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- 1. La galerie Campana, toujours fermée
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Du temps du directorat de Jean-Luc Martinez, nous avions consacré deux articles à la fermeture au public des salles du Louvre (voir ici et là). La situation est-elle meilleure aujourd’hui ? Évidemment non.
Théoriquement, il n’y a plus de sections du Louvre qui soient fermées (en dehors du mardi) deux jours par semaine ou même trois jours comme c’était le cas en septembre-octobre 2019. Mais c’est en réalité bien pire. D’une part car les salles fermées pour travaux sont très nombreuses, d’autre part car celles théoriquement ouvertes sont souvent fermées, le plan d’ouverture, pourtant mis à jour très fréquemment [1], étant rarement fiable. Comme nous l’ont précisé les agents d’accueil sous la pyramide : « cela change tout le temps, même au cours de la journée, et nous ne pouvons pas renseigner les visiteurs ».
Nous avons surtout parcouru, à plusieurs reprises et des jours différents, les salles de peinture, y ajoutant parfois celles du premier étage dans l’aile est de la Cour carrée, qui mènent de la salle des Sept Cheminées à l’escalier permettant de rejoindre les peintures au deuxième étage. Cela nous a permis de constater que les salles de la galerie Campana, qui dépendent du département des Antiquités Grecques et Romaines (y sont conservées les vases grecs), mais qui montrent de très beaux décors peints de la première moitié du XIXe siècle, sont toujours fermées (ill. 1), même les jours où elles doivent ouvrir. Cela fait des années que nous n’avons pu les visiter.
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- 2. Salles ouvertes, mais fermées, vue à travers la porte transparente le 20 mars 2025 au Louvre
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- 3. Salles ouvertes, mais fermées, le 20 mars 2025 au Louvre
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Le jeudi 20 mars après-midi, nous nous sommes rendu au Louvre pour voir quelles salles étaient ouvertes. Ce n’était guère brillant. Les salles de peinture française des grands formats, notamment Champaigne (ill. 2) et Le Brun, qui étaient pourtant prévues ouvertes sur le « plan d’ouverture des salles », étaient inaccessibles. Idem pour Valentin et Poussin (ill. 3). La peinture française du XVIIe siècle, cela n’a pas d’importance pour le Louvre. Évidemment, les salles fermées théoriquement l’étaient effectivement.
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- 4. Salle fermée avec invitation à se renseigner sur le site du Louvre (voir ill. 5)
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- 5. Copie écran du site du Louvre indiquant que les salles fermées (voir ill. 4)
sont ouvertes... - Voir l´image dans sa page
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- 6. La salle des Sept Mètres,
ouverte, mais fermée
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Deux semaines plus tard, jeudi 3 avril aux alentours de midi, rebelote. Le document distribué aux visiteurs, cette fois soi-disant valable du 26 mars au 12 mai, n’était pas plus fiable. Au deuxième étage seules les Peintures d’Europe du Nord 1600-1850, à l’exception de la galerie de Marie de Médicis par Rubens, devaient être fermées. Mais la section Peintures d’Europe du Nord 1600-1850 qui était indiquée comme ouverte, était pourtant également fermée (« elle a fermé rapidement ce matin » nous a dit un agent de surveillance). À l’entrée de cette section, il était indiqué d’aller consulter les informations sur le site du Louvre (ill. 4), qui pourtant indiquait bel et bien son ouverture (ill. 5). Il devient désormais impossible de venir au Louvre pour voir une section précise en étant certain de pouvoir y accéder.
Les salles théoriquement ouvertes mais fermées se trouvent à tous les étages, et nous ne parlons que des peintures ! Un autre exemple : la salle des Sept Mètres entre l’escalier Daru et la Grande Galerie, qui montre des primitifs italiens, devait être ouverte. Elle était fermée (ill. 6).
