La réservation obligatoire pour tous au Louvre est une hérésie

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1. Salles de sculptures françaises au Louvre
le 22 août 2019. Nous avons compté en tout
et pour tout un surveillant pour neuf salles !
Photo : Didier Rykner
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Vincent Pomarède, cité par l’AFP, a déclaré qu’avant la fin de l’année le Louvre allait « mettre en place la réservation obligatoire et [que] tous les publics devront réserver ». Il s’agit d’une stupidité que rien ne justifie.

Pourquoi ce chaos de l’été au Louvre ?

Le Louvre a fait courir le bruit que la canicule était responsable, au moins autant que la Joconde, du chaos de juillet (voir cet article). C’est évidemment faux, et cela est facile à prouver. Le chaos a commencé le 17 juillet, soit dès que le public a dû se rendre dans la salle des Rubens pour voir la Joconde. Et ce jour là, la température maximum était de 28°, bien loin de la canicule, comme les quatre jours qui ont suivi. Que la chaleur ait pu par la suite pousser certains touristes ou Parisiens à se réfugier au Louvre, c’est possible, même si l’on ne saura jamais dans quelle proportion et s’il est peu probable que cela ait eu des conséquences réelles sur la surfréquentation. Mais, quoi qu’il en soit, les problèmes ont commencé bien avant la canicule. Celle-ci n’est donc pas responsable.

La véritable cause, c’est évidemment le déplacement de la Joconde suite à la fermeture de la salle des États. Si cette salle est généralement surpeuplée, empêchant de voir correctement l’œuvre, et gênant ceux qui voudraient contempler les tableaux vénitiens qui forment le reste de l’accrochage, cette configuration reste encore possible et les flux de touristes n’ont jusqu’à présent jamais été importants au point de bloquer la circulation. La situation à laquelle le Louvre a dû faire face en urgence est donc due uniquement à l’impéritie de ses dirigeants.

Fallait-il faire les travaux dans la salle des États ?

Que cette salle ait mal vieilli est une certitude. Certains pensent qu’elle était ratée depuis le départ, la couleur ne mettant pas les œuvres en valeur. Mais cela justifiait-il de tels travaux quinze ans après ? On peut en discuter. Quoi qu’il en soit, en admettant que ceux-ci devaient avoir lieu, il fallait les mettre en œuvre de la meilleure manière possible, c’est-à-dire sans imposer le déplacement de la Joconde, qui plus est, en plein été, au fort de la saison touristique.

Soit les travaux se menaient avec la Joconde toujours visible, soit la salle était purement et simplement fermée pour permettre de mener tranquillement les travaux. C’est la première solution qui a été choisie, sans se donner les moyens de gérer cette nouvelle organisation. Ce qui devait arriver est donc arrivé : la fermeture de la salle a été décidée. Il fallait alors choisir soit de mettre la Joconde en réserves pendant trois mois (ou de la coffrer comme on l’a fait pour les Noces de Cana), soit de la déplacer. La seule solution logique était évidemment de ne pas la bouger. C’est la seconde qui a été préférée. La gestion actuelle du Louvre consiste à prendre, avec une constance qui force l’admiration, toujours les mauvaises décisions.

Pourquoi imposer les réservations pour tous est une solution stupide ?

Si la réservation obligatoire dans certains monuments historiques est nécessaire lorsque le nombre de touristes devient trop important (c’est par exemple le cas de l’Alhambra de Grenade), cette solution drastique ne doit pas être mise en œuvre lorsque le musée ou le monument historique n’est en surfréquentation qu’à un endroit très précis. Ainsi, cela fait très longtemps que nous le demandons pour Versailles. Mais cela ne devrait concerner, lorsque cela sera appliqué (ce qui à terme est inévitable) que dans la partie du château où le problème se pose réellement, soit les grands appartements. Pour le reste du château (lorsqu’il est ouvert, et on sait que de très nombreuses salles sont la plupart du temps fermées, comme les salles de peinture de l’attique nord), la réservation préalable est inutile.

