il se trouve aujourd’hui sur l’autel de la sacristie des Mariages - ill. 5, fermée au public), voilà désormais que les très beaux chandeliers sont enlevés à l’admiration de tous pour être mis on ne sait où pour un temps indéterminé.


5. Isidore Choiselat (1784-1853)
Tabernacle du maître-autel de Saint-Sulpice installé dans la sacristie des Mariages
Photo : Didier Rykner
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Nous avons donc interrogé le diocèse qui nous a fait la réponse suivante : « Il apparait que le lieu actuel de célébration sur le maître-autel n’a pas été établi de manière permanente, comme vous le supposez, mais qu’il a été réfléchi, avec les équipes du diocèse et de la paroisse, pour s’adapter au mieux au contexte actuel « post-incendie » de Notre-Dame. En effet, Saint-Sulpice accueille de nombreuses grandes célébrations diocésaines qui ne peuvent plus avoir lieu à Notre-Dame et il apparait que le petit autel provisoire, d’ailleurs en mauvais état, devant le maître-autel, n’était pas adapté aux grandes célébrations liturgiques.
Les candélabres ont donc été mis de côté, pour l’instant, car ne permettant pas de célébrer la messe sur le maître-autel. Il avait été envisagé de les mettre derrière l’autel, à la hauteur de l’autel, pour préserver l’esthétique de l’ensemble, mais l’estrade qui est derrière l’autel est provisoire et ne permet pas d’y installer ces candélabres dans des conditions de sécurité satisfaisantes.
 »

Contrairement à ce qu’on nous avait affirmé, donc, on nous dit maintenant que cette installation serait « temporaire ». Nous en prenons note avec satisfaction, même si par habitude nous ne croyons pas beaucoup au temporaire fait pour durer des années.
Le diocèse a cru bon de rajouter ceci dans la réponse qui nous a été faite : « nous aimerions rappeler que "Le ministre du culte, desservant légitime a, seul, autorité dans l’édifice pour procéder aux aménagements intérieurs, notamment en ce qui concerne le mobilier liturgique [1]. S’il s’agit de travaux de restauration, de réparation, de modification, de mise aux normes de sécurité portant sur un édifice du culte classé ou un objet classé, une autorisation de l’administration compétente est exigée" ». Il a par ailleurs renvoyé à la loi de 1905 où se trouve cette disposition.


6. Jean-Baptiste Joseph Debay (1802-1862) et Isidore Choiselat (1784-1853)
Prédication du Christ, devant du maître-autel
Bronze doré
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Didier Rykner
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Nous aurions préféré qu’il s’épargne cette précision : car tout ce qui est légal n’est pas forcément légitime. Quand on a la chance d’être dans un endroit aussi beau et aussi important historiquement que l’église Saint-Sulpice, même si on a le droit d’enlever ou de déplacer sans autre forme de procès les œuvres qui nous ont été léguées par nos prédécesseurs, on a avant tout des devoirs. Nous aimerions que le clergé ait une conscience un peu plus aiguë de son devoir de protection du patrimoine.
Le chœur de Saint-Sulpice se trouve, peu ou prou, dans un état historique qui date de la Restauration et qui devrait être respecté. Le maître-autel (le quatrième qu’a connu l’église) est en effet une création de l’architecte Étienne-Hippolyte Godde, inauguré en 1824. Le devant d’autel, un relief en bronze doré représentant Jésus-Christ prêchant (ill. 6), est dû au sculpteur Jean-Baptiste Joseph Debay et à l’orfèvre Choiselat, le même qui est l’auteur du tabernacle, ainsi que des chandeliers qui ornaient encore il y a quelques semaines le maître-autel.


7. Edme Bouchardon (1698-1762)
Vierge Marie, avant restauration
Pierre de Tonnerre
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Miguel Hermoso Cuesta (CC BY-SA 3.0)
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8. Edme Bouchardon (1698-1762)
Vierge Marie, après restauration
Pierre de Tonnerre
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Didier Rykner
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Si l’enlèvement du petit autel récent qui venait occuper l’espace devant le maître-autel rend visible le relief de la Prédication du Christ (ce dont se réjouit le diocèse parce que cela met « mette ainsi en valeur le patrimoine de cette église » (sic), il reste que ce relief n’était pas occulté et qu’on pouvait le voir très bien en s’approchant du chœur.
Puisqu’il est hélas utopique d’imaginer qu’on pourrait dans cette église, compte-tenu de la configuration des lieux, faire une exception et revenir à la liturgie qui faisait dire au prêtre la messe dos aux fidèles (mais face à Dieu [2]), il faut au moins revenir rapidement (et en tout cas au plus tard lorsque la cathédrale Notre-Dame redeviendra la cathédrale de Paris) à l’état que nous connaissions jusqu’à présent, ou mieux encore, installer un autel discret en bas des marches et derrière le banc de communion. Il faudra même aller au-delà, et remettre à leur place non seulement les chandeliers, mais aussi le tabernacle qui fait partie de la même composition, par le même orfèvre, et qui n’aurait jamais dû être enlevé du maître-autel.


9. Louis-Simon Boizot (1743-1809)
Saint Jean-Baptiste (avant restauration)
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Didier Rykner
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10. Louis-Simon Boizot (1743-1809)
Saint Jean-Baptiste (après restauration)
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Didier Rykner
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Si une église n’est pas un musée, son histoire qui l’a vue enrichie progressivement d’œuvres d’art faites pour être vues par les fidèles doit être respectée, et encore davantage dans un édifice majeur comme Saint-Sulpice. Alors que les sculptures de Bouchardon dans le chœur (ill. 7 et 8) ainsi que la statue de saint Jean-Baptiste (ill. 9 et 10) et le mausolée de Jean-Baptiste Languet de Gergy (ill. 11 et 12) dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste viennent d’être restaurés, et que beaucoup se battent pour que les décors des autres chapelles le soient à leur tour, il est inadmissible que le diocèse se permette d’agir ainsi.


11. Michel-Ange Slodtz (1705-1764)
Mausolée de Jean-Baptiste Languet de Gergy (avant restauration)
Marbre
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Didier Rykner
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12. Michel-Ange Slodtz (1705-1764)
Mausolée de Jean-Baptiste Languet de Gergy (après restauration)
Marbre
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Didier Rykner
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