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- 6. Ces tableaux italiens du XVIIe siècle sont souvent invisibles des visiteurs qui n’ont pas réservé pour l’exposition Cimabue (il arrive néanmoins que certains agents de surveillance compréhensifs les laissent passer)
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- 7. File d’attente de l’exposition Cimabue. Au Louvre, on attend avant d’entrer sous la Pyramide, on attend sous la Pyramide pour entrer au musée, et désormais on peut aussi attendre dans le musée
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Ces salles fermées de manière inopinée se rajoutent donc aux salles fermées de manière prévue et régulière, et aux salles fermées pour travaux. C’est ainsi par exemple que la grande salle des peintres espagnols, et donc les petits cabinets adjacents de peinture italienne, sont clos pendant de longs mois car on les rénove. Et comme si cela n’était pas suffisant, la salle dite Salvator Rosa qui la précède en venant de la Grande Galerie est transformée en salle d’exposition pour Cimabue (voir l’article). Cela entraine plusieurs conséquences pour les visiteurs. D’une part, ceux qui veulent voir les tableaux se trouvant à l’extrémité de la Grande Galerie sont empêchés de le faire s’ils n’ont pas de réservation pour l’exposition (ill. 7). Parfois, même les Amis du Louvre doivent faire la queue dans le musée (ill. 8) pour voir cette exposition (nous avons attendu une fois un quart-d’heure). Quant aux tableaux habituellement visibles à cet endroit, par exemple les Génois du XVIIe siècle, ils ont été envoyés en réserve. Rappelons qu’une partie de cette salle était encore récemment utilisée comme atelier de restauration, condamnant par la même occasion la vue sur la Seine.
Pour pallier - si l’on ose dire - la fermeture des salles espagnoles, une salle consacrée à des accrochages temporaires au deuxième étage au début de l’aile Richelieu accueille en tout et pour tout cinq tableaux de cette école (ill. 9 et 10). Une aumône faite aux visiteurs, un accrochage absurde dont le musée est très fier alors qu’on pourrait facilement y ajouter au moins huit peintures supplémentaires.
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- 8. La salle temporaire espagnole, avec un accrochage très peu dense
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- 9. La salle temporaire espagnole, où l’on préfère afficher de grands calicots que des tableaux
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- 10. Salle Jean Restout soi-disant fermée depuis des années pour travaux
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Si certains travaux sont réels, ces fermetures de salles dues à un manque de gardiennage sont souvent justifiées par des chantiers imaginaires. Rien de neuf, c’était déjà la technique employée sous Jean-Luc Martinez : mentir éhontément aux visiteurs pour expliquer qu’ils ne puissent pas accéder aux salles qu’ils souhaitent. C’est toujours le cas, par exemple de la salle Jean Restout (ill. 11) au milieu de la Colonnade au premier étage, qui depuis des lustres est en partie fermée (là encore il s’agit d’un atelier de restauration). Un panneau sur la cloison indique en effet que des travaux pour « entretenir et rénover » ses espaces sont en cours et ceci « dans un souci constant d’amélioration du confort des visiteurs et de la présentation des collections ». C’est d’ailleurs peu ou prou le même texte qui figure sur les fiches d’ouverture de salles distribuées au public qui en fait la demande, ou sur le site internet du musée. Sur ce dernier, on peut lire en effet : « Afin de vous offrir l’accueil le plus confortable et une meilleure expérience de visite, le musée du Louvre mène d’importants travaux d’entretien et de rénovation de ses espaces. Des fermetures supplémentaires peuvent être nécessaires en raison des conditions climatiques ou de soucis techniques. » Les soucis techniques et l’inévitable excuse des conditions climatiques ont bon dos… Non seulement on prive le public d’œuvres qu’il a payé pour voir, mais on se moque ouvertement de lui.
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- 11. Ces salles sont fermées,
mais pourquoi donc ?
Heureusement, une affiche
indique la raison (voir ill. 12)...
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- 12. Un gros mensonge, en quatre langues, ne devient pas une vérité
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Le dimanche 6 avril, nous avons renouvelé l’expérience. Cette fois, toutes les salles décrites comme ouvertes ce jour là [2], sauf bien sûr les galeries Campana, l’étaient effectivement. Presque toutes les salles du Louvre donc étaient accessibles… sauf celles fermées en raison de travaux effectifs, ce qui est déjà assez considérable.
Le mercredi 9 avril, soit aujourd’hui, nous sommes allé au Louvre en fin de matinée. Pour constater qu’une grande partie de l’aile Richelieu au deuxième étage était fermée au public, comme c’est prévu sur le « plan d’ouverture des salles » (la partie est, soit les peintures d’Europe du Nord 1400-1650 et les peintures françaises 1350-1650). On explique une nouvelle fois au visiteur qu’il y a des travaux en cours (ill. 12 et 13), ce qui répétons-le, est faux. Quant à l’aile Sully (autour de la Cour Carrée), une bonne partie qui devait être ouverte (correspondant peu ou prou à la peinture au temps de Louis XV) était fermée (ill. 14 et 15). Le Louvre est d’abord le musée de la peinture française, et celle-ci y est souvent invisible.