Au Louvre, la seule œuvre qui draine des foules trop importantes est la Joconde. La Victoire de Samothrace, qui se trouve dans un grand escalier, ne pose pas de problème, pas davantage que la Vénus de Milo dont la popularité est bien en deçà du tableau de Léonard de Vinci. Or, comme nous l’avons dit, son installation dans la salle des États rend pour l’instant inutile une quelconque réservation. D’ailleurs, en 2012, année précédant l’arrivée de Jean-Luc Martinez, la fréquentation du Louvre avait été de 10 millions de visiteurs, soit à peine moins qu’aujourd’hui. La gestion des flux de visiteurs n’était pourtant pas un problème et qu’il le soit devenu aujourd’hui ne peut s’expliquer que par les décisions absurdes prises par la direction.
Surtout, une grande partie du musée est vide. Et même les lieux très fréquentés comme la grande galerie peuvent pour l’instant absorber cette fréquentation. Imposer la réservation obligatoire, comme nous l’avons déjà montré, entraînera un Louvre encore plus vide.

Plus grave encore : obliger les bénéficiaires de la gratuité à réserver. Car ce sont eux qui, en général, ne se déplacent pas pour voir la Joconde, mais bien des œuvres dans tout le musée qui ne font pas partie des circuits touristiques. Obliger les Amis du Louvre à réserver, en les privant ainsi de la faculté d’entrer dans le musée quand ils le veulent et sans attendre, c’est non seulement mépriser les visiteurs qui viennent voir des œuvres dans le calme, et nier ainsi la première mission du musée, mais c’est aussi rompre unilatéralement un contrat qui existe avec les membres de cette société plus que centenaire.
De la même manière, empêcher les étudiants en histoire de l’art de venir quand ils le veulent pour voir ne serait-ce qu’une œuvre, c’est les empêcher d’étudier. Interdire aux jeunes de se rendre au Louvre d’une manière spontanée, c’est renoncer pour une grande part à l’éducation en histoire de l’art déjà tellement mise à mal par l’éducation nationale. Interdire aux professionnels des musées de visiter le Louvre à tout moment, quand ils le décident, c’est ignorer la simple courtoisie qui leur est due. Interdire aux journalistes de se rendre quand ils le veulent et où ils le veulent dans le musée, c’est les empêcher de faire leur travail.

Cela est d’autant plus vrai que le Louvre a des méthodes plus que curieuses : il contingente les entrées gratuites. Il est possible ainsi à certains moments d’acheter des entrées (preuve que le musée n’est pas « complet » au sens où il l’entend), mais il ne l’est plus de réserver des billets gratuits ! Et on pourrait encore ajouter les deux euros supplémentaires que coûte une réservation par internet par rapport à la vente au guichet (17 € au lieu de 15 €), ce qui est un moyen d’augmenter les prix sans le dire.

Quelles solutions ?

Les solutions, différentes de celles retenues par le Louvre, existent bien entendu.

 il faut d’abord se faire aider par des spécialistes de la gestion des flux : le nombre important de touristes nécessiterait d’abord des compétences dans ce domaine que le musée ne possède manifestement pas ; il s’agit d’un métier dont toutes les entreprises confrontées à ce type de problématique (aéroports, grands magasins, cinémas…) ont besoin. Pourquoi le Louvre agirait-il différemment ? S’il y avait eu des personnes compétentes dans cette question, elles auraient immédiatement su que l’installation de la Joconde dans la salle des Rubens était une idée idiote… Elles auraient pu aussi expliquer au président du Louvre que la fermeture toujours plus importante des salles (voir notre article) entraînerait automatiquement une augmentation des visiteurs dans les salles qui restent ouvertes. De toute façon, celles-ci ont si peu de surveillants (ill. 1) qu’on ne comprend pas bien l’intérêt d’en fermer d’autres sous prétexte qu’on ne dispose pas du personnel suffisant pour les garder.