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- 13. Ouvert, théoriquement...
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- 14. Ouvert, théoriquement...
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Mais si Poussin, Vouet, Chardin, Greuze ou encore Boucher étaient invisibles au Louvre aujourd’hui comme ils le sont souvent, on pouvait voir comme tous les jours depuis le 24 mai de l’an dernier, et encore pendant un mois, quatre tableaux de Luc Tuymans (ill. 16) ! Précisons que nous n’avons rien contre cet artiste, plutôt talentueux, mais qu’a-t-il à faire au Louvre, à la place des tableaux de Valentin de Boulogne quand ceux-ci sont invisibles ? La vocation du Louvre est-elle d’exposer un peintre contemporain ou de montrer la peinture française des XVIIe et XVIIIe siècle ?
Précisions enfin que, bien entendu, la galerie Campana était, comme tous les jours, fermée.
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- 13. Exposition au Louvre de quatre peintures de Luc Tuymans,ouverte tous les jours, elle
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Les agents de surveillance que nous interrogeons régulièrement, et dont il faut souligner le plus souvent l’amabilité, sont formels : ces fermetures de salle, prévues ou imprévues, sont dues à leur nombre insuffisant. Et cela peut se constater facilement en comptant les gardiens dans les salles ouvertes. On se demande d’ailleurs pourquoi fermer des salles faute de gardiens alors que d’autres sont ouvertes sans aucune surveillance. Pourquoi dans ces conditions ne pas tout ouvrir ?
Remarquons qu’il est parfois difficile d’être précis. Certains gardiens croisés ne faisaient que passer, quittant probablement leur service ou allant déjeuner. Dès que nous avons eu un doute, nous avons toujours tenu à les compter comme surveillant effectivement. Nous avons également compté les quelques agents qui sont là sans vraiment surveiller, trop absorbés à regarder une vidéo ou à tapoter sur leur téléphone. Peut-on vraiment leur en faire le reproche ? Rien n’est fait pour les motiver. Un agent m’a confié que certains qui voulaient faire de la médiation ne le peuvent plus : elle n’était prévue que dans la « Petite Galerie » mise en place par Jean-Luc Martinez. Celle-ci a été supprimée, ce qui est une bonne chose, mais la possibilité offerte aux gardiens de faire un peu plus que simplement surveiller a disparu également. Quand comprendra-t-on qu’il n’y a rien de plus ingrat que de surveiller des salles d’un musée, et que le rôle de ces agents pourrait être, avec profit pour tous, pour eux et pour le public, donc pour le Louvre, enrichi d’une formation qui leur permettrait de renseigner efficacement les visiteurs, et même d’aider ceux qui le souhaitent à mieux comprendre les œuvres ?
Voici donc le décompte des agents de surveillance dans les salles de peinture le jeudi 3, le dimanche 7 et le mercredi 9 avril.
Le jeudi 3 avril comme le dimanche 7 avril (nous n’y sommes pas passé le 9), il n’y avait aucun gardien dans les deux salles des fresques italiennes, avant le Salon Carré. Dans celui-ci, il y avait un seul gardien près de l’entrée vers la galerie d’Apollon. Pour la Grande Galerie, nous avons compté en tout et pour tout neuf gardiens le 3 avril, dont deux regardaient leur portable, et dont six étaient par deux, ce qui réduit la zone surveillée. Cela peut sembler beaucoup, mais compte-tenu de la taille du lieu, c’est assez peu. Le 7 avril, il n’y en avait plus que cinq dans toute la galerie. Un chiffre ridicule qui empêche toute surveillance efficace, compte-tenu également de la foule qui s’y presse.
Le 3 avril, dans les salles 700, 701 et 702, soit celles où se trouvent les tableaux de David et le Radeau de la Méduse de Géricault, nous n’avons vu aucun gardien. Le seul qui se trouvait salle 701 s’occupait surtout d’empêcher l’accès à la salle de la Joconde qui est ici à sens unique vers la sortie, les visiteurs pouvant uniquement entrer par la Grande Galerie. Pour être précis, la salle des États avait plusieurs gardiens, surtout chargés de gérer la foule devant la Joconde.
Dans l’aile Sully, au second étage de la Cour Carrée, le nombre de gardiens était de :
– Onze pour quarante-deux salles ouvertes le jeudi 3 avril,
– Treize pour le même nombre de salles le dimanche 6 avril,
– Huit gardiens pour trente salles ouvertes le mercredi 9 avril,
Le dimanche 6 avril, toute l’aile Richelieu au second étage était ouverte : nous y avons compté seulement 10 gardiens pour 65 salles. Dans cette même aile, le mercredi 9 avril, toutes les salles à l’ouest de l’aile Richelieu (peintures d’Europe du Nord 1600-1850) étaient ouvertes. Dans les 32 salles nous y avons compté neuf gardiens, la galerie des Rubens de la Vie de Marie de Médicis n’en ayant aucun.
On compte donc en moyenne un gardien pour trois à six salles suivant les zones et les jours (jamais plus, mais parfois moins), un effectif extrêmement réduit, surtout lorsque ces agents vont par deux, ce qui laisse de très grands espaces sans aucune surveillance, ce qui est un risque pour les œuvres. Pour demander pourquoi la galerie Campana était fermée alors qu’elle aurait dû être ouverte, nous avons même un jour parcouru dix salles du premier étage du côté est de l’aile Sully sans arriver à trouver un seul gardien pour nous renseigner.
Voilà une nouvelle preuve de la parfaite incurie qui règne au Louvre. D’une part, on ment aux visiteurs à qui l’on fait croire que des salles sont fermées en raison de travaux, ce qui, répétons-le, est pour beaucoup d’entre elles faux. On demande d’ailleurs aux gardiens de ne pas donner la vraie raison, mais de confirmer qu’il s’agit de travaux, ou de déplacement d’œuvres, mais il faut avouer que cette consigne n’est que très peu appliquée. Sur ce point, rien n’a donc changé depuis l’époque Jean-Luc Martinez.
Non seulement le public est privé d’un grand nombre d’œuvres, mais il est impossible pour un visiteur qui voudrait voir certaines d’entre elles plus particulièrement (notamment les peintures des Écoles du Nord ou la peinture française des XVIIe et XVIIIe siècles, ou même parfois les primitifs italiens) de savoir avant de venir au Louvre s’ils pourront y parvenir. On leur fait pourtant payer le plein tarif, sans aucune possibilité d’être remboursé.
Nous pourrions également parler des nocturnes des mercredis et vendredis pour lesquelles le nombre de salles fermées est encore plus grand. Pour réussir à ouvrir des salles en soirée, le Louvre compte sur le volontariat des agents, en leur accordant une prime. Celle-ci étant intéressante, le résultat ne s’est pas fait attendre : les mercredis et vendredis jours de nocturne, beaucoup d’agents ont des horaires décalés, commençant plus tard le matin et terminant plus tard le soir. Ce qui doit arriver arrive, forcément, puisqu’il n’y a pas davantage d’agents : à neuf heures, certaines salles pourtant prévues ouvertes doivent rester fermées, et n’ouvrent que plus tard dans la journée. Pour résoudre le problème, on envisage de limiter le nombre de volontaires. Davantage de salles prévues sur le plan seront donc visibles dès l’ouverture, mais encore moins pendant la nocturne.
Comment la direction du Louvre compte-t-elle gérer une nouvelle entrée pharaonique, de nouvelles salles d’expositions et l’espace de la Joconde alors qu’elle est totalement incapable d’ouvrir correctement le Louvre aujourd’hui ? Nous pourrions poursuivre encore longtemps sur ce sujet. Mais bien sûr, il y en a d’autres, et notre série d’articles n’est pas terminée… Signalons également ceux de Vincent Noce dans la Gazette Drouot et ceux d’Hervé Liffran dans Le Canard Enchaîné. Celui-ci aujourd’hui nous apprend notamment que le président de la République - qui dispose déjà d’une maquette du projet [3] - a demandé à la direction des Patrimoines « de tout avaliser sans moufter » et d’accélérer les procédures administratives au maximum. Manque de chance, il n’a aucune prise sur les associations de protection du patrimoine qui ne manqueront pas, comme pour Notre-Dame, de s’opposer à ses funestes projets.