 en assumant que la Joconde soit le problème (et la Joconde est incontestablement un problème, au moins à terme), il ne faut pas hésiter à se poser la question du lieu de son exposition ; sans la Joconde, il n’y aurait plus de problème d’accès au Louvre. L’extraction du tableau du parcours du musée - une hypothèse déjà ancienne - doit être envisagée.
On répond généralement à ceux qui s’interrogent à ce sujet qu’on ne peut pas séparer ce tableau du discours général d’histoire de l’art que constitue ses collections. C’est une réponse très mauvaise car on ne s’est pas gêné, avec le Louvre Lens et le Louvre Abu Dhabi, pour priver le musée de nombreuses œuvres tout aussi importantes pour l’histoire de l’art, dont La Belle Ferronnière de Léonard de Vinci. Déjà exposée comme une œuvre à part au milieu des peintures vénitiennes, la Joconde n’est pas indispensable aux autres tableaux qu’elle phagocyte. L’exposer définitivement à part serait une solution sans doute pas idéale mais qui aurait le mérite de résoudre d’emblée tous les problèmes.

Deux endroits pourraient être envisagés (nous ne faisons ici que suggérer des solutions ; leur faisabilité doit bien entendu être examinée par des professionnels de l’organisation et des flux) : soit le pavillon des Sessions, soit les anciennes réserves. Évacuons la première idée, qui serait souhaitable (installer enfin au Quai Branly les chefs-d’œuvre de l’art Africain et Océanien aurait un sens), mais ne semble pas dans l’air du temps. Nous retiendrons donc la seconde. Le départ des réserves du Louvre à Liévin, puisqu’il est hélas acté, aura au moins le seul avantage de libérer de nombreux espaces en sous-sol. Ne serait-il pas possible d’y aménager une grande salle dédiée uniquement à la Joconde, avec une entrée séparée (et éventuellement une billetterie séparée, uniquement sur réservation), qui libérerait ainsi le reste du musée ? S’il s’agit d’espaces inondables (on nous l’a assez répété), prévoir un protocole d’évacuation du tableau en cas de crue menaçante (une situation extrêmement rare, qui laisse suffisamment de temps pour s’organiser) ne serait pas compliqué. Cela réglerait définitivement la question de la réservation obligatoire et de la surfréquentation du Louvre.

 la Joconde n’est pas le seul problème de gestion des flux au Louvre. Il y a également fréquemment des files d’attente en dehors de la pyramide. Il faut donc plutôt que de conserver le système actuel de l’entonnoir, augmenter le nombre d’entrées. Pourquoi avoir fermé celle de la porte des Lions par laquelle on pouvait entrer récemment ? Pourquoi ne pas réaménager une entrée au niveau de la colonnade qui existait avant les travaux du grand Louvre ? Cela aurait pour résultat de décongestionner l’entrée principale et de réduire les distances énormes que les visiteurs doivent parcourir s’ils souhaitent, par exemple, se rendre directement aux peintures espagnoles.


2. Publicité pour les expositions du Musée du Louvre sur une façade
classée monument historique.
Quel intérêt, puisqu’il y a paraît-il trop de visiteurs ?
Photo : Didier Rykner
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 le Louvre persiste à mener des actions de communication avec pour objectif de faire venir toujours davantage de visiteurs dont on déplore qu’ils soient aussi nombreux ; il ne faut pas être particulièrement doué pour comprendre que la publicité pour un produit qu’on ne veut pas vendre est peut-être inutile. Cela éviterait par ailleurs de couvrir les façades classées du Louvre de calicots (ill. 2).

Pour conclure, il reste que toutes ces solutions doivent être prises par des gens qui comprennent quelque chose à la gestion d’un musée, et à la gestion d’un établissement public de la taille du Louvre. Cela impose donc de changer sa direction, ou a minima de ne pas la renouveler lorsque le mandat du président-directeur arrivera à terme en avril 2021.

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